Une scène contemporaine en pleine effervescence

Si le marché n’a pas atteint sa maturité, les artistes affluent et les galeries se multiplient

Par Éric Tariant · Le Journal des Arts

Le 13 avril 2001 - 1107 mots

Berlin bouge et témoigne d’une prodigieuse vitalité depuis la chute du Mur en 1989 suivie en 1999 par le déménagement du gouvernement et du Parlement dans la ville, redevenue capitale du pays. La scène artistique contemporaine, plutôt atone jusqu’au début des années 1990, est en train d’exploser. Les galeries et les maisons de vente aux enchères croissent et se multiplient tandis qu’art forum berlin, la foire d’art contemporain, gagne des parts de marché par rapport à sa grande rivale de Cologne.

Tel un phénix, Berlin renaît de ses cendres et se transforme. Temple de la musique avec ses neuf orchestres symphoniques, trois opéras et plus de cent chœurs, la ville était, jusqu’à une date récente, à l’état de friche pour les arts plastiques. Les choses ont complètement changé en l’espace de quatre ou cinq ans. Les artistes sont arrivés en éclaireurs, attirés par les loyers bon marché.

Les ateliers se sont multipliés au début des années 1990. La ville fut à l’époque l’eldorado des milieux alternatifs et des squats d’artistes aujourd’hui pratiquement disparus mais les galeries ont pris le relais. Chaque mois de nouvelles “enseignes” ouvrent dans le quartier de Mitte au nord de l’avenue Unter den Linden, à deux stations de métro d’Alexanderplatz. La poignée de marchands installée entre Auguststrasse et Gipsstrasse au début des années 1990 a essaimé dans le quartier.

Ils sont aujourd’hui une cinquantaine qui y organisent des vernissages communs – les “Rundgangs” – quatre fois par an. Certains ont quitté l’ouest de l’Allemagne pour s’établir dans la nouvelle capitale. C’est le cas de Rudolf Kicken – spécialiste de la photographie des XIXe et XXe siècles – qui a abandonné Cologne, où il a ouvert sa galerie en 1979, pour Berlin, rebaptisant même sa galerie… Kicken Berlin. Mais aussi de Matthias Arndt, un jeune galeriste de trente-deux ans, qui a, lui, quitté Cassel pour Berlin. “À mon arrivée en 1994, nous n’étions que cinq galeries dans le quartier, explique le marchand. Il n’y avait alors aucun marché pour l’art contemporain. Il a fallu du temps car les Allemands de l’Est, bons soldats et bons scientifiques, étaient plutôt tournés vers la musique et la littérature. Nous avons, au fil des ans, fait venir des pointures internationales comme Sophie Calle, Thomas Hirschhorn et tenté de former le public.”

Résultat ? Berlin est devenue, depuis 1998, une plate-forme culturelle qui accueille à la fois les stars allemandes de la scène contemporaine comme Thomas Struth, Thomas Demand ou Carsten Höller et des artistes étrangers tels Massimo Vitali, Pierre Huyghe, Dominique Gonzalez-Foerster ou Ugo Rondinone. “Les Berlinois de souche étaient nourris de théâtre et de musique. Ils n’étaient pas initiés et avaient de ce fait peu de goût pour la création contemporaine”, explique Mehdi Chouakri, jeune galeriste de trente ans qui a posé il y a cinq ans ses valises dans ce quartier de Berlin-Est. “Beaucoup de choses ont changé depuis que le gouvernement est venu s’installer à Berlin en 1999, poursuit-il. L’aéroport de Tegel, initialement prévu pour accueillir 5 millions de passagers, a vu son trafic doubler en quelques mois. Une population plus riche et mieux éduquée est arrivée.” Sur Auguststrasse, la principale artère de ce cœur battant de la création contemporaine, les petits immeubles de quatre ou cinq étages aux façades de briques ou de ciment, sont troués d’espaces en travaux. À côté des galeries s’installent des cafés-restaurants “branchés” mais aussi des magasins de prêt-à-porter. Le succès aidant, les loyers ont presque quintuplé en six ans entraînant déjà le départ de cinq ou six marchands désireux de s’agrandir à moindres frais. Ces derniers vont un peu plus au sud de la capitale sur Zimmerstrasse, à quelques pas de Checkpoint Charlie.

La ville, comme la clientèle des galeries, a pris une dimension internationale. Aux Allemands venus de l’ouest et du sud du pays, surtout de Stuttgart, Munich et Cologne, se sont ajoutés des Américains – très nombreux –, des Français, des Belges, des Suisses, des Anglais et des Hollandais. “De nouveaux collectionneurs sont apparus depuis quatre ans, confirme Mehdi Chouakri. Ils ont entre trente-cinq et quarante-cinq ans et exercent des professions libérales ou sont chefs d’entreprise.” Plus du tiers des clients de la galerie Arndt & Partner sont américains, un autre tiers allemands (dont de nouveaux collectionneurs venus de Hambourg et Francfort) et environ 30 % sont issus d’autres pays européens. “Les collectionneurs berlinois qui achètent dans ma galerie sont encore très rares, souligne en revanche Bodo Niemann, spécialisé en photographie plasticienne et “vintages” du début du siècle. Les Berlinois étaient, jusqu’à une date récente, plus tournés vers la peinture figurative. Mais c’est en train de changer. Ce ne sont pas de véritables collectionneurs mais plutôt des acheteurs ponctuels. Berlin est demeuré relativement pauvre comparée aux autres capitales de l’Ouest.” La photographie plasticienne et la peinture sont les spécialités les plus représentées dans le quartier et sans doute les plus “vendeuses”. Les installations sont, en revanche, encore peu prisées.

Si Berlin est devenue une plate-forme internationale, le marché local n’a pas encore véritablement explosé. “Je n’ai vendu en un mois qu’une seule des photographies géantes de Massimo Vitali présentées dans ma galerie contre une dizaine par semaine lors d’une exposition monographique organisée en Hollande. J’ai eu les mêmes difficultés avec les œuvres de Hirschhorn. Je réalise l’essentiel de mon chiffre d’affaires à l’occasion des salons internationaux “, souligne Matthias Arndt. Berlin a tout de même gagné des points et pris des parts de marché à sa grande rivale, Cologne. En témoigne le dynamisme d’art forum berlin (lire encadré), la foire d’art contemporain de la nouvelle capitale, qui gagne en qualité et en volume d’affaires. Lancée en 1996, après des débuts difficiles marqués par une fréquentation (16 000 visiteurs seulement en 1999) et des transactions peu satisfaisantes, la Foire semble s’être soudain réveillée. “L’édition 2000 a été pour moi une merveille, s’enthousiasme Mehdi Chouakri. J’ai vendu la totalité de mon stand et une bonne partie des pièces exposées à la galerie. Beaucoup d’acheteurs étrangers avaient fait le déplacement.” Matthias Arndt insiste aussi sur les résultats très positifs de cette dernière édition. “Le marché de l’art très contemporain est actuellement plus fort qu’à Cologne. La foire berlinoise est aujourd’hui d’excellente qualité. Elle est admirablement organisée et dame même le pion à Art Basel du point de vue du design du salon et de la qualité de présentation des stands.”

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°125 du 13 avril 2001, avec le titre suivant : Une scène contemporaine en pleine effervescence

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