Politique culturelle

Macron : un bilan culturel dopé par les crises

Par Jean-Christophe Castelain · Le Journal des Arts

Le 4 avril 2022 - 1441 mots

Les « gilets jaunes » et surtout le Covid-19 ont forcé le président à lâcher du lest sur plusieurs pans de sa politique culturelle.

France. Les crises ont parfois du bon. Les « gilets jaunes », l’incendie de Notre-Dame, puis le Covid-19 ont contraint le président de la République à sérieusement infléchir sa politique culturelle. Une gageure pour un candidat qui proposait, en 2017, le programme le plus détaillé et pensé parmi ses concurrents et dont la philosophie politique reposait sur le respect des engagements. Or beaucoup – pas tous – de ces engagements, s’ils avaient le mérite de concerner tout le champ culturel, visaient à évaluer, rationaliser, adapter, professionnaliser les politiques publiques. L’inspiration de cette démarche se trouvait dans l’orthodoxie budgétaire revendiquée, dont la traduction pour le budget de la culture était un « effort public maintenu », ce qui en langage politique signifie pas de baisse, mais pas de hausse non plus.

La crise des « gilets jaunes » a d’abord sensibilisé le président sur la nécessité de s’appuyer sur les corps intermédiaires, à commencer par les élus locaux et de proposer des réformes qui touchent les Français dans leur quotidien. Si aucune des annonces lors de la conférence d’avril 2019 qui a suivi le « grand débat » national n’a concerné directement la culture, le ministère de la Culture a davantage mis l’accent sur les territoires et poussé les feux du Pass culture considéré comme « un objet de la vie quotidienne ». Le dramatique incendie de la cathédrale Notre-Dame qui précédait de quelques jours la conférence au terme des trois mois de « grand débat » a, de son côté, conforté le président dans son penchant patrimonial.

Le Covid-19 et le « quoi qu’il en coûte »

Et puis la crise sanitaire qui a mis à l’arrêt le monde culturel, pendant près de deux ans pour certains lieux, a coloré de manière indélébile le bilan du quinquennat. Oubliées les critiques d’une Françoise Nyssen pas assez affirmée, les commentaires sur un Frank Riester trop lisse, les contraintes d’un budget de la culture qui faisait du surplace. Notons sur ce dernier point, qu’Emmanuel Macron n’a pas fait l’erreur de son prédécesseur François Hollande qui avait baissé les crédits de la Rue de Valois de 4 % à son arrivée.

Le « quoi qu’il en coûte » a largement confondu les lamentations du secteur qui a appris à ses dépens qu’il n’était pas un commerce essentiel, et que oui, un acteur, un artiste, un cinéma, un musée, une galerie sont moins importants qu’une infirmière ou un magasin d’alimentation quand les services de réanimation sont saturés. L’État a mis le paquet : 13,6 milliards d’euros entre 2019 et 2022 qui se décomposent en 8,64 milliards d’aides transversales (chômage partiel, fonds de solidarité…), 1,65 milliard d’aides sectorielles, 2 milliards pour le plan de relance et 1,31 milliard pour les intermittents du spectacle qui ont bénéficié d’une « année blanche » jusqu’en décembre 2021. Un signe qui ne trompe pas, mis à part quelques « lettres ouvertes » convenues de techniciens et acteurs, ces derniers toujours prompts à faire entendre leur cause ont été plutôt silencieux.

Succédant à Franck Riester en juillet 2020, Roselyne Bachelot qui reste en tête dans les cotes de popularité des hommes et femmes politiques a su trouver les mots pour mettre tous ces chiffres en musique. Elle a plusieurs fois affirmé que la France était le pays qui a fait le plus pour la culture pendant la pandémie parmi les grands pays. Les historiens apporteront leur éclairage dans quelques années, mais ce n’est sans doute pas très loin de la réalité.

Les jeunes, cible prioritaire d’Emmanuel Macron

Le président n’a jamais fait mystère de son tropisme pour la jeunesse. Cela se vérifie pour la culture où il a tenu coûte que coûte à faire aboutir le Pass culture, malgré les critiques de l’opposition et du monde culturel sur son coût et son approche consumériste. Le coût est considérable, près de 250 millions d’euros en année pleine, on n’a jamais vu un nouveau programme culturel coûter aussi cher. Emmanuel Macron n’a rien lâché, confiant la mise en œuvre du programme à une société commerciale (avec un unique actionnaire, l’État), loin, très loin du ministère de la Culture et de ses pesanteurs administratives. Après des années d’expérimentation, le Pass a été généralisé en mai 2021 et même élargi aux jeunes de 14 à 17 ans en janvier 2022, ce qui n’était pas prévu dans les engagements de campagne. Au passage, il a ramené la bourse de 500 à 300 euros sans que cela ne lui soit reproché. Dans tous les cas, c’est du bonus pour 831 000 jeunes et presque autant de familles.

