Musée

Maisons d’écrivains un patrimoine au-delà de la littérature

Par Adrien Goetz · L'ŒIL

Le 1 novembre 2002 - 608 mots

PARIS

Deux maisons d’écrivains qui prouvent que les musées littéraires ne sont pas nécessairement poussiéreux : la Vallée-aux-Loups décerne ce mois-ci les Prix Chateaubriand tandis qu’Arnaga, l’extravagante maison basque d’Edmond Rostand, fait encore entendre le caquet du poulailler de Chantecler.

La tempête a ravagé le parc planté par Chateaubriand à La Vallée-aux-Loups. « Levez-vous vite, orages désirés » : René avait appelé lui-même la malédiction. Avec intelligence, Jean-Paul Clément, le conservateur du lieu, à qui l’on doit par ailleurs la meilleure édition des Mémoires d’Outre-Tombe (Gallimard, Quarto, deux volumes très bien illustrés) a entrepris la reconstitution de cet extraordinaire jardin où l’Enchanteur racontait ses voyages : cèdre du Liban, arbres des Amériques, fougères bretonnes, boutures que l’on imagine prises à Combourg, à Grenade, à Jérusalem ou à Mount Vemont et qui venaient en réalité du pépiniériste voisin. Qu’importe, plantées par Chateaubriand, elles signifient l’Orient, l’Amérique, Atala, Boabdil, Velléda, Eudore et Cymodocée, et surtout, partout, lui-même. Il cartographiait sa vie en la transformant en parc à l’anglaise. Cette maison-miroir revit aujourd’hui : concerts, prix littéraires, expositions qui se succèdent – en ce moment, un passionnant parcours célèbre le bicentenaire d’un des plus grands best sellers du XIXe siècle, Le Génie du Christianisme.

Arnaga est hanté par Rostand : chaque pièce de cette maison basque édifiée entre 1903 et 1906, a été pratiquement dessinée par lui – dans les marges de ses brouillons –, rectifiant sans cesse ceux de l’architecte Albert Tournaire. Les salons racontent Cyrano et L’Aiglon, le poulailler Chantecler. La maison est, ici aussi, une œuvre qui contient l’œuvre, un autoportrait de l’écrivain en artiste. Le parc évoque Versailles, non sans humour, on y croise les bustes de Cervantès, de Shakespeare et d’Hugo, la Pergola rappelle Schönbrunn et l’on croit y voir Sarah Bernhardt sanglée dans l’uniforme blanc du duc de Reichstadt. Arnaga est un petit Etat souverain, une principauté d’opérette qui mériterait que le pays basque lui accordât l’indépendance.

Des demeures d’art total
Ce qui distingue ces deux maisons du banal appartement où campait Marcel Proust, du Musée Colette à Saint-Sauveur en Puisaye, château superbe où elle n’habita jamais, de Saché, en Touraine, où écrivait Balzac – la vraie maison de Balzac, conçue par lui, rue Fortunée, aujourd’hui rue Balzac à Paris, est détruite –, c’est qu’au-delà de l’émotion fétichiste, le visiteur s’y trouve confronté à des maisons-œuvres d’art. Comme la maison de Hugo à Guernesey, celle de Loti à Rochefort, comme le château de Monte-Cristo où Dumas n’eut guère le temps d’habiter, Arnaga est, à part entière, une œuvre. Dans le corpus de Rostand, elle est une pièce de théâtre de plus condensée en un décor. La Vallée-aux-Loups est une œuvre de Chateaubriand, le premier essai au monde de Land Art autobiographique, un premier brouillon, sans mots ni phrases, des Mémoires d’Outre-Tombe. Quand un écrivain devient architecte et jardinier, il faut restaurer ses pierres, replanter ses arbres avec l’attention d’un érudit qui établit le texte d’un manuscrit. L’exposition « Gabriele d’Annunzio », en 2001, au Musée d’Orsay, consacrait deux salles à l’évocation du pharaonique « Vittoriale », son palais fou au bord du lac de Garde, sous le titre « une demeure d’art total ». Les Italiens se pressent en foule au « Vittoriale » : quand les Français comprendront-ils que nous possédons aussi quelques-unes de ces fragiles et précieuses « demeures d’art total » ?

CHATENAY-MALABRY, La Vallée-aux-Loups, 87, rue Chateaubriand, tél. 01 47 02 58 61, exposition jusqu’au 22 décembre « Un livre, un siècle, Le Génie du Christianisme ». Remise du Grand Prix d’Histoire et du Grand Prix du Romantisme, mercredi 20 novembre.

CAMBO-LES-BAINS, Arnaga, Musée Edmond Rostand, tél. 05 59 29 70 57.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°541 du 1 novembre 2002, avec le titre suivant : Maisons d’écrivains un patrimoine au-delà de la littérature

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