Art contemporain

A 101 ans, une peintre cubaine savoure enfin le succès

Par LeJournaldesArts.fr (avec AFP) · lejournaldesarts.fr

Le 6 janvier 2017 - 608 mots

NEW YORK (ETATS-UNIS) [06.01.17] - C'est ce qu'on appelle un succès tardif : Carmen Herrera, peintre cubaine installée à New York depuis 70 ans, a vendu son premier tableau à 89 ans. Aujourd'hui, à 101 ans, elle goûte enfin à la reconnaissance des plus grands musées, avec une rétrospective au prestigieux Whitney Museum.

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Carmen Herrera, Blue with White Line, 1964, huile sur toile, 172,4 x 172,4 cm.
© Photo courtesy Lisson Gallery

"Il en aura fallu du temps, grand Dieu, ils auront attendu longtemps", dit la centenaire à l'AFP en riant, dans son appartement de Union Square à Manhattan. Élégamment vêtue, assise dans sa chaise roulante, Mme Herrera n'a rien perdu de la détermination qui lui a permis d'attendre si longtemps la reconnaissance de ses pairs, même si elle a désormais la santé fragile.

Née à Cuba en 1915 de parents journalistes, elle se met à peindre dès l'enfance, avant de poursuivre ses études à Paris puis de revenir à La Havane pour devenir architecte. C'est là qu'elle tombe amoureuse d'un professeur d'anglais, un New-Yorkais en visite à Cuba, Jesse Loewenthal. Elle rentre avec lui à New York et l'épouse. C'est son mari -jusqu'à sa mort, après 61 ans de mariage- qui l'encourage à peindre chaque jour même si personne ne veut exposer ses oeuvres abstraites et épurées, très éloignées de l'idée qu'on se faisait alors d'un art "féminin". "Personne ne faisait attention à moi", se souvient-elle. "Une galeriste, Rose Fried, m'a dit un jour : « Ce que tu peins m'enchante, mais je ne peux pas te donner ta chance car tu es une femme »".

Installée à Paris avec son mari dans l'immédiat après-guerre, elle s'est rapprochée du courant artistique du Salon des Réalités nouvelles, développant son goût pour la ligne droite et des couleurs de plus en plus minimalistes, avec un maximum de deux teintes par tableau.

Le monde a changé

"Dans le chaos où nous vivons, j'aime mettre de l'ordre", explique Mme Herrera dans un documentaire sur sa vie, "The 100 Years show". Témoin lui aussi de sa notoriété tardive, il sort la semaine prochaine dans une salle d'art et d'essai new-yorkaise. A son retour à New York en 1954, dans un monde de l'art dominé par un expressionnisme abstrait, et très masculin, personne ne s'intéresse encore à ce minimalisme précurseur. Des décennies plus tard, elle est toujours la même mais le monde a changé, relève l'artiste porto-ricain Tony Bechara, son voisin et ami de longue date. "Tout d'un coup, les gens étaient prêts à l'accueillir. Les premiers collectionneurs à s'intéresser à elle étaient des femmes. Il y a 20, 30, 40 ans, cela n'existait pas, il n'y avait pas de collectionneurs féminins", dit-il. Elle vend son premier tableau en 2004.

Ses oeuvres, exposées au MoMA à New York ou à la Tate Modern à Londres, se négocient aujourd'hui des centaines de milliers de dollars. Encore loin des montants atteints par les tableaux de contemporains comme Frank Stella, Ellsworth Kelly ou Barnett Newman, à la notoriété plus précoce. Souffrant d'arthrite, Mme Herrera est désormais cantonnée à sa chaise roulante et ne sort quasiment plus de chez elle. Sauf pour assister en personne en septembre au vernissage de la rétrospective du Whitney, qui se termine le 9 janvier avant une tournée dans d'autres musées américains.

Mais elle garde le moral, forte du régime végétarien adopté l'an dernier et d'un verre de scotch quotidien. Sans enfant, elle continue à recevoir et à se faire de nouveaux amis. Et elle peut enfin se payer un assistant, une femme de ménage et un kinésithérapeute. Le secret de sa longévité ? "Rien d'extraordinaire", dit-elle. "Faire ce qu'on aime, et le faire tous les jours. C'est ce que je fais. Je me lève, je petit-déjeune et je me mets à travailler".

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Carmen Herrera, Blue with White Line, 1964, huile sur toile, 172,4 x 172,4 cm - Photo courtesy Lisson Gallery

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