États-Unis - Justice

Si les artistes se respectaient mieux…

Par Emmanuel Fessy · Le Journal des Arts

Le 25 juillet 2023 - 624 mots

ÉTATS-UNIS

Les cris d’orfraie poussés avant et après la décision de la Cour suprême des États-Unis dans l’affaire Fondation Andy-Warhol versus Lynn Goldsmith ne se justifient pas.

La Cour suprême des États-Unis à Washington © USCapitol Public Domain
La Cour suprême des États-Unis à Washington

La liberté de création des artistes s’emparant d’une image existante n’est pas brutalement entravée ; le marché de l’art, en particulier celui de Warhol, ne va pas subir un tsunami, même si la Cour a débouté la Fondation le 18 mai. Revenons sur les faits. Ils démontrent surtout la cupidité d’un Andy Warhol (1928-1987) à la fin de sa vie et de sa Factory, le déclin de leur puissance créative, ainsi que les contradictions successives de la jurisprudence américaine dans la protection du copyright.

En 1984, Vanity Fair veut publier un article consacré à Prince, star émergente grâce à son album « Purple Rain ». Pour l’illustrer, le magazine choisit un portrait réalisé par Lynn Goldsmith, photographe reconnue pour ses reportages sur des musiciens, et demande à Warhol de le retravailler. La photographe reçoit 400 dollars de droits de reproduction. Quant au roi du pop art, il sent le filon de la starisation de Prince : au lieu d’une seule sérigraphie, il en réalise quatorze, plus deux dessins. Son intervention se borne à jouer des couleurs, à maquiller les yeux et les sourcils de Prince, à surligner sa chevelure. Un apport dérisoire au regard des métamorphoses opérées vingt ans plus tôt sur les clichés d’un Elvis Presley, d’une Marilyn Monroe ou Liz Taylor. Depuis, douze œuvres de la série « Prince » ont été vendues par la Fondation, quatre sont au Musée de Pittsburgh.

2016 : décès de Prince. Pour sa couverture, Vanity Fair sollicite la Fondation qui lui révèle l’existence de la série. Le magazine préfère reproduire une sérigraphie sur fond orange, plutôt que celle au visage violet déjà utilisée en 1984. La Fondation encaisse 10 000 dollars de droits, Lynn Goldsmith rien et n’est pas créditée comme en 1984. Celle-ci, découvrant la nouvelle version, proteste auprès de la Fondation qui saisit la justice pour faire reconnaître ses droits exclusifs sur la série. Un juge de première instance lui donne raison en estimant que Warhol avait transformé le message du portrait. Goldsmith montrait un Prince « vulnérable, mal à l’aise », alors que Warhol souligne son statut d’« icône ». Une cour d’appel invalide ce jugement, en affirmant que les juges ne peuvent se substituer « aux critiques d’art et analyser les intentions et les messages des œuvres » et doivent se contenter d’évaluer les similarités visuelles entre les œuvres. Warhol n’a pas accompli « d’ajout ou de modification » suffisants.

Dans son arrêt, la Cour suprême – saisie encore par la Fondation Warhol – relate cet historique mais, à la surprise générale, se concentre à examiner seulement le premier des quatre critères énoncés dans le Code des États-Unis afin d’établir s’il y a eu un fair use (un « usage loyal ») de l’œuvre préexistante. Si l’utilisation de l’image transformée est très distincte de celle de l’œuvre originale, si elle lui apporte une valorisation, alors le fair use s’applique et aucun droit ne doit être versé. Par sept voix contre deux, la Cour a estimé que le portrait original en noir et blanc de Goldsmith et la reproduction de la sérigraphie de Warhol visaient le même but commercial : illustrer des articles sur Prince dans des magazines. Elle a donc condamné la Fondation à verser des droits à la photographe, mais a bien précisé que ce jugement ne concernait que la sérigraphie orange et pas les quinze autres pièces de la série. Elle n’a pas provoqué de tremblement de terre, mais a posé une pierre supplémentaire dans la jurisprudence compliquée, car contradictoire, du fair use, qui empêche encore aux États-Unis de définir une ligne directrice. Sa décision devrait au moins inciter les artistes à plus de respect mutuel. Pédagogique aujourd’hui, à l’époque d’Instagram et de l’intelligence artificielle.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°614 du 23 juin 2023, avec le titre suivant : Si les artistes se respectaient mieux…

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