Les projets berlinois jugés par l’autre Schröder

Le président de l’université Humboldt de Berlin s’en prend à Hans Haacke et Peter Eisenman

Le Journal des Arts

Le 8 septembre 2000 - 1014 mots

Âgé de cinquante-six ans, Richard Schröder, ancien pasteur protestant, est désormais président de l’université Humboldt de Berlin où il est professeur de théologie depuis 1991. Sa position de grand intellectuel est-allemand lui a valu de participer activement, en 1990, au processus de réunification, d’abord en tant que membre du premier Volkskammern librement élu en RDA, puis de leader de l’une des sections du SPD au nouveau Parlement allemand. Même s’il a démissionné de ses fonctions politiques, Richard Schröder reste l’un des grands acteurs du débat politique et culturel de la nouvelle Allemagne. Au moment où son pays célèbre la réunification, il intervient ici dans la controverse concernant l’installation de Hans Haacke au Reichstag et le mémorial de l’Holocauste.

Que pensez-vous de l’installation de Hans Haacke au Reichstag de Berlin dont le principal message serait, selon la critique, nationaliste ?
C’est une œuvre bizarre en effet, et, d’une certaine manière, je peux comprendre l’attitude de Wolfgang Thierse, le président du Parlement allemand, qui a pris la défense du travail de Haacke. D’un autre côté, vouloir trouver une alternative à l’inscription “Au peuple allemand”, gravée sur le Reichstag depuis 1915, en la remplaçant par “À la population” dans l’une des cours intérieures du bâtiment, relève du plus pur kitsch politique. Le terme de “population” renferme une idée de quantité et devient de ce fait péjoratif : en allemand, par exemple, on parle de la “population” des moisissures présentes dans certains fromages. L’idée ridicule selon laquelle le mot “peuple” a une connotation nationaliste est typiquement allemande. En France, il accompagne l’idée de révolution et donne lieu au concept de “souveraineté du peuple”. C’est précisément la raison pour laquelle l’inscription a été portée sur le Reichstag, malgré l’opposition du Kaiser qui n’était pas du tout d’accord à l’époque. Il n’a reconnu l’indépendance du Parlement qu’après la Première Guerre mondiale.

En défendant l’installation de Haacke, Wolfgang Thierse a mis en garde l’opposition contre le risque de retourner aux temps de la censure officielle en RDA. D’un autre côté, certains pensent que la production culturelle sous le régime communiste subit actuellement une autre forme de censure : elle serait marginalisée par les préjugés ouest-allemands. Prenons pour exemple les critiques suscitées par la grande rétrospective “Das XX Jahrhundert” qui s’est tenue à Berlin à la fin de l’année dernière : on a estimé que l’art produit en Allemagne de l’Est, des années cinquante à la réunification, était à peine représenté. Il y avait juste assez d’œuvres pour être politiquement correct.
Je ne peux pas me prononcer sur la rétrospective de Berlin. Mais il est évident qu’identifier et reconnaître la valeur de l’art produit sous le régime communiste est une affaire très complexe. Le fait que la plupart des œuvres aient été commandées (puisque les artistes étaient financés par l’État) ne simplifie pas les choses. Certains sont certainement parvenus à préserver leur intégrité artistique, aussi bien parmi ceux que l’État reconnaissait que parmi les autres. Il ne faut pas oublier non plus (et je pense surtout ici à la littérature) que l’art en RDA servait souvent à faire passer, de manière détournée, des opinions qui n’auraient pas été acceptées officiellement. Ainsi, la littérature avait en quelque sorte valeur de “substitut” : elle endossait cet aspect courageux et passionnant de l’art qui contribue à démanteler les dictatures. Il ne faut donc pas voir dans l’art de l’Allemagne communiste une poubelle de l’histoire, ni même un trésor méconnu. Nous devrions maintenant faire un choix entre ce qui mérite le respect ou non.

Un autre projet très controversé actuellement à Berlin est le mémorial de l’Holocauste dédié aux Juifs d’Europe. Le monument, imaginé par Peter Eisenman, devrait être construit à proximité de la porte de Brandebourg. Vous avez vous-même proposé, en remplacement, un monument inspiré du cinquième commandement de la Bible : “Tu ne tueras point”.
J’étais opposé au projet d’Eisenman car il est dépourvu d’inscription. Si nous ne sommes pas capables de trouver les mots pour cette période abominable de l’histoire de l’Allemagne, nous devons y remédier. On considère le cinquième commandement comme un précepte fondamental dans toutes les religions. Par ailleurs, l’idée d’Eisenman de suggérer, avec une forêt de 2 700 poteaux de béton, un camp de concentration abandonné me paraît à la limite du cynique ; je trouve aussi que l’échelle monumentale, visant à submerger les visiteurs, frise le mauvais goût. Enfin, il est discutable de dédier uniquement le mémorial aux Juifs, plutôt qu’à toutes les victimes de l’Holocauste. Si aucun espace dans le mémorial n’est prévu pour la mémoire des autres victimes, il faudra au moins construire cinq autres monuments à Berlin.

Il est question aujourd’hui de reconstruire le château des Hohenzollern démoli par le gouvernement de la RDA car il symbolisait un passé monarchiste fondé sur la séparation des classes sociales. Au cours des années soixante-dix, le siège du Parlement est-allemand, le Palast der Republik, a été construit sur ce site. Nombreux sont ceux qui considèrent à présent que démolir cet édifice constituerait un acte de damnatio memoriae par rapport au régime communiste. La reconstruction du château baroque soulèverait également des polémiques. Qu’en pensez-vous ?
Je suis entièrement pour cette reconstruction : je pense à un bâtiment qui reprendrait la forme et l’apparence extérieure du château. Grâce au château de Varsovie, reconstruit à partir de rien, nous savons que cela est possible. Il me semble absurde de s’interroger sur le caractère opportun d’une telle entreprise. Berlin compte déjà de nombreux exemples de bâtiments importants qui ont été reconstruits, comme le Kronprinzenpalais ou le Schauspielhaus de Schinkel qui sont des éléments fondamentaux du tissu architectural. C’est également vrai pour le château qui, autrefois, faisait face à l’île aux Musées et appartenait au centre historique de Berlin. Hormis les destructions entreprises au nom de la nouvelle cité socialiste, le centre historique est resté intact. Dans le sud de la ville, le seul changement fut la construction du Palast der Republik. Il est évident pour tout le monde que ce bâtiment n’a pas sa place dans ce quartier et qu’il faudrait le remplacer par un bâtiment de la taille et de la forme de l’ancien château.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°110 du 8 septembre 2000, avec le titre suivant : Les projets berlinois jugés par l’autre Schröder

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