Archéologie

Les formes des Vénus du Paléolithique supérieur ont-elles quelque chose à voir avec le climat ?

Par Lorraine Lebrun · lejournaldesarts.fr

Le 8 décembre 2020 - 549 mots

COLORADO / ÉTATS-UNIS

Des chercheurs pensent que ces formes voluptueuses seraient une incitation pour les femmes à grossir pour résister au froid.

Vénus de Willendorf
La Vénus de Willendorf, datant du paléolithique supérieur.
© Bjørn Christian Tørrissen

Et si les formes voluptueuses de la Vénus de Willendorf s’expliquaient avant tout par les conditions climatiques de l’époque ? C’est ce qu’avance un article publié par la revue The Obesity Journal rédigé par une équipe de chercheurs en médecine et anthropologie de l’Université du Colorado et l’American University of Sharjah menée par le professeur Richard J. Johnson.

Cette approche originale et inédite apporte un nouvel éclairage sur ces productions, majoritairement issues de la culture gravettienne. Les scientifiques sont partis du constat que la plupart de ces représentations de femmes bien en chair remontent à l’époque glaciaire en Europe – qui couvre le Paléolithique supérieur (c. 40 000 à 12 500 av. J.-C.) – à un moment « où on ne s’attends pas à trouver des formes d’obésité du tout ».

En cause : des conditions climatiques difficiles lors du Dernier Maximum Glaciaire (il y a 22 000 ans), qui devaient fortement impacter le régime alimentaire. Cette production correspondrait donc à un contexte de « stress nutritionnel », c'est-à-dire à une période où l’accès à la nourriture est plus difficile. Malgré tout, les chercheurs observent que l’obésité est représentée de façon réaliste, et pouvait donc bel et bien exister à l’époque. 

Ils ont alors comparé les ratios taille-hanche et taille-épaule mesurés sur le corpus connu de la Vénus du Paléolithique supérieur avec leur lieu de découverte et l’époque de leur production. La plupart de ces statuettes auraient été réalisées entre 38 000 et 14 000 ans avant nos jours, dans une période de fluctuations climatiques durant la dernière glaciation, alors que les températures ont connu des chutes jusqu’à 8°C au moment du Dernier Maximum Glaciaire. 

Or, ils ont observé que les statuettes réalisées à des périodes plus froides et retrouvées plus à proximité du front glaciaire montraient une corpulence plus développée. A l’inverse, la masse corporelle tend à décroitre quand le climat se réchauffe et que les glaciers s’amenuisent.  

Alors que ces figurines féminines dites stéatopyges, c'est-à-dire aux fessiers développés, et aux attributs sexuels mis en évidence sont souvent interprétées comme des symboles de fécondité et de fertilité (ces formes charnues ne concernant que les représentations féminines), les chercheurs avancent que, « parce que la survie nécessitait une nutrition suffisante des femmes enceintes », ces figurines corpulentes seraient devenues un « idéal de beauté durant les épisodes de famine et de changement climatique dans l’Europe du Paléolithique. » La prise de poids voire l’obésité étaient alors présentées comme désirables : ces figurines renvoyaient l’image « d’idéaux corporels pour les jeunes femmes, et plus particulièrement pour celles qui vivaient plus près des glaciers. », explique Richard Johnson dans un communiqué.

« Promouvoir l’obésité aider à assurer la survie d’un petit groupe jusqu’à la génération suivante. » Les femmes, comme le rappelle l’étude, ont en effet besoin de davantage de gras notamment pour assurer la reproduction, puisqu’« en l’absence de nourriture, une femme de taille moyenne a besoin de 16kg de gras pour fournir les calories nécessaires à enfanter et allaiter un nouveau-né jusqu’à 3 mois ».

Les statuettes auraient donc été des « outils idéologiques » : « l’esthétique [de ces figurines] avait ainsi une fonction signifiante en mettant l’accent sur la santé et la subsistance pour s’accommoder à des conditions climatiques de plus en plus rudes », conclut Richard Johnson.

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