Patrick de Carolis à Marmottan : « je veux réussir le mariage de l’émotion et de la connaissance »

Par Fabien Simode · L'ŒIL

Le 27 janvier 2014 - 2098 mots

Un an après son élection à la direction du musée, le journaliste académicien détaille ses chantiers pour moderniser l’institution.

L'œil L’Académie des beaux-arts vous a élu en janvier 2013 à la direction du Musée Marmottan Monet dont elle a la gestion. Dans quel état avez-vous trouvé l’institution à votre arrivée ?
Patrick de Carolis :
J’ai été élu par mes pairs pour tracer une voie d’avenir pour ce musée. Dès que j’ai pris mes fonctions, j’ai très clairement dit que je réaliserais un audit du musée et de son organisation et que je lancerais le récolement de son fonds pour en connaître très clairement l’« état ». Ce récolement, nous le terminons aujourd’hui, après un an de travail. Il s’agissait d’abord pour moi d’être transparent, ensuite d’évaluer nos collections afin de pouvoir les valoriser auprès des chercheurs et des universitaires ; c’est pourquoi nous avons par exemple numérisé, parallèlement au récolement, les œuvres de nos collections, mais aussi l’ensemble du fonds documentaire du musée, constitué de pièces rarissimes concernant Claude Monet, Berthe Morisot, etc. Le Musée Marmottan Monet n’est pas un musée comme les autres. C’est un musée de collectionneurs et d’artistes. Les premiers de ces collectionneurs sont nos donateurs Jules et Paul – le père et le fils – Marmottan qui nous ont légué en 1932 l’hôtel particulier dans lequel nous logeons et leurs collections Empire. Le musée s’est ensuite constitué au fil des legs, comme celui de Victorine Donop de Monchy, héritière de Georges de Bellio, le médecin de Manet, Pissarro, Sisley…, qui fait entrer en 1957 dans les collections le chef-d’œuvre du musée, Impression, soleil levant de Monet. Puis le musée a reçu le legs de Michel Monet (le second fils du peintre), le fonds Rouart (descendants de Berthe Morisot), les enluminures de Daniel Wildenstein, etc. Avec eux sont entrés les œuvres des artistes, mais aussi leur esprit.

Votre prédécesseur, Jacques Taddei, est décédé brutalement en juin 2012. Quel bilan tirez-vous de son passage à la direction ?

Jacques Taddei a mis toute son énergie pour faire reconnaître l’institution et l’ouvrir davantage au public. Son passage a été extrêmement positif. Aujourd’hui, nous faisons face à des problématiques nouvelles, celle par exemple de la modernisation de notre établissement. Je souhaite par ailleurs amplifier son rôle sur la scène internationale.

Le musée n’a-t-il pas déjà cette reconnaissance internationale ?
Il l’a, en effet, et celle-ci est considérable. Je le vois à la rapidité des réponses souvent positives que l’on accorde à nos demandes de prêts. Les prêteurs étrangers savent que le musée possède le premier fonds mondial de Claude Monet et de Berthe Morisot ; ce qu’en France, on ne sait pas toujours… Nos collections sont souvent plus célèbres que le musée.

Vous a-t-on invité, au sein de l’Académie, à présenter votre candidature ?
Dès mon entrée à l’Académie des beaux-arts, j’ai eu conscience des responsabilités qui incombent à chaque académicien. Être académicien, c’est plus qu’une reconnaissance, c’est un engagement. L’Académie n’est pas une médaille, c’est une responsabilité. Ces responsabilités, je les ai assumées en tant que membre de la Commission administrative des beaux-arts au sein de laquelle j’ai participé à la gestion du musée. Ma candidature s’inscrit dans le cadre de mon engagement au sein de l’Académie des beaux-arts et le prolonge.

Quelles ont été vos premières décisions pour « moderniser » le musée ?

J’ai d’abord souhaité généraliser et appliquer des méthodes de travail et de management actualisées, précises et conformes aux standards internationaux les plus rigoureux. Moderniser le musée, cela implique également d’agir sur son bâtiment. Tout en le préservant, nous devons le mettre aux normes de sécurité et d’accessibilité, le doter d’espaces supplémentaires et d’équipements modernes. L’une de mes premières décisions a été de rénover deux salles du premier étage qui étaient fermées à cause de la faiblesse du plancher. Ces salles seront rouvertes ce mois-ci et attribuées à Berthe Morisot. J’ai également souhaité que Claude Monet retrouve sa salle permanente au sous-sol. L’accrochage pourra évoluer en fonction de nos souhaits, de nos prêts, mais nous ne décrocherons plus Monet au gré des expositions temporaires. Notre musée qui a grandi par ses donations se doit d’être fidèle à l’esprit des legs de ses bienfaiteurs.

Certains legs ne sont-ils pas respectés ?

