Photographie

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Musées de photographie : les rendez-vous manqués

Par Christine Coste · Le Journal des Arts

Le 13 décembre 2017 - 668 mots

L’auteure étudie la relation ambiguë entretenue par les pouvoirs publics avec la photographie entre 1838 et 1945.

En psychanalyse, la psychogénéalogie fait appel à la mémoire familiale, au vécu de ceux qui nous ont précédés. Elle permet de rechercher, dans l’histoire des ancêtres, les comportements récurrents explicatifs d’un état. On y pense à la lecture de l’histoire contrariée des velléités de création d’un musée de la photographie en France que raconte Éléonore Challine pour la période 1838-1945, tant on y retrouve des questionnements, des tergiversations et des problématiques récurrents d’une période à une autre. Le rapprochement avec la période actuelle est d’autant plus frappant qu’il est aussi question dans cette série de musées avortés, d’amnésies, d’histoires enfouies, de rivalités, comme de personnalités disparues et de grandes collections qui partent aux États-Unis à défaut d’avoir trouvé une institution d’accueil en France. Telle celle de Gabriel Cromer (1873-1934), photographe un temps, membre de la Société française de photographie, acteur de la redécouverte d’œuvres anciennes dans l’entre-deux-guerres. Le rachat de cette collection par la compagnie Eastman Kodak pour 500 000 francs à la veille de la Seconde Gerre mondiale n’a pas été sans provoquer d’émois. Il rappelait le sauvetage des photographies d’Eugène Atget par Berenice Abbott en 1928 et l’incapacité de l’administration des Beaux-Arts, acquisiteur, de conclure les démarches avec Gabriel Cromer.

« La collection, incarnation du rêve français du musée, est aussi emblématique du malentendu irrésolu qui s’est établi entre l’État et la photographie depuis le milieu du XIXe siècle, relève Éléonore Challine. Si ses services sont reconnus, le médium est alors tenu à distance », écrit-elle quelques pages plus loin. Et l’historienne de l’art, maître de conférences en ­photographie à l’université Paris-1 (Panthéon-­Sorbonne), d’analyser leurs rapports ambigus peu de temps après la création du médium, en 1825. L’intérêt de Napoléon III pour la photographie n’a impulsé aucun engagement politique de sa part contrairement à ce qui passe au même moment à Londres. Plus tard, l’incapacité de l’État à faire naître une institution en particulier durant les années 1930, période pourtant la plus propice à sa création, renvoie à son incapacité à fédérer. Henri Langlois, le père de la cinémathèque, a eu ainsi raison du projet de la photographe Laure Albin-Guillot, responsable des archives photographiques des Beaux-Arts, de créer un musée du cinéma, de la photographie et du disque.
 

Les revues offraient une meilleure exposition

Éléonore Challine raconte les multiples tentatives apparues dès 1840, dès l’appropriation du terme « musée » par des studios de photographe pour exposer leur production ou reproduction d’œuvres peintes. L’usage du terme dans l’édition de recueils de photographie en dit long de son côté sur l’idée confuse de ce qu’est un musée. Ce travail de thèse remanié en un livre à l’écriture déliée, au découpage alerte et à la maquette aérée dit bien les difficultés à définir en premier lieu ce qu’est, ou doit être, un musée pour la photographie, de photographies ou de la photographie selon les attentes, les modes et la conception technique, historique, documentaire ou artistique du médium.

Contrairement aux États-Unis, aucun historien de l’art ou photographe n’a pu mobiliser comme Beaumont Newhall et Edward Steichen au MoMA. Aucun photographe de l’avant-garde des années 1920-1930 ne s’est préoccupé de la création d’un musée ou de la reconnaissance de sa valeur artistique par un musée des beaux-arts. Les revues offraient alors une meilleure exposition.

« Les créations institutionnelles des années 1960-1980 ne sont jamais davantage référées à cette histoire contrariée », constate Éléonore Challine. Il est vrai que « déjà entre 1850 et 1945, s’il existait une conscience de l’ancienneté des demandes, il était rare que les projets fissent référence les uns aux autres : beaucoup avaient gardé un caractère confidentiel, formant un archipel aux îlots séparés, note-t-elle. Les défaites ne laissent pas de modèles ». Elles éclairent néanmoins le présent. On referme l’ouvrage, véritable bible sur le sujet, avec l’envie de connaître la suite. Les raisons notamment du grand trou noir que furent les années 1945-1980 pour la reconnaissance de la photographie en France par les pouvoirs publics.

 

 

Éléonore Challine, Une histoire contrariée. Le musée de photographie en France (1939-1945),
éd. Macula, 534 p., 33 €.

 

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°491 du 15 décembre 2017, avec le titre suivant : Musées de photographie : les rendez-vous manqués

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