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Philippe Toussaint : « Le code de l’urbanisme l’emporte sur le code du patrimoine »

Président de l’association Vieilles Maisons Françaises

Par Jean-Christophe Castelain · Le Journal des Arts

Le 27 octobre 2015 - 1399 mots

Philippe Toussaint, président de VMF, s’inquiète de certaines dispositions de la loi création, architecture et patrimoine.

Philippe Toussaint préside l’association Vieilles Maisons Françaises (VMF), une des huit associations de sauvegarde du patrimoine, réunies au sein du « G8 ». Ancien élève de l’ENA et inspecteur des finances, il a longtemps exercé des responsabilités dirigeantes dans des groupes financiers. Il est maire d’une commune rurale dans l’Orne. VMF et le G8 dénoncent plusieurs dispositions de la loi sur la liberté de création, architecture et patrimoine.

VMF a-t-elle été consultée par les auteurs de la loi ?
Oui, avec les autres associations patrimoniales du G8. Nous avons été reçus à plusieurs reprises par Vincent Berjot, le directeur du Patrimoine au ministère de la Culture et par Patrick Bloche, le président-rapporteur de la commission Culture de l’Assemblée nationale. Je peux dire que nous avons été entendus sur un certain nombre de points, par exemple la présence des associations dans les nouvelles commissions régionales et nationales, ou encore la prise en compte des paysages et des espaces ruraux dans la définition des Cités historiques, mais malheureusement par sur toutes nos demandes.

Reconnaissez-vous des avan­cées positives dans le volet patrimonial de la loi ?
Oui tout à fait, notamment la protection de l’intégrité des domaines nationaux ou l’inscription dans la loi des sites Unesco. Mais on ne sent aucun dessein, aucune stratégie derrière cet ensemble disparate. Le patrimoine est un atout économique et culturel fantastique pour ce pays, on devrait avoir une volonté plus nette pour le mettre en valeur.

S’agissant des abords, quelle est la disposition qui vous inquiète ?
Dans la loi actuelle, le principe de base est simple, les abords sont constitués d’un périmètre de 500 mètres autour du monument historique (MH). Sans la protection des abords, la protection des MH est un leurre. Avec la nouvelle loi, les maires et les architectes des bâtiments de France (ABF) sont priés de définir des périmètres raisonnés, avec l’intention affichée de réduire ce périmètre. Il est même possible de limiter l’abord à l’emprise du MH, ce qui envoie un mauvais signal. Cela entraîne la systématisation des périmètres de protection adaptés (PPA) et modifiés (PPM) qui étaient jusqu’à présent l’exception. Par ailleurs la définition des abords a changé, il ne s’agit plus de l’ensemble des immeubles « qui participent de l’environnement d’un monument historique », mais de ceux qui « forment avec le monument historique un ensemble cohérent ». Faut-il entendre qu’à côté d’un château du XVIe siècle, n’entrent dans les abords que les édifices voisins du XVIe ? Cela restreint le nombre d’immeubles visés, de surcroît avec un critère subjectif, au détriment de la protection du MH ! De plus le périmètre des 500 mètres a l’intérêt de protéger le petit patrimoine qui se trouve souvent à proximité d’un MH.

Pourtant la loi supprime le critère de covisibilité, qui peut-être subjectif, et introduit plusieurs garde-fous, tels que le rôle des ABF et la réalisation d’une enquête publique ?
La covisibilité est un critère qui permet de s’adapter à chaque projet ! Précisée par la jurisprudence, elle est devenue objective et son utilité a maintes fois été constatée. Alors pourquoi changer la notion des 500 m, qui marche bien depuis soixante-dix ans ? C’est ce que j’appelle les conquérants de l’inutile.

Que craignez-vous avec les futures Cités historiques ?
D’abord je ne les aurais pas appelées ainsi, « Secteur patrimonial » aurait été plus parlant pour les habitants. Mais là n’est pas le problème principal. Partons de l’existant pour bien comprendre notre inquiétude. Il y a aujourd’hui trois types de secteurs protégés : les secteurs sauvegardés dont les servitudes sont définies par l’État et qui s’appuient ou non sur un plan de sauvegarde et de mise en valeur (PSMV), les zones de protection du patrimoine architectural (ZPPAUP), les plus nombreuses et qui ont très bien fonctionné et les aires de valorisation de l’architecture et du patrimoine (AVAP), très peu nombreuses, que le gouvernement Fillon a imposées en remplacement des ZPPAUP.

En quoi les ZPPAUP fonction­naient bien ?
Parce que la définition du périmètre et du contenu d’une ZPPAUP était élaborée conjointement entre le maire et l’ABF, c’était un duo. C’était plus souple et moins coûteux qu’un secteur sauvegardé et un PSMV. En 2010, il y avait des centaines de maires prêts à créer des ZPPAUP, on était parti pour en avoir 1 000 avant que l’on créé les AVAP.