Chaque musée a son histoire. Je ne suis pas là pour la réécrire. Je suis là, avec l’appui de mes confrères de l’Académie des beaux-arts, pour tracer l’avenir. Notre établissement a dû faire face à une croissance hors norme. En 80 ans d’existence, il a doublé ses collections avec Monet et Berthe Morisot. Le musée a donc connu de réelles difficultés pour exposer l’intégralité de ses fonds. À mon arrivée, j’ai réfléchi à un redéploiement des collections, conçu comme une nouvelle manière d’habiter notre maison dans le respect de l’esprit de nos fondateurs. L’hôtel particulier a été rendu à Paul Marmottan, le mobilier et les collections Empire vont ainsi retrouver les salons qu’ils ornaient de son vivant. Les Monet ont rejoint la salle qui avait été conçue pour les accueillir en 1966, les enluminures de Daniel Wildenstein demeurent dans leur salle au premier étage où nous venons d’ouvrir les nouveaux espaces réservés à la Fondation Denis et Annie Rouart (Berthe Morisot). Ces salles ne sont pas prises sur l’hôtel particulier de Paul Marmottan, elles sont issues de ses anciennes dépendances. Enfin, j’ai choisi de ne pas occuper le pavillon de fonction qui m’était proposé et de restituer cet espace au musée. Paul Marmottan souhaitait y accueillir des chercheurs. Nous en étudions la faisabilité. J’ai par ailleurs le souhait de développer l’éveil artistique à destination des jeunes. Mon prédécesseur avait commencé à le faire avec des ateliers pédagogiques que nous prévoyons de renforcer. J’ai aussi d’autres projets qui impliqueront de nouveaux espaces.

De quels autres projets parlez-vous ?
J’ai pour objectif de créer un café-restaurant. C’est un service que nous devons rendre à nos visiteurs. Il manque, au sein du musée, un lieu de convivialité où prendre un café, voire déjeuner. Tout cela est à l’étude.

La dernière exposition programmée par Jacques Taddei, « Les Sœurs de Napoléon », se termine aujourd’hui. Quelle est votre programmation ?
Je voudrais réussir le mariage de l’émotion et de la connaissance. Pour cela, nous devons programmer des expositions attractives tout en les rendant porteuses de sens. En 2014, le musée fête un double anniversaire : les 80 ans de son ouverture au public et les 140 ans de la première présentation d’Impression, soleil levant de Monet. Pour fêter les 80 ans, nous programmons donc, à partir du 13 février, une exposition, sous le commissariat de Claire Durand-Ruel Snollaerts et de Marianne Mathieu, qui rend hommage aux collectionneurs : « Les Impressionnistes en privé, 100 chefs-d’œuvre de collections particulières ». En huit mois, nous avons pris le pari de frapper à la porte des collectionneurs du monde entier pour faire venir des œuvres impressionnistes rarement montrées. Au final, ce sont cent pièces signées des plus grands peintres, prêtées par cinquante collectionneurs, que nous allons révéler au public ! Au second semestre, pour l’anniversaire d’Impression, soleil levant, nous présenterons une exposition qui racontera la véritable histoire du tableau : comment a-t-il été exposé pour la première fois ; par quelles collections est-il passé ; comment a-t-il été baptisé, puis débaptisé avant de retrouver son nom d’origine, dans quelles conditions et pourquoi est-il entré au Musée Marmottan Monet, etc. Pour cette manifestation, nous avons procédé à une étude scientifique approfondie, qui a révélé d’ailleurs un tableau en parfaite santé. Le catalogue de l’exposition et un documentaire qui sera diffusé sur France 5 à la rentrée 2014 rendront compte de cette étude et de l’histoire à bien des égards romanesque d’Impression, soleil levant. Nous poursuivrons enfin, en 2015, avec une exposition sur la naissance de l’intime, sous la direction de Georges Vigarello et de Nadeije Laneyrie-Dagen, avant d’accueillir les chefs-d’œuvre de la collection Arthur et Hedy Hahnloser de la Villa Flora.

Quelles sont vos relations avec les autres institutions ?
Excellentes ! Je travaille actuellement à la création d’un club des musées de collectionneurs, dans lequel pourrait justement faire partie la Villa Flora à Winterthour, mais aussi la Frick Collection à New York, la Wallace Collection à Londres, le Clarck Institute dans le Connecticut, la Fondation Beyeler à Bâle, la Fondation E.G. Bührle à Zurich, le Musée Kröller-Müller à Otterlo… Ce club, dont l’ambition est d’offrir un esprit et un rapport différents à l’approche artistique et culturelle, sera mis en œuvre dès cette année.

