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A New York, une petite fille sans peur mais pas sans reproches

NEW YORK / ÉTATS-UNIS

La Mairie de New York donne six mois aux propriétaires de « Fearless Girl » ou « Fillette sans peur », sculpture en bronze trônant devant la Bourse, pour lui trouver un emplacement définitif et mettre ainsi fin à cinq ans de débats.

Kristen Visbal, <em>Fearless Girl</em>, 2017, bronze, 121 cm, vue de la statue lorsqu'elle était placée en face du <em>Charging Bull</em> d'Arturo Di Modica à Manhattan  © Anthony Quintano
Kristen Visbal, Fearless Girl, 2017, bronze, 121 cm, vue de la statue lorsqu'elle était placée en face du Charging Bull d'Arturo Di Modica à Manhattan

New York. La commission municipale en charge du design public de New York a décidé, le 11 avril dernier, que Fearless Girl (2017, voir ill.), petite sculpture en bronze installée face au New York Stock Exchange (NYSE), le bâtiment de la Bourse dans le quartier de Wall Street, pourrait demeurer à cet emplacement encore onze mois. À l’origine totem publicitaire temporaire, celle-ci devait être retirée en décembre. C’était sans compter sa popularité et ses puissants soutiens. La commission donne désormais six mois aux propriétaires de la sculpture, à l’artiste Kristen Visbal ainsi qu’à la Ville pour trouver un nouvel emplacement, définitif cette fois.

La municipalité souhaiterait ainsi mettre fin à l’incertitude qui entoure le sort de Fearless Girl depuis le 7 mars 2017, jour où la société de gestion d’actifs State Street Global Advisors la fait installer dans le square de Bowling Green derrière le NYSE, face au célèbre Charging Bull (1989), le taureau en bronze d’Arturo Di Modica devenu symbole de Wall Street. En cette veille de journée internationale des droits des femmes, l’entreprise veut faire la promotion de son nouveau fonds de placement regroupant des sociétés « qui se classent parmi les meilleures de leurs secteurs en matière d’égalité femmes-hommes ». À la manœuvre, l’agence de communication McCann : c’est elle qui souffle à State Street, son client, l’idée d’une œuvre d’art publique pour célébrer « le pouvoir des femmes dirigeantes et le potentiel de la prochaine génération de leadeuses », plus efficace qu’une campagne publicitaire classique.

Kristen Visbal, Fearless Girl, La petite fille qui n'a peur de rien
Kristen Visbal, Fearless Girl (la petite fille qui n'a peur de rien)

Pari gagnant. En l’espace de quelques semaines, la sculpture de Kristen Visbal, qui défie du haut de son mètre et demi les 3 200 kilos de muscles en bronze du vieux taureau, génère près de 7,4 millions de dollars (6,9 millions d’euros) de publicité gratuite pour State Street, d’après Bloomberg News. En même temps, la fillette devient vite populaire : une pétition en ligne pour son maintien définitif rassemble 2 500 signatures en près de 48 heures et les touristes sont chaque jour plus nombreux à faire la queue pour prendre la pose, imitant son attitude : les mains sur les hanches, le menton dressé et le sourire en coin. Le succès est tel que la Mairie annonce porter à trente jours le permis temporaire d’une semaine accordé initialement.

Un « coup marketing » devenu symbole politique

Puis la politique prend le relais. Le 27 mars 2017, le maire démocrate Bill de Blasio annonce en grande pompe, devant la sculpture, que celle-ci continuerait finalement de défier le taureau jusqu’au 8 mars 2018. Quelques semaines plus tôt, une grande marche féministe réunissait à Washington plusieurs centaines de milliers de manifestants contre la politique de Donald Trump, tout juste arrivé à la Maison Blanche. « Juste après ça, cette fillette miraculeuse fait son apparition : si elle provoque un sentiment si profond, c’est parce qu’elle fait écho au moment », commente Bill de Blasio. La pétition en ligne reccueille alors 28 000 signatures et les démocrates new-yorkais en font un symbole de leurs combats nationaux.

La sculpture est pourtant loin de faire l’unanimité. Arturo Di Modica, l’auteur du taureau, dénonce rapidement une « astuce publicitaire » qui détourne son œuvre et en déforme la perception. Et Blasio de lui répondre dans un tweet cinglant : « Les hommes qui n’apprécient pas que les femmes prennent davantage de place sont la raison même pour laquelle nous avons besoin de “Fearless Girl” ». Le maire choisit alors de faire fi des nombreuses prises de position féministes qui critiquent un « coup marketing » donnant à peu de frais une image progressiste à une société qui ne compte pourtant que 5 femmes sur 28 dans son équipe dirigeante et dont le bilan en matière d’égalité femmes-hommes est très discuté.

En novembre 2018, la fillette est déplacée de Bowling Green jusque devant le NYSE « pour raisons de sécurité », sans doute aussi parce que le rapprochement avec le taureau représentait une « vulnérabilité juridique », selon Norman Siegel, l’avocat de Di Modica. Depuis, State Street demande régulièrement la prolongation de son permis. Le sursis de onze mois qui vient de lui être accordé n’a pas calmé la colère de ceux qui dénoncent un traitement de faveur accordé à une société s’affranchissant ouvertement de tous les protocoles municipaux en matière d’art public. Et qui profite encore, cinq après, de publicité gratuite.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°588 du 29 avril 2022, avec le titre suivant : Une petite fille sans peur mais pas sans reproches

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