États-Unis - Justice

Un portrait de Prince par Andy Warhol à l'étude devant la Cour suprême des États-Unis

Par LeJournaldesArts.fr (avec AFP) · lejournaldesarts.fr

Le 12 octobre 2022 - 678 mots

WASHINGTON / ÉTATS-UNIS

Une touche pop égaiera mercredi la très sérieuse Cour suprême des États-Unis, chargée de dire si Andy Warhol pouvait utiliser une photo de Prince dans son œuvre sans verser de droits à l'auteure du cliché.

Au cœur du conflit : seize portraits sérigraphiés réalisés en 1984 par le « pape du Pop Art » à partir d'une photo du légendaire musicien prise trois ans plus tôt par Lynn Goldsmith.

La photographe, connue pour avoir immortalisé plusieurs stars du rock, demande des droits d'auteur à la fondation Andy Warhol, qui les lui refuse. Après des décisions contradictoires des tribunaux, la Cour suprême doit désormais les départager. Elle en profitera pour clarifier le droit de la propriété intellectuelle en matière d'œuvres dites « transformatives », c'est-à-dire qui empruntent à une première œuvre pour aboutir à une création originale.

L'affaire trouve sa source en 1981. Lynn Goldsmith propose à l'hebdomadaire Newsweek de tirer le portrait d'un musicien qui commence à percer. Elle réalise plusieurs clichés en noir et blanc du jeune homme aux traits fins. En 1984, l'album « Purple Rain » propulse Prince au rang de star. Le magazine Vanity Fair veut lui consacrer un article et demande à Andy Warhol de réaliser son portrait dans le style de ses célèbres gravures colorées de Marilyn Monrœ ou Mao.

Contre 400 dollars, Lynn Goldsmith autorise le magazine à utiliser l'une de ses photos pour l'usage exclusif de cet article. Intitulé « Purple Fame », le texte est accompagné du visage de Prince, la peau violette et le cheveu de jais, qui se découpe sur un fond orange vif. La légende crédite à la fois l'artiste et la photographe.

« Vulnérable »

L'histoire en serait restée là, si Andy Warhol n'avait pas décliné cette photo sur tous les tons pour créer une série de 16 portraits du musicien, qu'il admirait pour son talent et son style androgyne.

Lynn Goldsmith a découvert leur existence en 2016 à la mort de Prince, quand Vanity Fair a publié en Une une image du « Kid de Minneapolis » tirée de sa photo mais tout orange cette fois. Elle a alors pris contact avec la fondation Andy Warhol, qui gère la collection de l'artiste depuis sa mort en 1987 et avait touché 10 250 dollars pour cette publication.

La fondation a immédiatement saisi la justice pour faire reconnaître ses droits exclusifs sur la série. La photographe a contre-attaqué. Un juge de première instance a donné raison à la fondation en estimant qu'Andy Warhol avait transformé le message de l'œuvre. Pour lui, Lynn Goldsmith s'est attachée à montrer Prince comme une personne « vulnérable, mal à l'aise », tandis que les portraits d'Andy Warhol soulignent son statut d'« icône, plus grand que nature ».

Une cour d'appel a toutefois invalidé son raisonnement, en estimant que les juges ne pouvaient pas jouer « les critiques d'art et analyser les intentions et les messages des œuvres », et devaient se contenter d'évaluer les similarités visuelles entre les œuvres. Selon sa décision, Andy Warhol n'a pas fait « d'ajout ou de modification » suffisants pour ne rien devoir à Mme Goldsmith.

« Génie »

La fondation s'est alors tournée vers la Cour suprême, en lui demandant de rejeter l'« incroyable » requête de Lynn Goldsmith. La photographe « veut que la Cour déclare l'œuvre d'Andy Warhol - qui est universellement reconnu comme un génie du XXe siècle à l'origine du mouvement Pop Art - non transformative et donc illégale », s'étranglent ses avocats dans un exposé transmis à la haute cour.

Mais l'intéressée ne voit pas les choses ainsi. Son argumentaire rappelle qu'elle a été payée et créditée en 1984 et pas en 2016. « Le droit de la propriété intellectuelle ne peut pas avoir une règle pour les sérigraphies violettes et un autre pour les orange », notent ses représentants.

Les neuf sages de la Cour devront donc dire si une œuvre est « transformative » parce qu'elle véhicule un message différent de sa source, ou parce qu'elle est visuellement différente. Sa réponse, attendue d'ici au 30 juin, sera lourde de conséquences pour le monde de l'art qui, comme les tribunaux américains, se divise sur la réponse à apporter.

Par Charlotte Plantive

Cet article a été publié par l'AFP le 12 octobre 2022.

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