Et avec Orsay, les relations sont-elles apaisées ?
Il y a sans doute eu beaucoup d’incompréhension entre les uns et les autres, mais, je l’ai dit, je n’ai pas à réécrire l’histoire. Oui, les relations entre Orsay et Marmottan sont aujourd’hui apaisées. J’entretiens d’excellentes relations avec Guy Cogeval, qui préside l’un des plus beaux musées de France.

À quelles principales difficultés et quels principaux enjeux le musée doit-il faire face ?

Nous devons fidéliser nos visiteurs, qui doivent revenir au musée plusieurs fois par an. Je travaille actuellement à une proposition d’événements mensuels qui iront dans ce sens et qui compléteront nos deux grandes expositions annuelles. L’autre difficulté reste notre situation géographique. Le musée est excentré, nous devons le rendre davantage accessible.

Comment le musée, qui appartient à l’Académie des beaux-arts, est-il financé ?
Nous sommes l’un des rares musées en France à s’autofinancer. Nous ne recevons aucune subvention. Nos ressources proviennent de la billetterie, de la boutique, de la privatisation des lieux et des expositions que nous organisons à l’étranger à partir de nos collections. Certains de nos tableaux reviennent de Taipei, d’autres seront prochainement envoyés à Shanghai, puis au Japon en 2015, etc. Ces recettes nous permettent d’équilibrer notre budget. D’ailleurs, en 2013, le musée a rendu un bilan positif tout en finançant les travaux de rénovation que je vous ai exposés. Nos profits sont réinvestis dans la modernisation de notre musée (travaux de désenfumage, de climatisation, création d’un ascenseur pour personnes à mobilité réduite…).

Vous ne parlez pas de mécénat, pourquoi ?
Les travaux engagés par mes prédécesseurs l’ont été grâce au mécénat, par exemple celui de la Fondation Bettencourt Schueller pour l’aménagement en 2011 de la galerie qui accueille actuellement nos expositions temporaires. Mais nous devons considérablement développer le mécénat. C’est une politique qu’il nous faut intensifier.

L’évocation en décembre de l’envoi en Chine par la France de La Liberté guidant le peuple de Delacroix a posé, à nouveau, la question des prêts et de la circulation des œuvres. Comment le musée, dont le financement repose en partie sur la location d’expositions, aborde-t-il ce sujet ?
Le Musée Marmottan Monet traite des centaines de demandes de prêts par an. Il est vrai que si l’on veut recevoir des prêts pour nos expositions temporaires, nous devons également prêter des œuvres de nos collections. Mais la priorité que nous donnons est toujours celle de la santé de nos œuvres. Chaque tableau possède son propre carnet de santé ; il est ausculté, examiné par nos spécialistes et nos restaurateurs, qui donnent leur avis sur la possibilité ou non de le faire voyager. Certains tableaux ne sortent jamais ! Parallèlement, nous devons garantir une présentation irréprochable de nos collections à Paris. Nous devons donc respecter un savant équilibre entre rayonnement international et présentation des collections in situ. Une politique de prêt trop intensive peut mettre cet équilibre à mal.

Vous avez été élu à la direction du Musée Marmottan Monet pour une période de cinq ans. En dépit de vos diverses activités, animateur et producteur d’émissions, écrivain, académicien… Comment faites-vous pour tout gérer ?
Un proverbe chinois dit : quand vous avez quelque chose d’important et d’urgent à faire, confiez-le à quelqu’un de très occupé. Ce sera vite et bien fait. Je sais par ailleurs m’entourer d’une équipe sur laquelle je peux compter. En ce qui me concerne, j’ai la chance de vivre ma passion, d’évoluer dans un monde de culture et d’être l’un des passeurs entre ce monde-là et le grand public. Mon approche audiovisuelle, à travers les émissions Des racines et des ailes ou Le Grand Tour, a toujours été d’essayer de rendre intelligible l’intelligence. Je suis un passeur, mon métier a toujours été de susciter le désir de culture. Je ne fais finalement rien d’autre au Musée Marmottan Monet.

Patrick de Carolis

1953 Naissance en Arles

1974 Diplôme de l’École supérieure de journalisme de Paris

1997-2005 Coproducteur et animateur de l’émission Des racines et des ailes sur France 3

2005-2010 Président-directeur général de France Télévisions

2012 Retour à la télévision avec l’émission Le Grand tour

2013 Il est nommé directeur du Musée Marmottan Monet

« Les Impressionnistes en privé »

Du 13 février au 6 juillet. Musée Marmottan Monet. Ouvert du mardi au dimanche de 10 h à 18 h. Nocturne le jeudi jusqu’à 20 h. Tarifs : 10 et 5 e.

Commissaires : Claire Durand-Ruel, historienne de l’art et Marianne Mathieu, adjointe au directeur du musée. www.marmottan.fr

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°665 du 1 février 2014, avec le titre suivant : Patrick de Carolis à Marmottan : « je veux réussir le mariage de l’émotion et de la connaissance »

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