Education

Musées pour enfants : une rentrée difficile

À Paris et à Troyes, la baisse des subventions menace de fermeture deux musées dédiés à l’éveil artistique des enfants. Preuve que ce n’est pas encore une priorité des élus

Par Sophie Flouquet · Le Journal des Arts

Le 15 septembre 2009 - 1514 mots

Structures culturelles dédiées à la jeunesse, le Musée en Herbe, créé en 1975 à Paris, et le Môm’art, inauguré en 2006 à Troyes, risquent tous deux de fermer leurs portes faute de subventions nécessaires. Preuve que, contrairement aux discours officiels, l’éducation artistique n’a pas la faveur des élus.

Il y a les déclarations publiques et la réalité. D’un côté des textes officiels inscrivant l’histoire des arts, par une circulaire en date du 29 avril 2008, dans les programmes scolaires de l’école primaire et du collège, de l’autre des initiatives sabordées par les collectivités publiques et abandonnées par le ministère de la Culture. Telle est la triste réalité hexagonale des musées pour enfants, modèle né aux États-Unis à la fin du XIXe siècle, où il existe aujourd’hui plus de 200 établissements privilégiant une pédagogie active stimulant la curiosité des enfants sur des sujets artistiques, scientifiques, environnementaux ou sociétaux. Or, deux des rares musées français existant sont aujourd’hui menacés de mettre la clef sous la porte.
À Paris, c’est un pionnier, le Musée en Herbe, créé en 1975 au Jardin d’Acclimatation, dans le Bois de Boulogne, qui risque de bientôt disparaître. Alors que le groupe de luxe LVMH, concessionnaire du jardin, a obtenu le départ du site de cette structure – tout comme celle de l’Exploradôme, musée interactif dédié aux sciences relogé à Vitry-sur-Seine –, c’est désormais la Mairie de Paris, l’un de ses principaux bailleurs de fonds, qui tente de lâcher le musée. Largement plébiscité par les familles pour sa pédagogie basée sur le jeu, l’établissement accueille pourtant près de 75 000 visiteurs par an, dont deux tiers via les écoles et les centres de loisirs. Installé depuis avril 2008 dans des locaux qu’il doit désormais louer au centre de la capitale, rue Hérold (Ier arrondissement), il est ainsi menacé de perdre 150 000 euros de subventions, soit la moitié de l’enveloppe allouée tous les ans par la Ville, sur un budget global de 900 000 euros, financé aux deux tiers restant par des ressources propres et des sponsors.

Malentendu
Le motif officiel demeure obscur : le musée accueillerait trop de petits franciliens et pas assez de parisiens… Sylvie Girardet, sa directrice, avoue ne pas s’expliquer cette décision. « Il s’agit sûrement d’un malentendu, explique-t-elle. Nous avons accepté de quitter le Bois de Boulogne et pris à cœur cette volonté d’attirer rue Hérold de nouveaux publics. » À ce jour, l’établissement, qui a reçu le soutien de nombreux professionnels des musées, est en état de « survie artificielle », des négociations étant en cours avec la Ville. Son sort devrait être scellé fin septembre, lors du prochain Conseil de Paris. Privée du pactole du produit des droits de mutation du fait du ralentissement du marché de l’immobilier, la municipalité a en effet décidé de pratiquer des coupes claires dans son budget consacré à la culture. Les musées en feront les frais en premier lieu. Dans ce contexte, le Musée en Herbe, de statut associatif, ferait-il de l’ombre aux services pédagogiques des musées estampillés Ville de Paris ? « Le Musée en Herbe est un terrain expérimental qui est complémentaire à l’action des musées », plaide Sylvie Girardet. Là où ces derniers, qui ont par ailleurs des contraintes liées à leurs collections, accueillent rarement les enfants avant cinq ans, le Musée en Herbe les prend en charge dès deux ans. Il est aussi un centre de formation qui a irrigué de nombreux musées avec des médiateurs formés à sa pédagogie. « L’une de nos meilleures récompenses a été d’assister à la création des services pédagogiques dans les musées », poursuit Sylvie Girardet. Avec le Centre Pompidou en tête qui, dès son ouverture, a proposé des ateliers pour enfants, tous les établissements se sont en effet progressivement ouverts aux plus jeunes. Le modèle s’est plus récemment imposé dans le privé, comme à la Pinacothèque de Paris ou à la Maison rouge, Fondation Antoine-de-Galbert, et même dans une galerie, comme celle de Magda Danysz, initiée aux premiers ateliers de Beaubourg à la fin des années 1970.
« La cible culturelle des enfants est plus récente, mais elle est devenue une tendance forte, car l’enfant est désormais prescripteur », note Marie-Pierre Lahalle, responsable de la rénovation de la Cité des enfants de la Villette. Si les musées accueillent désormais plus volontiers les enfants, peu d’établissements spécifiques ont pourtant vu le jour en France, contrairement à d’autres pays européens. « Les vernissages avec du jus de pomme et des biscuits ne semblent guère intéresser les élus », déplore un observateur. Le secteur scientifique fait toutefois figure d’exception, la Cité des enfants ayant fait des émules. Conçue dès la création de la Cité des sciences et de l’industrie en 1986 et rénovée en 2007, elle accueille pas moins de 700 000 visiteurs par an, soit la moitié de la fréquentation totale de l’établissement. « Contrairement aux arts, les sciences sont enseignées en milieu scolaire, précise Marie-Pierre Lahalle. Il s’agit peut-être de l’une des raisons pour lesquelles la césure entre écoles et musées d’art est plus importante. »

