Art contemporain - Politique

Un artiste dissident russe rentre après vingt ans d’exil

MOSCOU / RUSSIE

Avdeï Ter-Oganyan avait fui son pays en 1998 après une performance qui avait donné lieu à une enquête de la justice.

Moscou. L’actionniste russe Avdeï Ter-Oganyan (58 ans), célèbre pour ses performances radicales durant les années 1990, est rentré dans sa patrie à la mi-juin, après deux décennies d’asile politique en République tchèque. Apothéose de sa carrière russe, l’action Jeunes impies réalisée en décembre 1998 lui avait valu l’ouverture d’une enquête pénale selon l’article 282 du Code pénal punissant l’incitation à la haine. Les poursuites judiciaires avaient constitué alors un précédent, préfigurant l’emprisonnement des Pussy Riot en 2012 et l’atmosphère d’autocensure en place aujourd’hui dans l’art contemporain russe.

Avdeï Ter-Oganyan n’y était pas allé de main morte. Pendant une édition de la foire bisannuelle d’antiquités et d’art moderne Art Manège, l’artiste d’origine arménienne avait débité à la hache une reproduction d’icône orthodoxe sans valeur commerciale. Les autorités (le maire et le patriarche de Moscou), très conservatrices, avaient immédiatement exprimé leur indignation, réclamant des sanctions contre l’artiste. Les poursuites pénales engagées faisaient risquer à l’artiste une peine allant de deux à cinq années de prison.

Série d’exils politico-artistiques

Ter-Oganyan s’exila en République tchèque sans attendre le procès, demandant et obtenant l’asile politique. Ce faisant, il devenait le premier réfugié politique pour des actions artistiques. Mais pas le dernier. En 2000, l’actionniste Oleg Mavromatti (également connu pour sa participation au groupe ETI) quittait le pays, menacé par le même article 282. Sa performance Ne crois pas tes yeux, au cours de laquelle il se fit crucifier, provoqua également une levée de boucliers chez les orthodoxes fondamentalistes. Mavromatti travaille et vit toujours entre les États-Unis et la Bulgarie. En 2012, c’était au tour de trois membres des Pussy Riot d’être inquiétées pour une « prière punk » contre Vladimir Poutine dans la cathédrale du Christ Saint-Sauveur. Suivies en 2013 de deux membres du collectif Voina (« Guerre »), proches des Pussy Riot.

Cette liste non exhaustive se termine par Piotr Pavlenski, qui s’est exilé en France en 2017 avec sa compagne pour échapper à des poursuites judiciaires. Incorrigible, Piotr Pavlenski a été condamné à un an de prison en France pour avoir incendié une porte de la Banque de France au cours de sa dernière « action ».

Un actionniste connu et influent

Avdeï Ter-Oganyan a été un des membres fondateurs de la communauté artistique de Rostov « L’art ou la mort », qui comprenait aussi Yuri Shabelnikov, Valery Koshlyakov, Alexander Sigutin. Au début des années 1990, Ter-Oganyan créa une des premières galeries d’art contemporain dans le fameux squat de Triokhproudny. Il était à l’époque l’un des actionnistes les plus connus de Russie avec Oleg Kulik et Alexander Brenner.

Même s’il y a prescription pour les faits reprochés, Ter-Oganian conserve une aura suffisamment sulfureuse pour le ministère de la Culture, qui a bloqué en 2010 l’exportation vers la France de ses œuvres dans le cadre de l’exposition « Contrepoint russe » présentée au Musée du Louvre. Après la mobilisation des autres artistes de l’exposition, qui menaçaient de s’en retirer, le ministère céda et autorisa la sortie des œuvres de Ter-Oganian.

Durant son absence, l’artiste a continué d’être exposé à Moscou par le galeriste Marat Guelman (qui s’est aussi exilé depuis quatre ans) et par d’autres, ainsi qu’à Prague, sa terre d’accueil. Il a continué d’exercer une influence sur la culture russe. Son cycle de dessins « Abstractionnisme radical » a été sélectionné pour le prix Innovatsia en 2006. Plusieurs de ses œuvres sont conservées au Musée russe de Saint-Pétersbourg et à la Galerie Tretiakov de Moscou.

Débarquant tout juste de son avion, l’artiste s’est confié au site News.ru : « Il était temps de revenir », a-t-il expliqué en arborant une mine ravie qui contrastait avec ses propos. « La situation actuelle ne me plaît pas du tout, et pas seulement à Moscou […] En général, le niveau des jeunes artistes contemporains en Russie est très mauvais ». Quoi de plus naturel qu’une provocation pour reprendre sa carrière russe là où il l’a laissée ?

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°527 du 5 juillet 2019, avec le titre suivant : Un artiste dissident russe rentre après vingt ans d’exil

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