Vénus aux bains par la lorgnette

Le Musée Marmottan se rince l’œil

En livrant une étude sur l’histoire de la toilette, le Musée Marmottan-Monet retrace surtout celle du nu féminin

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 24 février 2015 - 745 mots

Comment est-on passé du rituel public du bain à la Renaissance à l’intimité de la salle de bains de nos jours ? Le Musée Marmottan-Monet apporte quelques réponses avec « Naissance de l’intime », exposition retraçant l’histoire de l’hygiène corporelle et de ses représentations. La sélection détaille en filigrane l’évolution du nu féminin.

PARIS - « Qu’est-ce que ça se lave, une femme au cinéma… qu’est-ce qu’elles peuvent se doucher, se baigner, s’asseoir sur des bidets… » Dans son éditorial pour le programme des 15e Journées cinématographiques dionysiennes, festival de films au féminin qui s’est tenu à Saint-Denis (Seine Saint-Denis) début février, Virginie Despentes entonne un refrain bien connu sur la répartition sexiste des rôles au cinéma. L’écrivaine déplore le systématisme de certains films, où l’action repose sur les épaules des acteurs, qui se distinguent par la violence et les armes, et où le récit réserve des temps morts aux actrices chargées de parader en petite culotte. Si Virginie Despentes ne s’aventure pas à remonter aux origines antiques de cet automatisme parfois inconscient, le « bain prétexte » fait, hasard du calendrier, l’objet d’une exposition au Musée Marmottan-Monet.

« La toilette. Naissance de l’intime » suit en premier lieu l’évolution de la représentation de la toilette du XVIe siècle à nos jours, pour en tirer une étude sur l’hygiène à travers les âges. Mais cet accrochage, où la quasi-majorité des œuvres réalisées par des hommes pour une clientèle masculine représentent des jeunes femmes en tenue légère, offre surtout une variation sur le même thème : la figure féminine dénudée. Qu’est ce que ça se lave, une femme vue par les artistes… Dans un bain en pleine nature, entourée de vassaux et de servantes, sur une tapisserie de 1500 illustrant la vie seigneuriale. En se frottant les mains, les pieds et le visage par peur d’attraper des maladies transmises par l’eau chez Jacob Ochtervelt (Une jeune femme se coupant les ongles, v. 1670-1675). En inspectant son corps à la recherche de vermine chez Georges de la Tour (Femme à la puce, 1638). En utilisant un bidet chez François Eisen (Jeune femme à sa toilette, 1742). En rêvassant dans un bain chaud chez Pierre Bonnard (Nu dans la baignoire, v. 1940 ?)…

Le naturel retrouvé
Grâce aux domaines de connaissances complémentaires des commissaires – l’historienne de l’art Nadeije Laneyrie-Dagen et l’historien Georges Vigarello, spécialiste des questions d’hygiène – le parcours offre deux niveaux de lecture parallèles. Au fur et à mesure que la toilette devient plus personnelle, en passant d’un acte devant un public choisi à un rite mené derrière une porte close, les représentations de la toilette perdent en hiératisme et cérémonie pour gagner en spontanéité. L’espace se réduit, le regard passe par le trou de la serrure, le corps occupe tout le cadre et se libère. En témoigne la très belle série de tableaux impressionnistes, Édouard Manet en tête (Femme nue se coiffant, 1879), où le corps féminin se délie et va jusqu’à se contorsionner chez Edgar Degas. La mutation est totale : au moment où l’académisme, qui avait érigé le nu féminin au rang de symbole de la beauté, est jeté aux orties, les pinceaux se libèrent et capturent la sensualité d’un corps imparfait qui découvre le plaisir du bain – l’accès à l’eau chaude se généralisait alors.

Sans surprise, le XXe siècle parachève cette dissociation entre le corps féminin et la beauté. Dès lors, le nu est réduit au niveau de motif que Pablo Picasso, Marcel Gromaire ou Julio González se plaisent à explorer. Et les femmes finissent par trouver leur place. Lorsque Bettina Rheims photographie la sublime Karen Mulder à l’institut de beauté, le regard teinté de défi de cette dernière est digne de celui de l’Olympia de Manet. Le modèle n’est plus objet mais sujet. Le retournement des rôles est complet avec l’œuvre la plus touchante de la sélection : un diptyque de petits autoportraits signés Brigitte Aubignac (2014), qui montrent le visage de l’artiste en gros plan comme reflété dans un miroir au moment du maquillage. Le cadrage et l’action sont les seuls de l’exposition à refléter un vrai visage de femme à la toilette. Son corps est hors champ, elle ne se donne pas en spectacle et se concentre sur elle-même, sans se soucier du regard extérieur.

La toilette

Commissaires : Nadeije Laneyrie-Dagen, professeure d’histoire de l’art à l’École normale supérieure (ENS) et Georges Vigarello, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS)
Nombre d’œuvres : env. 90

La toilette. Naissance de l’intime

Jusqu’au 5 juillet, Musée Marmottan-Monet, 2, rue Louis-Boilly, 75016 Paris, tél. 01 44 96 50 33, www.marmottan.fr, tlj sauf lundi 10h-18h, 10h-21h le jeudi, entrée 11 €. Catalogue, coéd. musée Marmottan Monet/Hazan, 224 p., 29 €.

Légende photo
D’après Abraham Bosse, La Vue (femme à sa toilette), après 1635, huile sur toile, 104 x 137 cm, Musée des Beaux-Arts, Tours. © Musée des Beaux-Arts de Tours.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°430 du 27 février 2015, avec le titre suivant : Le Musée Marmottan se rince l’œil

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