Warhol, incontournable

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 6 septembre 2011 - 1151 mots

Superstar du marché, Andy Warhol continue à attirer de nouveaux acheteurs. Ses œuvres tardives sortent même du purgatoire.

« Gagner de l’argent est un art, travailler est un art et faire de bonnes affaires est du grand art. » Cet adage provocateur d’Andy Warhol (1928-1987) sied à merveille au pape du pop art américain. Car l’homme à la perruque blanche talonne de près Pablo Picasso en termes de volume de ventes. En tête du classement Artprice en 2007, Warhol s’est retrouvé à la quatrième place en 2010, avec un chiffre d’affaires total de 232,8 millions d’euros.

Si le fondateur de la Factory est à la proue du mouvement pop, c’est qu’au lieu d’aligner les images de son temps, il les a extraites de leur contexte. « Sa culture catholique et byzantine, la réalité de son déracinement, sa fascination pour la culture “camp”, son besoin de réussite, sa connaissance des méthodes des marchands de lessives et de chaussures, son expérience entre la vie et la mort, sa patience et son humour, sa passion de l’image, enfin, lui ont permis d’accomplir ce que personne, avant ou après lui, n’a voulu croiser dans le même tissu. Le noir et la couleur, le positif et le négatif, l’avers et l’envers des surfaces, l’image et l’icône, le double et le simple, l’impermanent et l’éternité, l’illusion du vrai et le pouvoir des apparences, l’ironie et la grâce », souligne l’historien de l’art Alain Cueff dans Warhol à son image (éd. Flammarion, 2009). L’artiste fut d’emblée plébiscité par les amateurs, séduits à la fois par le miroir brillant de la société et son revers mortifère. Le vrai tournant s’opère en 1998, onze ans après sa mort, lorsque l’imprimeur Si Newhouse achète, contre le collectionneur et marchand Jose Mugrabi, un exemplaire d’Orange Marylin pour 17,3 millions de dollars chez Sotheby’s, à New York. En mai 2007, toujours à New York, un nouveau seuil est franchi : le collectionneur Philip Niarchos achète Green Car Crash (1963) pour 71,7 millions de dollars (52,9 millions d’euros) chez Christie’s. Dans le même temps, l’investisseur Steve Cohen négocie, pour 80 millions de dollars, un Turquoise Marylin appartenant au collectionneur de Chicago Stefan Edlis. 

Appétence variable
C’est encore Warhol qui sonne la relance du marché après une année de crise avec 200 One Dollar Bills (1962), adjugé 43,7 millions de dollars (29,1 millions d’euros) chez Sotheby’s, en novembre 2009 à New York. « Avec cette pièce, nous sommes au cœur de l’idée du pop et du sujet principal de Warhol, et, en même temps, c’est une forme sèche et conceptuelle », souligne Grégoire Billault, spécialiste chez Sotheby’s. Warhol reste un produit d’appel pour les marchands. En juin, pendant la foire de Bâle, la galerie Ammann (Zurich) présentait une exposition consacrée à l’artiste, avec murs argentés et œuvres anciennes, tel un alignement de treize Brillo Box de 1964 à 1,1 million de dollars l’unité.

Étrangement, la lassitude ne semble pas gagner les acheteurs. Alors que les auctioneers tendent à remplir leurs ventes ad nauseam d’œuvres de Warhol, ces dernières restent rarement invendues. D’après d’Artprice, la semaine de vacations dédiées à l’art contemporain en novembre 2010, à New York, mettait à l’affiche soixante-cinq pièces de l’artiste. Seuls 11 % n’ont pas trouvé preneur. En revanche, on a frôlé « l’indigestion » en mai dernier. Sur les cinquante-cinq pièces de Warhol mises à l’encan, 16,67 % n’ont pas été vendus. Signe qu’il ne faut tout de même pas trop tirer sur la ficelle. Même si le marché affiche souvent une certaine dose d’irrationnel, les acheteurs ne s’en laissent pas toujours compter.
En mai, à New York, Sotheby’s proposait deux Round Jackie quasi identiques de 1964, provenant de la collection Dodie Rosekrans. Le tondo sur lequel Jackie Kennedy est plus souriante et où l’on devine, en arrière-plan, le portrait de John F. Kennedy est parti pour 3,7 millions de dollars (2,6 millions d’euros). Dans le second, l’image était sale et illisible, et la figure de l’époux a disparu. Le tableau a de fait été ravalé à 2,2 millions de dollars. De même, dans une gamme de prix moindre, un Monkey de la série Toy Paintings est parti à 146 500 dollars. Le sujet est certes très convoité, mais les couleurs étaient passées. Dans la même dispersion, un Robot, moins recherché, mais aux couleurs plus vives, a été acquis 194 500 dollars. Si les plus-values concernant Warhol sont légion, elles ne sont pas garanties. Ainsi, d’après nos informations, Steve Cohen a acheté 35 millions de dollars un portrait de Liz Taylor lors de la succession de la galeriste Ileana Sonnabend en 2007. Lorsqu’il le remet en vente en mai 2011, à New York, chez Phillips, il n’obtiendra que 26,9 millions de dollars… 

Les périodes décriées réhabilitées
Bien que le marché ait opéré jusqu’à présent une hiérarchie très nette des sujets, les périodes autrefois décriées sortent du purgatoire. « Il y a dix ans, on disait que tout ce qui datait d’après 1973 était répétitif. En réalité, Warhol est pertinent jusqu’au bout, estime Grégoire Billault. Il repousse l’idée qu’on sera célèbre pendant quinze minutes avec les Society Portraits et les Ladies and Gentlemen. » Ces portraits plafonnent encore autour de 250 000 dollars (170 000 euros). Les marchands s’attellent aussi à la revalorisation des dernières décennies de l’artiste. Après avoir montré en mai, sur la foire Art HK, à Hongkong, une gigantesque sérigraphie de 1979 égrenant à l’infini l’image de Mao pour 50 millions de dollars, le galeriste Bruno Bischofberger (Zurich) proposait sur la foire de Bâle, le mois suivant, une autre sérigraphie de mêmes dimensions, datant de 1980 et représentant cette fois un alignement de Marylins, pour 80 millions de dollars. De même, les Shadow Paintings et les Skulls sortent de l’ombre.

« Si un Skull de grande dimension arrivait sur le marché, il ferait un très gros prix, indique Alexandre Carel, spécialiste chez Christie’s. On a affaire à un marché soutenu avec des œuvres qui existent encore dans des collections historiques. Il s’agit d’un marché global où il y a toujours de nouveaux entrants. » Ainsi à New York, en 2006 chez Christie’s, le collectionneur Joseph Lau a-t-il acquis un portrait de Mao pour 17,3 millions de dollars (13,5 millions d’euros). Deux ans plus tard, le P-D.G. de Yageo, Pierre Chen, achetait Double Marlon 32,5 millions de dollars (21 millions d’euros), toujours chez Christie’s à New York. En novembre 2010 à New York, chez Phillips, le Qatar aurait même emporté pour 63,3 millions de dollars (45,1 millions d’euros) Men in Her Life, une œuvre qui ne relève pas de la meilleure veine de l’artiste… 

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°352 du 9 septembre 2011, avec le titre suivant : Warhol, incontournable

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