Disparition

Maya Ruiz-Picasso (1935-2022)

Par Anne-Cécile Sanchez · Le Journal des Arts

Le 4 janvier 2023 - 673 mots

La fille aînée du maître espagnol est décédée le 20 décembre, à l’âge de 87 ans.

Elle fut sa petite muse, son assistante, sa maîtresse d’école, sa complice, un des plus grands sujets d’affection et de discorde de sa vie. Une spécialiste mondialement renommée aussi de son œuvre. Maya Ruiz-Picasso, la fille de Pablo Picasso, est morte le 20 décembre dernier à l’âge de 87 ans. Fruit des amours clandestines du peintre avec Marie-Thérèse Walter, une jeune femme rencontrée par hasard boulevard Haussmann, à Paris, qui lui inspira une passion de plusieurs années et nombre de tableaux célèbres, Maya Ruiz-Picasso laisse, elle aussi, une trace notable dans l’histoire de l’art. Tout d’abord en tant que modèle. « Les enfants ont toujours été pour [mon père] un sujet de prédilection », rappelait-elle dans le film de François Lévy-Kuentz co-écrit par sa fille, Diana Widmaier-Ruiz-Picasso (diffusé en préambule de la double exposition que lui a consacrée le Musée Picasso en 2022). Picasso a fait plusieurs portraits de son fils aîné Paul (né de son union avec sa première épouse, Olga Khokhlova) et il s’est plu aussi à mettre en scène Claude et Paloma, qu’il eut avec Françoise Gilot.

De la complicité à la rupture

Quelques mois avant sa venue au monde en septembre 1935, Picasso évoquait déjà sa fille dans une gravure somptueuse, La Minitauromachie, vision aux accents mythologiques réalisée pendant la grossesse de Marie-Thérèse Walter. Baptisée María de la Concepción en mémoire d’une jeune sœur précocement disparue de l’artiste, elle devint très vite simplement « Maya ». Picasso lui consacra de nombreuses études, dessins et peintures : Maya en costume marin (1938), Maya à la poupée et au cheval (1938), Maya au tablier (1938) ou encore en Fillette couronnée au bateau (1939)… Pour elle, il bricole aussi des jouets – de véritables sculptures – et remplit des cahiers d’esquisses qu’elle note comme s’il était son élève.

Cette enfant blonde et rieuse avait le droit de venir le voir travailler dans son atelier. Dépitée de voir une autre préférée à sa mère, elle qualifiait Dora Maar – la nouvelle élue – la « dame baveuse », car elle se passait tout le temps la langue sur les lèvres. Elle observa ainsi le ballet des femmes qui « entraient dans la vie de son père comme dans ses tableaux ».

Après-guerre, alors qu’il s’installe à Vallauris avec Françoise Gilot, Picasso incite Maya à découvrir ses racines espagnoles. Elle a vingt ans lorsqu’en juillet 1955, elle termine ses études au lycée français de Madrid. C’est le moment où Henri-Georges Clouzot propose à Picasso de tourner un film sur les mécanismes secrets de sa création. Ce dernier souhaite que Maya le rejoigne en tant qu’assistante sur le tournage. L’entreprise durera trois mois, bien plus longtemps que prévu, offrant l’occasion au père et à la fille de partager plusieurs semaines de grande complicité. Mais que s’est-il passé à la suite de cet épisode ? Certains mots sans doute furent prononcés. Officiellement, le père ne comprend, ni ne supporte les désirs d’indépendance de sa fille. En 1960, elle se marie avec Pierre Widmaier. Ses noces marqueront la rupture définitive entre ces deux personnalités aux caractères affirmés. Lorsque Picasso meurt, en avril 1973, Maya ne l’a pas vu depuis des années. Il lui laisse un ensemble de milliers de toiles, de dessins, de céramiques, de gravures… Un héritage constituant un patrimoine exceptionnel, que Maya Ruiz-Picasso entreprend dès lors de connaître et de protéger, comme pour renouer avec son géniteur à travers son œuvre immense.

En 2021, elle fait une dation en paiement de droits de succession constituée de six peintures, deux sculptures et un carnet de dessins afin que ces œuvres intègrent les collections nationales du musée parisien consacré à son père. Ses nombreux dons et son dévouement pour la transmission scientifique de cette œuvre phare du XXe siècle lui vaudront, soulignait la ministre de la Culture Rima Abdul Malak, de marquer de son souvenir « l’année Picasso », célébrant en France et en Espagne le 50e anniversaire du décès de l’artiste, et au seuil de laquelle Maya Ruiz-Picasso s’est éteinte.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°602 du 6 janvier 2023, avec le titre suivant : Maya Ruiz-Picasso (1935-2022)

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