Thomas Hirschhorn - « Faire de l’art politiquement »

Par Manou Farine · L'ŒIL

Le 25 septembre 2008 - 608 mots

On le dit intimidant et peu commode. Il est en réalité direct et volontiers loquace.

On identifie son travail à un chaos autoritaire de cartons, magmas, références et gros Scotch, là où il est d’abord précis et toujours explicite. Thomas Hirschhorn raconte son travail avec un enthousiasme sans faille, soucieux de préciser le moindre détail. La faute peut-être à ce parcours buissonnier et aux fruits tardifs qu’il aura donnés.

Un seul après-midi passé comme graphiste chez Grapus
C’est que ce fils de comptable, élevé à Davos dans les montagnes du canton des Grisons, commence par la fameuse Schule für Gestaltung à Zurich, d’inspiration bauhausienne. « Je ne voulais pas être artiste, explique-t-il fermement. Je voulais être graphiste. » Être graphiste pour le jeune Hirschhorn, c’est réfléchir – déjà – à la manière dont la forme peut se nouer au politique. Être graphiste, c’est surtout faire partie du groupe Grapus, son idéal en la matière au début des années 1980. « Des purs et durs, raconte-t-il. J’aimais leur engagement et c’est pour eux que je suis venu à Paris. »
La suite est moins belle qu’espérée. « Je voulais faire ce que j’appelais du graphisme pour moi-même. C’est-à-dire inventer, chercher, sans être tributaire d’un commanditaire ! Mais même au sein de l’atelier Grapus, ça n’était pas possible… » Il ne passera finalement qu’un après-midi dans leur atelier.
L’échec le laisse amer, mais sera décisif. Hirschhorn reste à Paris et poursuit obstinément, difficilement, ses recherches à base de collages, d’images, de formes, de textes préexistants ou de prélèvements d’affiches. Dans l’isolement le plus total, il vivote de petits boulots. « J’ai mis des années avant de comprendre que mon problème n’était pas une question de graphisme ou de technique. Ça ne voulait pas dire me mettre à peindre ou à faire l’artiste, mais faire ce que j’avais toujours fait, en le déplaçant dans le champ de l’art. » Au fond, défendre ses formes et ses idées.

Assumer la forme, au risque d’être ridicule
Carton, bois, éponges, les débuts travaillent le petit format. Très vite, les accumulations d’éléments symboliques et précaires redistribuent la responsabilité de l’artiste comme celle du spectateur. Il enrubanne de Scotch brun – il faut que « ça tienne » –, spectacularise et amplifie ses formats. « Faire grand, c’est dire mon engagement, répond-il à ceux qui y voient la tentation du monumental. C’est aussi prendre de la distance avec les signes que j’utilise. » Textes, signes, objets, coupures de presse, au fond le collage reste son outil premier.
Hirschhorn sort du musée, souvent, implique le spectateur/citoyen, parfois, dérange, paie de sa personne en tenant le siège de quelques expositions, s’appuie sur les débats culturels et politiques du moment. On se souvient de son violent boycott de la Suisse et du scandale qui s’ensuivit au moment de l’élection du conseiller fédéral d’extrême droite Blocher, fustigeant la bonne conscience démocratique. « Je ne fais pas de l’art politique, je fais de l’art politiquement », martèle Hirschhorn, qui goûte plus volontiers la compagnie des écrivains et philosophes que celle des artistes.
« Le problème des artistes en France, analyse-t-il, c’est que le contenu suffit à valider une œuvre. Même si le travail est en prise avec le réel, on a peur de s’abandonner à la forme, qui est perçue comme une faiblesse. Il faut accepter d’être faible. Moi, j’accepte d’être ridicule parfois ; je préfère être courageux que malin. »

Biographie

1957
Naissance à Berne (Suisse).

1978
École des arts décoratifs de Zurich.

1984
Travaille pour Grapus, un collectif communiste de designers.

1999
Biennales de Venise et de Lyon.

2001
Obtient le premier prix Marcel Duchamp.

2008
Vit et travaille à Aubervilliers

"German Angst", Neuer Berliner Kunstverein, Berlin (Allemagne)
www.nbk.org, jusqu'au 2 novembre 2008

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°606 du 1 octobre 2008, avec le titre suivant : Thomas Hirschhorn - « Faire de l’art politiquement »

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