Nomination

Quentin Bajac au Jeu de Paume, l’état reprend la main

Par Christine Coste · Le Journal des Arts

Le 28 novembre 2018 - 1042 mots

PARIS

L’arrivée du conservateur du département photographie du MoMA de New York, témoigne d’un nouveau rapport de force dans un lieu issu de la fusion en 2002 de trois structures.

Paris. Après Régis Durand et Marta Gili, Quentin Bajac est le nouveau directeur du Jeu de paume. Une nomination qui a été bien accueillie de manière générale et qui réveille le souvenir du contexte dans lequel, il y a seize ans, s’est opérée la reconversion du centre d’art. Lorsqu’en 2002 Jean-Jacques Aillagon annonce la transformation de la galerie nationale du Jeu de paume – alors vouée aux arts plastiques – en un lieu consacré à la photographie, la vidéo et le multimédia, Quentin Bajac est encore conservateur de la photographie au Musée d’Orsay, et à quelques mois de son départ pour le Musée national d’art moderne (Mnam) au Centre Pompidou. La décision du ministre de la Culture de fusionner le Centre national de la photographie (CNP) installé dans l’hôtel Salomon de Rothschild avec le Jeu de paume et le Patrimoine photographique en une structure unique et commune est alors perçue comme un règlement de compte avec Daniel Abadie, directeur du Jeu de paume. Lettres de pétitions d’artistes et de galeristes, grèves du personnel des structures concernées suivent la décision.

L’ouverture en juin 2004 du Jeu de paume nouvelle formule sous la direction de Régis Durand, directeur du CNP, n’apaise guère les esprits en interne. L’arrivée dans la foulée d’Alain-Dominique Perrin à la présidence de l’institution à la demande du nouveau ministre de la Culture, Renaud Donnedieu de Vabres, inquiet de la tournure de la décision de son prédécesseur, s’inscrit dans la nécessité d’avoir aux côtés de Régis Durand un chef d’entreprise rompu aux réorganisations et aux discussions avec les syndicats. Il est alors administrateur exécutif de la compagnie financière Richemont et se révéle « un président précieux dans ses conseils et soutiens » pour Régis Durand comme pour Marta Gili, comme ils aiment le rappeller. La Manufacture Jaeger-LeCoultre, filiale du groupe Richemont est l’un des deux partenaires financiers (1) les plus importants du Jeu de paume avec la banque Neuflize OBC.

Le tout-puissant Alain-Dominique Perrin

Au cours des premières années du Jeu de paume nouvelle formule, Alain-Dominique Perrin met ainsi à disposition ses avocats pour traiter la délicate fusion des trois associations en une seule et régler au mieux la compression du personnel consécutive. Le conseil d’administration du Jeu de paume porte d’ailleurs encore dans sa composition cette histoire d’union imposée, comme l’indique le statut de l’institution encore enregistré sous l’appellation « association de préfiguration du Jeu de paume ». Derrière la dynamique du Jeu de paume et la notoriété acquise par sa programmation, il ne fut effectivement pas toujours facile pour Régis Durand ou Marta Gili d’hériter de cette histoire.

Certains ont vu dans leur nomination la volonté d’Alain-Dominique Perrin d’imposer ses choix. C’est oublier que Régis Durand a été nommé deux ans avant que le fondateur et président de la Fondation Cartier pour l’art contemporain n’accepte de prendre aussi la présidence du Jeu de paume. Certes la participation de Régis Durand et de Marta Gili au Printemps de Cahors, créé par Marie-Thérèse Perrin, a favorisé leurs rencontres. Le choix de la directrice du département photographies et arts visuels de la Fondation Caixa de Barcelone par le conseil d’administration du Jeu de paume pour succéder à Régis Durand, démissionnaire en juin 2006, irrite à l’époque Renaud Donnedieu de Vabres. Il voit en effet dans le rejet par le conseil d’administration du Jeu de paume des deux autres candidats soumis par la direction générale des arts plastiques – Catherine Grenier et Bernard Blistène – « la toute-puissance d’Alain-Dominique Perrin [pour] imposer ses choix ». « Le Jeu de paume est un lieu d’État que nous finançons à 70 %. Si le conseil d’administration a émis un souhait, il appartient au ministre de décider », déclare aux Rencontres d’Arles de 2006 le ministre très remonté, qui se rangera néanmoins à l’avis du conseil d’administration.

Le retour de l’État

Douze ans plus tard, la procédure de nomination de Quentin Bajac montre un rééquilibrage des rapports. Le jury constitué a été mis en place conjointement par le Jeu de paume et la Direction générale de la création artistique, tutelle de l’institution. Aux côtés de deux représentantes du ministère et d’Alain-Dominique Perrin, ont siégé Xavier Canonne, François Cheval, Michel Poivert, Suzanne Cotter, Claire Le Restif, Mathieu Pernot et Esther Shalev-Gerz. Au-delà de la réputation de Quentin Bajac, ce choix validé par le ministre, puis par le conseil d’administration du Jeu de paume, peut donc être vu comme un retour du ministère – qui ne compte au demeurant aucun membre dans le conseil d’administration – dans le processus décisionnel. En particulier à un moment où se pose la question de l’avenir de certaines archives de photographes de renom (William Klein ou Frank Horvat) et que la Médiathèque du patrimoine et de l’architecture (ex-Patrimoine de la photo) entend être plus active sur ce terrain depuis l’arrivée de Gilles Désiré dit Gosset à sa tête.

On peut présumer que le parcours de Quentin Bajac, passé par le Mnam et la direction du département de la photographie du MoMA à New York, renforcera les expositions patrimoniales du Jeu de paume. « Je m’inscris plus dans la continuité que dans la rupture avec le programme de Marta », souligne Quentin Bajac. Quand certains voient dans sa nomination un retour à la pure photographie, il corrige : « L’identité du Jeu de paume repose sur la photographie et l’image. Mes prédécesseurs ont ouvert les portes. Il faut continuer à les ouvrir. J’ai toujours travaillé dans des musées pluridisciplinaires, où la photographie était en dialogue avec d’autres disciplines, d’autres départements. »

Son arrivée au Jeu de paume, prévue au premier trimestre 2019, s’inscrira nécessairement dans la programmation de Marta Gili. Aux monographies, grandes dominantes de l’institution, Quentin Bajac veut cependant adjoindre davantage de projets thématiques. Après avoir passé vingt-cinq ans dans des grandes structures, le nouveau patron du Jeu du paume dit avoir envie aujourd’hui « d’incorporer de nouvelles formes de structures plus réactives, moins formelles et solennelles ». Ce qu’est effectivement l’institution parisienne, avec succès.

 

 

(1)Le budget 2017 du Jeu de paume s’élève à 7,57 millions d’euros financés à 65 % par le ministère de la Culture et 35 % par des ressources propres dont 7 % de mécénat

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°512 du 30 novembre 2018, avec le titre suivant : Quentin Bajac au Jeu de Paume, l’état reprend la main

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