Mise en sommeil
Précurseur dans le domaine, la Cité des enfants a essaimé son concept et vendu son expertise aux quatre coins du monde, de Gênes à Beyrouth, de Valence à Singapour. Le Vaisseau de Strasbourg, créé en 2005 grâce au financement du conseil général du Bas-Rhin, constitue pourtant à ce jour la seule « fille » de la Cité des enfants à avoir ouvert dans l’Hexagone. Hors de Paris, la situation n’est guère florissante. À Troyes (Aube), c’est le Môm’art, structure associative créée en 2006, qui risque à son tour de disparaître. Après une douzaine d’expositions ayant accueilli près de 12 000 visiteurs par an – dans une ville de 100 000 habitants –, il est aujourd’hui mis en sommeil faute de parvenir à boucler son modeste budget de 90 000 euros. « Au bout de deux ans d’existence, nous pensions avoir suffisamment fait nos preuves pour que les collectivités nous soutiennent financièrement », regrette Caroline Rosnet, sa créatrice. Hébergé dans un local mis à disposition par le conseil général, dans le cadre d’un bail précaire, le Môm’art ne perçoit que 5 000 euros par an de la Ville de Troyes. Et pour l’État, via la direction régionale des Affaires culturelles (DRAC), ce projet né d’une « initiative citoyenne » ne rentre pas dans les critères de la politique culturelle de la région. Il n’est donc pas éligible aux subventions. Impossible, dans ces conditions, de pérenniser les emplois aidés pourtant hautement qualifiés qui avaient été créés : l’activité du Môm’art a dû être mise en sommeil.
Pour convaincre, Caroline Rosnet avait pourtant proposé d’étoffer son concept en associant le musée à une ludothèque, idée ambitieuse inspirée du modèle du Kinder Museum de Berlin. Baptisé La Bulle, le projet a été présenté en conseil municipal. Aucune suite ne lui a été donnée. « L’idée du Môm’art aurait pu être diffusée dans toutes les villes moyennes qui ne peuvent pas supporter la création d’une grosse structure », poursuit Caroline Rosnet. À condition d’une volonté politique qui demeure trop souvent atone sur cette question. Pour Michel Fréard, directeur du Centre de créations pour l’enfance de Tinqueux, centre d’art consacré aux enfants créé en 1960 dans cette commune de 10 000 habitants de l’agglomération de Reims, le gage de la pérennité réside dans l’indépendance financière. « Elle permet de ne pas être soumis à la pression des élus, explique-t-il. Or, le désengagement de l’État bouscule aujourd’hui les équilibres et a pour conséquence une perte d’indépendance du secteur culturel. » Pendant très longtemps, le budget du centre – 500 000 euros – a été abondé à part égale par la municipalité, la DRAC et les ressources propres de l’établissement. Or, en trois ans, l’État a sabré sa participation de 88 000 euros. « On sait qu’une partie de la population ne fréquente pas les musées, poursuit Michel Fréard, mais faut-il reprocher aux musées l’existence de cette ségrégation sociale ?»
À Tinqueux, où le centre rayonne bien au-delà de la seule commune, plusieurs initiatives originales et exemplaires ont été lancées dans le domaine des arts plastiques et de la poésie. Tous les enfants de la commune reçoivent ainsi, à leur naissance, un passeport culturel. Parmi les avantages qu’il procure, celui de recevoir tous les ans, jusqu’à l’âge de 11 ans, une œuvre d’art originale, une sérigraphie signée et numérotée. « À 11 ans, les enfants sont ainsi détenteurs d’une dizaine de pièces. C’est le début d’une collection, explique Michel Fréard, en fervent militant de cette démocratisation de l’accès à l’art. La question est de savoir comment élargir le cercle des connaisseurs. Ne s’agit-il pas de l’une des missions du ministère de la Culture ? Si l’éducation artistique est considérée comme un droit pour tous, alors il faut y mettre des moyens, et ne pas se contenter d’effets d’annonce. » Et de rappeler qu’en 1996, le rapport de Jacques Rigaud consacré à la refondation du ministère de la Culture faisait de l’éducation artistique et culturelle une « cause nationale ». Plus de dix ans après, l’appel n’a manifestement toujours pas été entendu.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°309 du 18 septembre 2009, avec le titre suivant : Musées pour enfants : une rentrée difficile

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