L’île aux trésors archéologiques

L’Antiquité au centre des musées berlinois

Le Journal des Arts

Le 13 avril 2001 - 1265 mots

La capitale allemande vient de jeter les bases d’un centre archéologique d’importance mondiale avec la réouverture du département des Antiquités du Altes Museum qui s’inscrit dans le cadre du redéploiement des collections des musées de Berlin.

La collection des Antiquités de Berlin va prochainement redevenir l’attrait principal de la “Museumsinsel”, l’île des Musées, dans le centre de la ville. Avec les trésors archéologiques du Musée du Louvre et ceux du Musée de l’Ermitage de Saint-Pétersbourg, elle constitue en effet l’une des premières collections au monde. En rouvrant ce département, la capitale allemande inaugure une véritable campagne de restructuration du principal étage de l’Altes Museum. Pour la première fois depuis 1939, y sont exposées des œuvres d’art exceptionnelles de l’Antiquité grecque et romaine. Cette présentation n’est pourtant que temporaire. Il faudra encore attendre une dizaine d’années avant que les collections, réunies à nouveau après la chute du Mur, puissent retrouver leurs trois sites d’origine : l’Altes Museum, le Neues Museum et le Pergamonmuseum. Après les travaux – qui comprendront une rénovation complète et coûteuse des bâtiments ainsi qu’une restauration des objets –, la présentation des collection sera totalement réorganisées.

Le Pergamonmuseum, qui offre un attrait touristique de premier ordre, avec ses 600 000 visiteurs par an, se maintient à la première place parmi les institutions culturelles les plus populaires de Berlin. Réinstallé après la Seconde Guerre mondiale dans l’est de la ville, il comprend, parmi ses “trésors” les plus spectaculaires, deux constructions monumentales : le Grand autel de Zeus à Pergame (IIe siècle avant notre ère), avec sa scène de Gigantomachie, et le Portail du Marché de Milet (époque romaine). Son aile sud abrite le Musée du Proche-Orient, lui aussi de première importance. Il réunit les antiquités des époques sumérienne, babylonienne, assyrienne et des régions du nord de la Syrie et de l’Anatolie de l’Est ; mises au jour par les fouilles allemandes entreprises entre 1888 et 1939, ces pièces sont parmi les plus réputées des collections. Les reconstructions babyloniennes sont par exemple uniques au monde, que ce soient la rue de la procession, le portail d’Ishtar et la façade de la salle du trône de Nabuchodonosor II.

L’influence des idées humanistes
Actuellement fermé pour rénovation, le “Bodemuseum”, qui tire son nom du fondateur du Musée, Wilhelm von Bode, est lui aussi situé sur l’île des Musées. Dès 1992, y ont été réunies les collections de sculptures et le Musée byzantin. Il contient des œuvres couvrant la période IIIe au XIXe siècle. Son fonds d’art copte de l’Antiquité tardive est de première importance, avec des sculptures funéraires et des pierres tombales, mais aussi des ivoires, des icônes, des objets sculptés en bois, des tissus, des peintures sur panneau et des céramiques.

Selon la Fondation Preussischer Kulturbesitz, qui gère l’ensemble de ces institutions, les frais engagés pour la rénovation de l’île des Musées s’élèvent à quelque 2 milliards de Marks allemands (6,7 millions de francs). Les projets prévoient la construction d’un bâtiment servant d’entrée principale adaptée aux besoins des visiteurs, des espaces pour des expositions temporaires, une médiathèque... “Mon gouvernement et moi avons la ferme intention, au cours des dix prochaines années, de reconstituer cette île au centre de Berlin, cette réunion extraordinaire de temples muséaux en collaboration avec les Länder”, promet le chancelier allemand Gerhard Schröder.

