Enseignement

Écoles privées, une confusion savamment entretenue sur les diplômes

L’EAC, l’ICART et l’IESA jouent habilement sur l’ambiguïté entre master et mastère et sur la distinction peu identifiée entre des diplômes reconnus par des ministères différents.

L’ambiguïté se résumerait à une petite lettre, un « e » surnuméraire permettant de franciser « master » en « mastère ». C’est pourtant bien le master qui a son entrée dans le dictionnaire (capitaine de navire) et désigne depuis 2002 un diplôme national et un grade officiel émis par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche (MESR), délivré et conféré exclusivement par les universités et certaines grandes écoles à titre dérogatoire (les ESC, IEP, écoles d’ingénieurs notamment). De même, les grades de « licence » et « doctorat » sont l’apanage de ces formations. À l’inverse, le mastère (1) est une formation supérieure généralement de niveau bac 4, mais sans grade ni équivalence formelle avec le diplôme national de master.

L’EAC (Écoles d’arts et de culture), l’IESA (Institut d’études supérieures des arts) et l’ICART (Institut supérieur des carrières artistiques) sont aujourd’hui les trois écoles privées post-bac les plus reconnues parmi celles strictement dédiées aux métiers de la culture (médiation, gestion) et du marché de l’art (négociation, expertise). Pour des coûts compris entre cinq et huit mille euros par an, elles proposent notamment des « mastères » en deux ans (IESA, EAC), en 120 crédits ECTS accessibles aux étudiants de niveau bac 3, et des « bachelors » en trois ans (180 crédits), pour ceux justifiant d’un niveau bac à bac 2.

Bachelor : une appellation non contrôlée
De même que le mastère ne vaut pas master, le bachelor n’est pas licence. L’utilisation du mot bachelor serait abusive en Angleterre où, comme en France, seuls des établissements dûment autorisés peuvent délivrer les grades. En France, les termes bachelor et mastères n’ayant pas de valeur légale, leur utilisation libre peut légitimement troubler les étudiants.

Certains mastères (spécialisés ou non) étant sélectifs et reconnus, il ne s’agit pas d’induire un jugement de valeur, mais d’éviter une confusion qui vient en partie du processus de Bologne, la fameuse harmonisation européenne LMD, pour Licence Master Doctorat. En effet, l’emploi du système d’attribution des crédits ECTS permet à chaque formation de découper la scolarité en semestres de trente crédits afin que sa dynamique ainsi standardisée soit lisible par les étudiants étrangers. Mais ces crédits n’ont pas de valeur pédagogique absolue, ils représentent seulement une certaine quantité d’heures de cours et de travaux effectués par les étudiants. En faisant correspondre mastères et masters indifféremment à 300 crédits ECTS (incluant les 180 ECTS obtenus en premier cycle d’enseignement supérieur), l’harmonisation LMD contribue au flou notable entre mastère et master.
L’EAC a choisi de s’associer à un organisme privé pour ajouter une labellisation à ses cursus. Il s’agit de Idel-Ideart, qui regroupe une trentaine d’écoles (Supinfocom à Valenciennes, Supdemode à Lyon…) ayant souhaité créer leur propre référent de qualité, sur des critères d’infrastructures, de pédagogie, d’ouverture à l’international. Idel-Ideart a obtenu le droit d’intituler un de ses labels « international masters ® » pour des formations dispensées en anglais. Cette fois-ci, c’est le « s » du pluriel qui permet de déposer une marque contenant le mot masters et à l’EAC de labelliser ses mastères (dont certains seulement sont anglophones).

Formations certifiantes ou qualifiantes
Autre subtilité, il faut savoir différencier le diplôme « reconnu » ou « certifié » par l’État (en l’occurrence, par le ministère chargé du travail) et « équivalent au niveau bac 4/5 », du « diplôme national » déjà évoqué, reconnu par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (MESR). En effet, les formations de l’IESA, de l’EAC et de l’ICART ont reçu une certification du ministère chargé du Travail, par l’intermédiaire de sa commission nationale de certification professionnelle (CNCP), composée de représentants des ministères concernés et des syndicats (employeurs et salariés). En certifiant les compétences et connaissances acquises au niveau I (cadre) pour l’IESA et l’EAC et au niveau II (agent de maîtrise) pour l’ICART, la CNCP atteste de la qualification des étudiants. Elle épluche l’épais dossier de candidature rempli par les écoles retraçant les parcours des anciens étudiants et vérifie que ces derniers sont effectivement employés à niveaux de poste, de responsabilité et de salaire correspondant au barème. Comme l’explique l’un de ses chargés de mission, « la CNCP ne certifie pas la qualité pédagogique de la formation, mais atteste d’un niveau d’employabilité des personnes formées en correspondance avec les matières enseignées et la durée de la formation ». La nuance peut sembler ténue. Pour Boris Grebille, directeur de l’IESA-Art & Culture, il s’agit surtout de différencier la vocation des formations : « Nos étudiants ont opté pour une voie professionnalisante : pour nous, le niveau I de la RNCP est suffisant. Le grade de master est surtout utile pour ceux qui veulent poursuivre dans la recherche ».

Dans un marché privé de l’enseignement supérieur qui fait de l’insertion professionnelle son argument principal, alors que les titres les plus reconnus restent surtout universitaires, il est logique que les écoles présentent leurs formations sous leur meilleur jour théorique et pratique, quitte à entretenir certaines confusions. Du mastère au master, du niveau certifié au « titre conférant un grade », de la licence au bachelor, les subtilités sont nombreuses. D’où l’importance de savoir s’y retrouver.

Note

(1) « Le mastère spécialisé » est encore autre chose : c’est un diplôme créé par la conférence des grandes écoles (CGE) et acquis à la suite d’une formation de troisième cycle dispensée dans un de leurs établissements.

Légende photo

Mission de médiation réalisée par les étudiants de l'ICART, au muséum d'Histoire naturelle de Bordeaux. © ICART.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°436 du 22 mai 2015, avec le titre suivant : Écoles privées, une confusion savamment entretenue sur les diplômes

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