Pourquoi les avoir supprimées en 2010 pour les remplacer par des AVAP ?
En 2010, il y avait une volonté acharnée de ténors de la majorité de l’époque, Christian Jacob en tête, qui trouvaient insupportable le diktat des ABF, défendus par les associations du patrimoine. Finalement on est arrivé à ce compromis hypocrite que sont les AVAP et ce, porté par une loi environnementale, la loi Grenelle II, émanant du ministère de l’Écologie !

Peut-on revenir en arrière et supprimer la loi couperet de 2010 qui transforme automatiquement les ZPPAUP en AVAP ?
Il me paraît impossible au Gouvernement de revenir sur la transformation en AVAP, mais il faudrait revenir à l’équilibre maire-ABF qui prévalait dans les ZPPAUP.

Et donc qu’est-ce qui vous gêne dans les Cités historiques ?
La loi ne propose plus que deux modes de gestion du contenu, soit le PSMV, soit ce qu’on appelle le plan local d’urbanisme (PLU) patrimonial qui n’a de patrimonial que le nom. La majorité des maires vont se précipiter vers le PLU patrimonial, dans lequel l’ABF n’existe quasiment plus. Le contenu n’est absolument pas cadré au contraire des ZPPAUP. Les modifications peuvent se faire à chaque changement de majorité ou en fonction des desiderata des administrés. Le code de l’urbanisme c’est-à-dire le PLU tout court, l’emporte ainsi sur le code du patrimoine. C’est une catastrophe, car cela fragilise le système et certains maires risquent de faire n’importe quoi.

Précisément, ne faut-il pas plutôt responsabiliser les élus sur la question patrimoniale ?

Certes, mais il n’est pas toujours facile pour un élu de résister à la pression d’un administré ou d’un promoteur immobilier. Le caractère régalien des servitudes patrimoniales protège le maire. Entendons-nous bien, nous ne sommes pas opposés à ce que l’on remplace un bâtiment moche par une belle architecture, mais celle-ci doit être justement belle. Par ailleurs, les élus sont dans leur majorité des gens responsables et on a besoin d’eux par exemple pour identifier le petit patrimoine, ce que l’on fait très mal en France au titre de l’inventaire. Moi je connais chacun des bâtiments patrimoniaux de ma commune.

De nombreuses critiques, qu’elles viennent de la droite ou de la gauche sont dirigées contre les Cités historiques. Comment expliquer que la ministre tienne à cette loi ?
Tout simplement parce qu’elle n’a pas le choix : elle a hérité d’une situation où 600 ZPPAUP étaient à sauver. Quant à l’outil proposé, il doit reposer sur un équilibre obtenu après négociations entre ministères et, notamment, avec celui de l’écologie. On oublie souvent que le ministère de l’Écologie est lui-même très partagé entre l’écologie et les lobbys de la construction qui surveillent de près les chausse-trappes que « ces andouilles du patrimoine » veulent mettre dans leurs pas.

Que reprochez-vous aux nouvelles dispositions relatives aux découvertes archéologiques fortuites ?
Nous ne sommes pas opposés à ce que l’État soit propriétaire des biens archéologiques découverts fortuitement, mais nous voulons que les inventeurs, propriétaires du terrain soient indemnisés. Aujourd’hui ils reçoivent la moitié des biens trouvés. Le projet de loi ne prévoit pas d’indemnisation dès lors que le bien est reconnu d’intérêt scientifique. Nous proposons qu’ils reçoivent une indemnisation d’un quart de la valeur. Sans indemnisation, les découvreurs ne déclareront rien !

Quelles informations avez-vous concernant les défiscalisations « Malraux » et « monument historique » ?
Sur l’amendement proposant de réinstaurer l’agrément fiscal pour les MH inscrits et labélisés, ou détenus en SCI, supprimé lors de la dernière loi de finances, la ministre a laissé la porte ouverte, arguant que cela relève d’une loi de finances, mais nous restons très vigilants. Il y a eu des précédents calamiteux qui ont failli tuer la défiscalisation Malraux. Or les enjeux sont considérables. Il y a des milliers de logements vides dans les espaces sauvegardés des centres-villes. Si on n’aide pas les gens en leur permettant de déduire de leurs impôts une partie des travaux, ils ne feront pas de travaux et ces logements resteront vides. Faire des cités historiques vides ça n’a pas de sens, il faut que des gens y vivent.

Légende photo

Philippe Toussaint. © Photo : Cécile Degremont/VMF.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°444 du 30 octobre 2015, avec le titre suivant : Philippe Toussaint : « Le code de l’urbanisme l’emporte sur le code du patrimoine »

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