La constitution de l’ensemble de ces collections fabuleuses remonte à l’époque des rois de Prusse et est étroitement liée aux idées humanistes. Les princes électeurs brandebourgeois étaient amateurs d’objets de l’Antiquité “classique” qu’ils collectionnaient volontiers. Wilhem von Humboldt a ainsi incité le roi Frédéric-Guillaume III à créer un département égyptien. Ce contexte particulier était profitable aux recherches dans tous les domaines. Aussi, le linguiste G.F. Grotefend a connu ses premiers succès en décryptant les écritures orientales. En 1898, la création de la Société allemande d’orientalisme a jeté les bases de la recherche dans le domaine de l’archéologie orientale. L’Institut allemand d’archéologie (Deutsches Archeologisches Institut) a été fondé en 1829 à Rome par un groupe d’amis, de savants, d’artistes et de diplomates. Quelques années plus tard, il s’installe à Berlin. À partir du milieu du XIXe siècle, l’État prussien se charge du financement de l’institution, qui avait pour but la recherche en archéologie antique, l’épigraphie et la topographie, et de faire connaître ces disciplines auprès du grand public. L’Institut est aujourd’hui un centre de grande renommée, une institution fédérale sous la tutelle du ministère des Affaires étrangères.

L’Institut allemand d’archéologie dirige et finance une bibliothèque et une photothèque, qui sont accessibles aux scientifiques internationaux, et publie les travaux de ses chercheurs. Parmi les projets en cours figurent des fouilles à Aizani – une ville romaine dans l’ouest de l’Anatolie centrale – qui visent à apporter des informations concernant l’histoire des migrations et des populations dans ce secteur. Les travaux actuels se concentrent sur le temple de Zeus, sur un plateau où l’on a découvert des habitations de l’époque préhistorique. À Palairos, comme à Stratos et Stratiké, les archéologues souhaitent améliorer les données archéologiques concernant la région d’Arcadie, dans l’ouest de la Grèce, sur lesquelles des connaissances précises font défaut. À Palairos, centre historique de l’île Plagie, les autorités grecques envisagent de rendre le site découvert en 1855 plus accessible et de le gérer sur un plan tant historique que scientifique.

Le buste de la reine Néfertiti est conservé au Musée égyptien
De son côté, l’Université libre de Berlin offre aux futurs archéologues une formation adaptée. Au-delà de cours scientifiques, ce département gère une collection de moulages de plâtres de sculptures anciennes, remontant à 1695, et qui, jusqu’au début de la Seconde Guerre mondiale, fut peut-être la plus grande au monde. Elle a été recréée dans sa quasi-totalité ces dernières années grâce à une coopération avec la Fondation des musées fédéraux, en Prusse. Aujourd’hui, une partie de cet ensemble est visible dans le quartier de Charlottenbourg, à quelques pas du Musée égyptien qui va également bientôt disposer d’espaces plus appropriés. Ce musée, actuellement installé dans un bâtiment néoclassique en face du château de Charlottenbourg, possède l’une des collections des plus riches au monde. Des œuvres telles que le buste de la reine Néfertiti, dont la polychromie a été conservée intacte depuis l’époque amarnienne, ainsi que le portrait de la reine Teje, attirent environ 500 000 visiteurs par an. Cette collection - jadis royale - reflète le grand intérêt des Allemands du XIXe siècle pour la civilisation égyptienne, mais elle témoigne aussi des effets désastreux de la Seconde Guerre mondiale : le Neues Museum, qui l’abrite depuis 1850, fut alors gravement endommagé. Beaucoup d’œuvres ont brûlé, d’autres furent déplacées ou saisies par les Soviétiques, avant d’être restituées en 1958 et installées dans le Bodemuseum, sur l’île des Musées. Il s’agit notamment des grands cycles avec des reliefs, provenant de temples du IIIe millénaire avant notre ère, de statues monumentales et de rouleaux de papyrus. Les pièces qui avaient été entreposées en Allemagne de l’Ouest sont revenues à Charlottenbourg depuis 1967.

La réunification des deux collections, après la chute du Mur, a ouvert de nouvelles perspectives. La direction des Musées annonce la réalisation d’un programme pour les musées à la fin de cette année, avec un avant-projet de l’architecte David Chipperfield, et une politique de restauration proposée par Julian Harrap. Seulement pourra-t-on alors évaluer cet engagement pour la revalorisation de ces magnifiques collections.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°125 du 13 avril 2001, avec le titre suivant : L’île aux trésors archéologiques

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