Art contemporain - Festival

Nuit blanche | « Nous voulions une édition qui célèbre les 20 ans »

Par Fabien Simode · L'ŒIL

Le 30 septembre 2022 - 1323 mots

GRAND PARIS | ROUEN | LE HAVRE

Créée en 2002 par la ville de Paris, Nuit blanche fête samedi 1er octobre ses vingt ans. Carine Rolland (adjointe à la Maire de Paris en charge de la Culture) et Kitty Hartl (directrice artistique de cette édition) reviennent sur les ingrédients du succès d'un événement qui, à partir de 2023, se déroulera au printemps.

Nuit blanche fête ses 20 ans. Qu’est-ce qui explique son succès ?

Carine Rolland - C’est d’abord la force de l’idée de départ, selon laquelle l’art est une histoire de rencontres. Nuit blanche ambitionnait d’inventer une nouvelle manière de faire se rencontrer les artistes, les œuvres et les habitants. Ensuite, le succès tient à la vitalité de l’art contemporain, en France et ailleurs. Mais je n’oublie pas non plus le rôle des différents directeurs artistiques. Il est très important de réfléchir à celui ou à celle qui sera le bon chef d’orchestre pour une Nuit blanche donnée. La Nuit de 2002 n’est pas la même que celle de 2022, parce que Paris n’est plus la même : les habitants ont changé, on ne s’y déplace plus de la même manière… Cette année, nous avons donc confié à Kitty Hartl le soin d’élaborer cette édition anniversaire.

En invitant Kitty Hartl, qui se situe à la croisée des arts, quel esprit souhaitiez-vous donner à Nuit Blanche ?

C. R. -  Depuis deux éditions, Nuit blanche s’ouvre à d’autres esthétiques que les arts plastiques. Nous voulions une édition qui célèbre les 20 ans, tout en l’inscrivant dans son époque. Nous connaissions Kitty Hartl, qui a participé à Nuit blanche aux côtés de Jean Blaise en 2005. Pour nous, Kitty permet cette belle alchimie entre les artistes, tout en nous emmenant dans un moment festif et joyeux.

Carine Rolland. © Sophie Robichon / Ville de Paris, 2020
Carine Rolland.
© Sophie Robichon / Ville de Paris, 2020
Vous parlez de l’ouverture d’un « nouveau chapitre ». De quoi S’agit-il ?

C. R. -  C’est une manière d’affirmer que Nuit blanche s’étend à travers d’autres villes (dans le Grand Paris, mais aussi à Rouen et au Havre) tout en s’ouvrant à de nouvelles esthétiques. C’est une édition charnière. Par ailleurs, Anne Hidalgo a souhaité consulter les Parisiens et les Grands Parisiens sur le calendrier de l’événement qui, dès 2023, se tiendra en juin et non plus en octobre.

Ne craignez-vous pas de changer de Calendrier ?

C. R. - Pour Nuit blanche, nous craignons toujours tout jusqu’au dernier moment : la programmation, les intempéries, etc. Mais, non, nous ne craignons pas ce changement de calendrier. Ce sont les habitants qui ont choisi de déplacer Nuit blanche en juin. C’est bien que la démocratie s’invite, aussi, sur ce point !

Quels sont les temps forts de 2022 ?

Kitty Hartl - J’ai tenu à proposer une édition pluridisciplinaire, avec un équilibre entre installations et performances. Ce qui m’intéresse, depuis 20 ans que je travaille avec Jean Blaise, c’est d’installer des œuvres dans l’espace public et de les mettre en scène. Il y a donc moins d’œuvres, mais elles sont plus monumentales et s’inscrivent dans un parcours que l’on peut effectuer facilement à pied. Ma vision de Nuit blanche est très généreuse : établir un échange avec le public. Pour cette édition anniversaire, j’ai invité le collectif hollandais Smack qui, dans Speculum, réinterprète Le Jardin des délices de Jérôme Bosch. Il s’agit d’un triptyque numérique monumental de 7 m présenté dans le jardin Nelson-Mandela et à Rouen. L’œuvre est ludique et populaire, tout en ayant une lecture critique envers notre société contemporaine. Stephanie Lüning installera également une sculpture éphémère en mousse face au Centre Pompidou. La piazza de Beaubourg se transformera en une grande toile colorée. Ce sera très beau et très drôle à la fois. Cette œuvre sera, elle aussi, produite au Havre et à Rouen.

Kitty Hartl. © Joséphine Brueder / Ville de Paris, 2022
Kitty Hartl.
© Joséphine Brueder / Ville de Paris, 2022
Quelle est la frontière entre l’art et le Divertissement ?

