Aurélie Viel explique les orientations du Prix Bayeux et analyse les transformations d’une profession en tension.

Aurélie Viel dirige depuis vingt ans le Prix Bayeux Calvados-Normandie des correspondants de guerre qui récompense chaque année un reportage photo (presse écrite, télé et radio). Ce grand rendez-vous des reporters de guerre, sans équivalent en France ou ailleurs, offre aussi une programmation resserrée d’expositions gratuites de grande qualité, organisée dans différents lieux de la municipalité et de la ville.
Parce que Bayeux a une histoire très forte avec la guerre puisqu’elle a été, le 7 juin 1944, la première ville libérée de France. Les plages du débarquement sont à dix minutes. À Bayeux, tout le monde a en tête cette histoire. Elle fait partie du quotidien, compte tenu du tourisme mémoriel important. La Ville a aussi une histoire avec la presse, très présente sur le secteur à l’époque. Au moment du débarquement, Robert Capa a logé au Lion d’or et Ernest Hemingway a évoqué ses soirées dans cet hôtel. Cette histoire s’est prolongée avec la création par la municipalité du Prix Bayeux des correspondants de guerre, en 1994, à l’occasion du 50e anniversaire du débarquement. Il n’était pas prévu de le réitérer l’année suivante. Les élus de l’époque, notamment le premier adjoint du maire de l’époque, Jean-Léonce Dupont, aujourd’hui président du conseil départemental du Calvados, ont décidé de conserver l’événement et d’aller au-delà du Prix en proposant des expositions, des soirées et des rendez-vous scolaires. Si le Prix est toujours la base du festival, les expositions, le Salon du livre, les projections et les soirées débats ont pris progressivement une place majeure dans la manifestation, les expositions se terminant désormais à la mi-novembre.
En dehors des professionnels, des scolaires, et du public local et régional, notre public est essentiellement du Grand Ouest, de l’Île-de-France à la Bretagne. L’an dernier, on a accueilli 47 000 visiteurs. Quant à notre budget, il s’élève hors ressources humaines à 600 000 euros. Il est financé par la Ville (30 %), la Région (25 %), le Département (25 %) et le reste par nos partenaires. L’État, via la Drac Normandie, nous a versé, cette année, 7 000 euros contre 8 000 en 2024.
C’est d’abord l’actualité de l’année qui nous guide puisque notre objectif est d’être dans le décryptage des conflits à la fois pour le grand public et les scolaires. Ce qui ne nous empêche pas de faire des expositions plus historiques comme celles sur la chute de Phnom Penh et de Saïgon l’an dernier, ou encore, cette année, sur les correspondants de guerre écrivains.
Si vous vous arrêtez à un seul photographe, par exemple pour le Soudan, Goma ou la Syrie, au conflit complexe, vous n’aurez pas l’entièreté de l’histoire. Notre souhait est d’être le plus complet sur le décryptage d’une guerre. D’où aussi pour chaque exposition des cartes, des repères historiques systématiques, des textes de salle et cartels explicatifs, et des documentaires. Notre objectif est que l’on ressorte d’une exposition en ayant appris quelque chose. Les focus sur un travail sont aussi importants pour nous. La démarche personnelle de Julia Kochetova qui parle de son pays, l’Ukraine, pas seulement à travers la photographie mais aussi des dessins et des poèmes, apporte une autre vision de cette guerre.
Oui. Il y a une vigilance accrue à la fois sur les propositions, la façon dont on doit les présenter et qui les présente aussi ; il faut que l’on soit dans une qualité journalistique, une analyse, une distance. Le défi est comment se renouveler pour raconter des conflits que l’on retrouve pour certains, malheureusement d’une édition à une autre, comme l’Ukraine ou Gaza afin que tout le monde, y compris les professionnels, s’y retrouve et apprenne quelque chose de nouveau. Forbidden Stories, réseau international de journalistes d’investigation basé à Paris, dévoilera ainsi à travers l’exposition « Gaza Project » son enquête sur le ciblage des reporters à Gaza, et les arrestations et les menaces subies par les journalistes en Cisjordanie.
Être correspondant de guerre est beaucoup plus dur aujourd’hui, notamment pour les photographes. Il y a une paupérisation de la profession, un manque de moyens pour envoyer les gens sur le terrain et moins de visibilité donnée à leur travail. Le travail d’Édouard Elias sur la Syrie, qui marque son retour dans ce pays, treize ans après sa captivité, a été peu publié jusqu’à présent. Par ailleurs, dans notre programmation, les correspondants de guerre locaux ont une plus grande place, comparée à il y a vingt ans, où c’était les reporters de guerre occidentaux qui étaient essentiellement exposés.
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Aurélie Viel : « Être correspondant de guerre est beaucoup plus dur aujourd’hui »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°662 du 3 octobre 2025, avec le titre suivant : Aurélie Viel, responsable de programmation : « Être correspondant de guerre est beaucoup plus dur aujourd’hui »








