Politique culturelle

Municipales 2020 : Rouen, les candidats misent sur le label européen

Par Véronique Pierron · Le Journal des Arts

Le 6 février 2020 - 1158 mots

ROUEN / SEINE-MARITIME

Création d’un espace d’art contemporain, d’un tiers lieu ou encore réhabilitation de patrimoine… Les postulants à la mairie ont bâti leurs projets culturels dans la perspective de la candidature de la ville au titre de Capitale européenne de la culture en 2028.

Vue de Rouen avec la cathédrale en arrière plan. © Photo Frédéric Bisson, 2016, CC BY 2.0
Vue de Rouen avec la cathédrale en arrière plan.
Photo Frédéric Bisson, 2016

Traumatisée par la catastrophe provoquée par le récent incendie de l’usine Lubrizol, Rouen se relève lentement en s’offrant un combat culturel : devenir Capitale européenne de la culture en 2028. Il faut dire que « la ville aux cent clochers » ne manque pas d’atouts avec treize musées, un opéra (1,30 M€ de subventions), un cinéma d’arts et d’essai, un centre photographique, deux théâtres, un lieu de création artistique, le Labo Victor Hugo, la salle de concert du 106 (1,34 M€) ou encore le festival Normandie Impressionniste (300 000 €). Rouen Métropole a d’ores et déjà décidé de l’accompagner dans cette aventure, en consacrant à cette candidature un budget de 86 000 euros.

Rouen la battante attire bien des convoitises pour les prochaines élections, d’autant plus que le maire Yvon Robert (PS) a décidé de jeter l’éponge. Cinq candidats sont déjà déclarés. Pour l’écologiste Jean-Michel Bérégovoy : « La culture à Rouen a trop les yeux fixés dans le rétroviseur avec des offres passéistes fondées essentiellement sur son patrimoine. » Une tendance issue de son histoire puisque la ville s’est construite dès le IVe siècle, sur la rive droite qui concentre tout le patrimoine et l’offre culturelle, alors que la rive gauche et les hauteurs en sont démunies. Rectifier cette situation représente un enjeu fort, car « la transition économique se fera sur la transition culturelle », estime le candidat EELV. La dichotomie entre les deux rives étant aussi sociale.

15 millions d’euros pour la culture

Pour ce faire, les candidats vont devoir faire preuve d’imagination en matière de propositions et de financements, car « les principaux budgets et les compétences reviennent aujourd’hui à la Métropole », prévient le candidat socialiste, Nicolas Mayer-Rossignol. Rouen a consacré 15,25 millions d’euros à la culture pour 2020, dont 8 millions en masse salariale, 2,5 millions pour les équipements, 3 millions en investissements et 1,75 million en subventions aux associations culturelles.

Depuis 2015, compétences et budgets des sites patrimoniaux et des musées ont été transférés à la Métropole. Sur un budget culture global de 20,64 millions d’euros à la Métropole, 3,3 sont destinés aux musées et 101 000 euros au patrimoine (Label Ville ou pays d’art et d’histoire, VPAH). Des budgets insuffisants pour une ville dont le patrimoine est aujourd’hui en souffrance. Pour la candidate centriste Marine Caron, « Rouen a besoin d’un vrai plan patrimonial, car sa réhabilitation atteint les 100 millions d’euros ; or, à l’échelle des finances municipales, il faudrait cinquante-trois ans pour réhabiliter l’ensemble ». La conseillère départementale estime « urgent d’organiser un audit patrimonial et la création d’une brigade du patrimoine en travaillant avec des mécènes et des fondations ».

Le candidat de droite Jean-François Bures, vice-président du département de la Seine-Maritime, propose de vendre pour un euro symbolique des sites patrimoniaux mineurs, à l’instar des trois églises cédées l’an dernier par la Ville à des entrepreneurs locaux qui prévoient de les transformer en brasserie, en hôtel-restaurant luxueux ou en espace de coworking. « Cette stratégie a la grande vertu d’éviter le saupoudrage et de concentrer les efforts sur les bâtiments stratégiques majeurs », affirme-t-il.