Cet élargissement aux 14-17 ans va permettre d’articuler le Pass à l’Éducation artistique et culturelle (EAC). Aujourd’hui, l’EAC reste largement invisible et peu appréhendé par les élèves et leurs parents. Cependant l’objectif de « 100 % d’EAC », comprendre « tous les enfants doivent bénéficier d’une action d’EAC », n’est pas qu’un slogan. Durant le quinquennat, l’État a mis en place des piliers (la création d’un institut de formation – l’Inseac –, d’un logiciel de suivi nommé ADAGE et l’articulation avec le Pass) qui vont véritablement permettre à l’EAC d’être plus effectifs dans les prochaines années.

Dès le soir de son élection, Emmanuel Macron avait montré son attachement au patrimoine en faisant son premier discours près de la pyramide du Louvre. Par la suite, il a opportunément confié le pilotage de la Mission Patrimoine en péril à l’animateur Stéphane Bern bien connu et apprécié des Français, nanti d’une nouvelle source de financement via un tirage spécial du Loto.

Emmanuel Macron a bien compris l’attachement des Français à leur patrimoine et le gain politique qu’il pouvait en tirer. Servi par la chance, il lui est revenu d’inaugurer des lieux décidés par ses prédécesseurs : le Louvre Abu Dhabi, les réserves du Louvre à Liévin, l’hôtel de la Marine. Ce qui ne l’a pas empêché de lancer de nouveaux équipements tels que le nouveau site de la Bibliothèque nationale de France dans sa chère ville d’Amiens et la très coûteuse restauration du château de Villers-Cotterêts pour en faire une Cité internationale de la langue française.

Un intérêt tardif pour la création

À l’inverse, il s’est intéressé sur le tard à la création, notamment dans le domaine des arts plastiques pour lesquels il a manifesté quelques appétences (Anselm Kiefer au Panthéon, Daniel Buren à l’Élysée) sans trop insister. Le grand programme de commande publique doté de 30 millions d’euros, pompeusement intitulé « Mondes nouveaux » annoncé en mai 2020, a mis du temps à émerger et l’on en verra les premiers fruits seulement l’an prochain. Le plan pour les artistes-auteurs, issu du rapport « Racine », comprend de nombreuses mesures pertinentes mais aucune n’est suffisamment forte et emblématique. D’autant que la mesure censée donner de la visibilité au plan – une forme de parlement des artistes-auteurs – est embourbée dans les chicaneries sur la représentativité. Le plan sur les résidences d’artistes est lui purement et simplement passé à la trappe. Le secteur musical va cependant enfin disposer d’un « centre national de la musique » sur le modèle du Centre national de la cinématographie (CNC) ou du Centre national du livre (CNL).

En définitive, ce qui aura le moins avancé, alors que cela devait être le cœur de sa politique est la réforme du ministère et la rationalisation des politiques publiques. Si la délégation de services publics à des agences (le CNC et le CNL déjà cités ou le Cnap pour les arts plastiques) a montré tout son intérêt en période de crise – jamais l’administration centrale n’aurait pu gérer le versement des aides sectorielles pendant le Covid-19 –, la Rue de Valois reste notoirement sous-dimensionnée pour faire face à toutes ses missions. C’est particulièrement vrai dans les territoires avec les directions régionales des Affaires culturelles (Drac). Nul doute qu’il aura à coeur, s’il est réélu, de laisser sa marque dans les structures mêmes de la politique culturelle.

Le bilan culturel du quinquennat d'emmanuel macron

Télécharger le tableau (PDF) du bilan culturel 2017-2022 d'Emmanuel Macron

Des nominations très paritaires  

Parité. Alors que François Hollande n’avait eu à se prononcer que sur vingt-cinq nominations dans le domaine du patrimoine et de la création dans les arts visuels, Emmanuel Macron a pu profiter d’un grand nombre de mandats échus (près de 70) pour appliquer l’un de ses engagements : la parité homme/femme. Seize présidents ou directeurs ont été renouvelés tandis que cinquante-deux postes ont changé de titulaire avec une égalité parfaite.

 
GENRECHANGEMENT
DE TITULAIRE
RECONDUCTIONTOTAL
HOMME26632
FEMME261036
TOTAL521668

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°586 du 1 avril 2022, avec le titre suivant : Macron : un bilan culturel dopé par les crises

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