K. H. - Avec Jean Blaise, nous nous posons sans cesse la question. Je me suis questionnée, par exemple, avec l’œuvre de Stephanie Lüning. N’allait-on pas me reprocher son aspect facile et coloré ? Mais, pour moi, il s’agit d’une sculpture qui transforme son environnement. Sur le parvis de l’Hôtel de Ville, cette œuvre ne fonctionnerait pas, mais, face au Centre Pompidou, elle dialogue avec le bâtiment, et c’est dans ce dialogue qu’elle fait œuvre.

Dans la perspective des Jeux olympiques et paralympiques de 2024, Nuit blanche s’inscrit cette année dans l’Olympiade culturelle. Quel lien y a-t-il entre l’art et le sport ? N’y a-t-il pas une forme de récupération ?

C. R. Ce n’est pas de l’opportunisme. Il faut rappeler que l’Olympiade culturelle est inscrite dans la charte de l’olympisme, qui impose de préparer, pour la ville hôte, les prochains Jeux. Dès que les Jeux de Tokyo se sont arrêtés, nous sommes entrés dans l’Olympiade culturelle. Par ailleurs, la maire de Paris, Anne Hidalgo, souhaite que toute la ville, ses institutions et ses habitants, se tournent vers les Jeux au-delà du seul mois de juillet 2024. Les Jeux olympiques, ce sont des valeurs (la fraternité, le dépassement de soi, les échanges internationaux…) sur lesquelles l’art a autant à dire que le sport. 
Au-delà de Nuit blanche, nous avons lancé un appel à projets auprès des artistes, qui fonctionne très bien. Les artistes sont passionnés par ce sujet et s’en emparent de manières très différentes. Cela a donné une Histoire du football féminin par Hortense Belhôte au Carreau du Temple, un Boléro de Ravel dans un gymnase, etc. Oui, nous nous sommes posé la question de l’opportunisme, mais, comme souvent, les artistes ont dépassé complètement cette question en faisant des propositions inattendues.

Comment faites-vous pour financer Nuit blanche en période de contrainte budgétaire ?

C. R. L’événement est financé par la Ville de Paris, par la Métropole du Grand Paris et par des mécènes, fidèles pour certains, comme LVMH, la Maif ou la Société foncière lyonnaise (SFL). Nous avons vu, après le Covid, un intérêt renouvelé de la part des mécènes pour ce genre de manifestation. Le budget reste très conséquent pour un événement d’une nuit, même si certaines œuvres ont vocation à rester. Bien sûr que nous faisons avec la contrainte budgétaire, et cela s’entend en termes de sobriété. La crise a des conséquences monstrueuses, mais c’est aussi cela prendre des décisions politiques : faire avec son époque.

K. H. Et c’est un exercice très difficile à l’échelle d’une ville comme Paris ! C’est ce qui rend aussi cet exercice passionnant.

Comment prenez-vous en compte l’écologie dans Nuit blanche ?

C. R. Nuit Blanche est de plus en plus respectueuse de la planète. Dans le bilan carbone d’un événement, c’est souvent la manière dont les spectateurs se déplacent qui est le poste le plus lourd. Mais c’est moins vrai à Paris qu’ailleurs, grâce aux transports en commun, à la politique des mobilités douces menée par Anne Hidalgo, etc. Nous devons également faire un travail pour garder certaines œuvres plus longtemps. En termes de développement durable, la question des dépenses est une chose, la question de la durée d’un événement en est une autre. C’est une question que l’on se pose dans le spectacle vivant comme à Nuit blanche.

Êtes-vous optimiste pour l’avenir de ce type d’événement ?

C. R. Oui. Il faut certes que ces événements évoluent, comme tout le secteur de la culture, mais je reste optimiste parce que la culture est fondamentale pour continuer à bien faire société. Nous ne pouvons tout simplement pas nous passer de l’art et de la culture, sauf à basculer parmi les sociétés autoritaires qui visent plus à leur propre fin qu’à leur pérennité.
 

Kitty Hartl

La directrice artistique de Nuit blanche a participé au lancement du Lieu unique à Nantes et fondé, en 2004, le Cabaret New Burlesque. Elle partage actuellement avec Jean Blaise la direction artistique d’Un été au Havre.


4 000 artistes 

ont été présentés à Nuit blanche depuis sa création en 2002.

 

« Nuit blanche, qui évoque vaguement les nuits blanches de Saint-Pétersbourg, ne correspond à aucun segment de marché, pas seulement parce que tout y est gratuit, mais aussi parce que la démarche artistique y est inhabituelle. » Le Monde, 4 octobre 2002.

Carine Rolland
Élue du 18e arrondissement, est adjointe à la maire de Paris en charge de la culture et de la ville « du quart d’heure ».
Kitty Hartl
assure la direction artistique de la 20e édition de Nuit blanche.
INFORMATION

Retrouvez la programmation de la Nuit blanche 2022 sur le site de la mairie de Paris

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°758 du 1 octobre 2022, avec le titre suivant : Nuit blanche | « Nous voulions une édition qui célèbre les 20 ans »

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