Animer la ville

Si la candidate centriste veut organiser une conférence des musées, Jean-François Bures propose la création d’un musée du Louvre-Rouen pour l’exposition des grands formats. « Ce projet d’une dizaine de millions d’euros pourrait être réalisé avec l’arrêt des panoramas XXL [projetés à 360 ° au Panorama XL, lieu culturel hors norme sur les quais] qui n’ont pas trouvé leur public et ont bloqué l’horizon d’investissement », précise-t-il. Patrimoine toujours, la ville où la pucelle fut brûlée se languit des grandes fêtes de Jeanne d’Arc avec les animations de rues, le marché, les jeux et le bal médiéval. Marine Caron et Jean-François Bures entendent bien leur redonner tout leur brillant pour « instaurer un événement majeur annuel qui manque aujourd’hui », souligne ce dernier.

Au regard de ce patrimoine multiséculaire, celui du présent constitue encore l’un des points faibles de Rouen. « Il manque à la ville une dimension art contemporain qui ne demande qu’à éclore », remarque Nicolas Mayer-Rossignol qui projette la création d’un nouvel espace « art contemporain » à Rouen, en plus du Hangar 107. Un projet partagé par tous les candidats. Pourtant, Jean-Michel Bérégovoy observe que « La Ville n’a pas les moyens financiers de réaliser seule un tel projet et doit s’adosser à une fondation, comme ce fut le cas pour la création du Musée Guggenheim à Bilbao ». D’autant plus que la part investissements dans le budget musée de la Métropole n’est que de 515 000 euros pour 2020. Le candidat EELV prêche « pour une installation rive gauche dans le chai à vin, par exemple, aujourd’hui désaffecté et muré ».

Marine Caron penche plutôt pour la création d’une biennale d’art contemporain avec un concours de sculpture et d’architecture exposé dans toute la ville, alors que l’entrepreneur Jean-Louis Louvel, soutenu par LREM, veut créer un fonds d’art contemporain municipal. Jouant sur la fibre urbaine, ceux-ci entendent aussi organiser un festival de street art. « En plus d’embellir la ville, un tel événement annuel aiderait à en finir avec la frontière rive droite et rive gauche », affirme Jean-Louis Louvel.

Enfin, pour remédier à une insuffisance d’événements musicaux dont souffre aussi la ville, le candidat PS souhaite recréer les quatre jours de concerts gratuits qu’il avait mis en place lors de sa présidence de la Région Haute-Normandie. « Le budget de ces concerts entre 2013 et 2016 s’élevait à 1 million d’euros, mais nous pouvons imaginer aussi des financements d’entreprises privées », explique-t-il. Le président de la Matmut SAM, par exemple, a été élu à la tête de l’association Rouen Normandie 2028 – capitale européenne de la culture.

Pour sa part, Jean-Louis Louvel est plus modeste et voit davantage un festival réservé aux artistes locaux dans les quartiers prioritaires de Rouen.

Comment devient-on Capitale Européenne de la culture ?

Depuis 1985 et son lancement par Jack Lang et la ministre grecque de la Culture Melina Mercouri, l’intérêt porté aux capitales européennes de la culture ne s’est pas démenti. À partir de 2007 pourtant, la compétition ne se joue plus entre pays, mais à l’échelle nationale entre les villes des deux ou trois pays d’accueil désignés tous les ans, selon un calendrier établi jusqu’en 2033. C’est pourquoi, la France n’accueillera une capitale européenne qu’en 2028. Trois villes se sont déjà déclarées candidates : Bourges, Clermont-Ferrand et Rouen. Pourtant, ce n’est que six ans avant l’année de la manifestation (en 2022), que le ministère de la Culture publiera un appel à candidatures. Les villes soumettront leurs propositions à un jury européen d’experts culturels indépendants choisis par les institutions européennes. Les villes pré-sélectionnées devront détailler leur candidature que le jury examinera à nouveau pour désigner les villes lauréates. En récompense du travail accompli, le jury peut recommander d’attribuer à chacune, le prix Melina Mercouri et son 1,5 million d’euros de dotation.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°538 du 31 janvier 2020, avec le titre suivant : Rouen, les candidats misent sur le label européen

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