Le prix Marcel Duchamp

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 3 octobre 2012 - 1045 mots

En lice pour le 12e prix Marcel Duchamp, les quatre candidats bénéficient des soutiens appuyés des institutions n La partie s’annonce très ouverte pour succéder à Mircea Cantor.

Daniel Dewar et Gregory Gicquel
La sculpture imaginée par Daniel Dewar et Grégory Gicquel semble se soustraire à toute forme d’analyse qui tendrait à la définir ou à la catégoriser, et c’est bien là ce qui en fait tout le sel, lui conférant un caractère totalement libre si ce n’est frondeur. Avec un sens affûté du télescopage des formes et des images, le duo s’arme de l’énergie de tous les possibles, multipliant les expérimentations en termes de matériaux employés tout en s’ingéniant à chambouler les codes et acceptions formelles traditionnellement entretenus dans le champ sculptural ; y compris dans des domaines aux accents ethniques et/ou décoratifs dont il apprécie de « brutaliser » les savoir-faire et de distordre les techniques afin d’en pousser plus avant les potentialités. Ce faisant, les artistes s’attachent à mettre en retrait le sujet potentiel afin de préserver et d’affirmer l’autonomie du médium même, débarrassé de toute forme de discours narratif. Une visée hybride est une nouvelle fois à l’œuvre dans leur projet présenté dans le cadre du Prix Marcel Duchamp, qui fait suite à la requête d’un collectionneur soutenant leur travail les ayant conviés à imaginer sa future pierre tombale, qui devra prendre place au cimetière du Montparnasse, à Paris. Adoptant le grès noir comme matériau et s’inspirant de la tradition médiévale du gisant, le monument funéraire ne figure pourtant pas, comme le voudrait l’usage, un portrait du futur défunt, mais représente un plongeur en tenue… encore chaussé de ses palmes !

Valérie Favre
La peinture de Valérie Favre est quelque part une peinture des obsessions mises au service d’un travail aux accents graves, empreint d’une réflexion introspective sur le monde comme il va… ou pas ! Obstinément et sans lassitude sont enrichies des séries de travaux qui toutes adoptent quelques principes constitutifs auxquels sont astreintes toutes les nouvelles occurrences, en terme de chromie ou de composition notamment. Attentive au contexte et un rien malicieuse, l’artiste a pensé pour le Prix Marcel Duchamp, l’année même de son centième anniversaire, à travailler autour du Nu descendant un escalier (1912) du grand Marcel, sans toutefois s’intéresser ni à la qualité picturale ni au contenu du tableau. C’est le format de la toile qui a retenu son attention, à partir duquel Favre a élaboré quelques tableaux qui visuellement seront sans liens avec la source. Le clin d’œil est appuyé, au vu des relations complexes entretenues par Duchamp avec le médium pictural, mais aussi du statut iconique acquis par cette œuvre ayant suscité tant de commentaires et inspiré tant d’artistes. Avec une règle du jeu voulant que ses propres tableaux soit proportionnellement plus grands ou plus petits que leur « modèle », Valérie Favre poursuit sa réflexion sur un travail récemment dévoilé, des variations autour du noir et blanc, où le regard semble à la fois repoussé par une explosion et comme happé par le cosmos. Un travail comme porté par une réduction de moyens, qui semble faire écho à certaines préoccupations de l’époque faisant du ralentissement un nécessaire credo.

Bertrand Lamarche
Installation L’art de Bertrand Lamarche est une affaire d’imaginaire, toutefois solidement ancré sur la terre ferme en ce que des questions de modélisation possible de lieux existants occupent une grande part de sa réflexion et de sa pratique. Est accentuée de la sorte la confrontation du spectateur avec la problématique de l’échelle, fondamentale dès lors qu’est abordée l’exploration du bâti et de son inscription dans l’espace. Souvent des maquettes d’édifices ou de complexes architecturaux issus de la réalité sont mises en scène dans des installations prenant toutefois des libertés avec cette dernière. C’est donc entre réel et fictionnel, et non sans poser la potentialité du déroulé temporel et d’un possible développement cinématographique, que s’effectue la découverte des environnements imaginés par l’artiste, que le visiteur immergé dans un univers autonome arpente tout à la fois visuellement et mentalement. Le projet de Lamarche pour le Prix Marcel Duchamp jette une nouvelle fois son dévolu sur le site ferroviaire de la ville de Nancy, perçu comme modèle d’une architecture fantasmée. À l’aide des outils élaborant son vocabulaire traditionnel – maquettes, brouillard, éléments rotatifs où jeux de lumière parfaitement calibrés –, l’artiste prend des libertés avec la réalité de lieux ayant eux-mêmes subi des modifications depuis leur élaboration, en comblant la destruction partielle imposée au site au cours de son histoire récente par l’adjonction d’éléments fictifs tout droit venus de son propre univers.

Franck Scurti
Installation « Déjouer les évidences du visible » : depuis le début de sa carrière, Franck Scurti a fait sienne cette profession de foi qui inlassablement le conduit à réinterroger, remettre en cause, les acquis d’un ordre imposé et leurs conséquences dans la lecture du monde devenue par trop normée, à laquelle l’artiste entend résister tout en tentant de l’entraver. Jouant de registres visuels fort divers les uns des autres, là où le travail de nombre d’artistes se définit en termes de style, de touche, de patte, Scurti s’astreint à rester rétif à toute catégorisation visuelle de son œuvre, ouvrant ainsi sa pratique à l’intervention fondamentale de la surprise, de la découverte et du hasard, envisagés en termes de rencontres propices au déclenchement d’un processus créatif mais nullement de contrainte. Se met de la sorte en place une économie de travail passant par une extrême attention portée à son entourage, à l’environnement immédiat, dont la condition tient dans une mise en alerte permanente du regard. Dans l’espace qui lui sera dévolu pour le Prix Marcel Duchamp l’artiste présentera une sélection de nouvelles œuvres issues d’un corpus bien plus ample, où toutes les pièces ont principalement été composées à partir de déchets trouvés, retravaillés et redéfinis par ses soins, bouleversant au passage l’idée même de valeur. Avec, sur le mode de la fable et de l’allégorie, une évocation de la création du monde… tout en laissant poindre des indices évoquant sa fin !

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°376 du 5 octobre 2012, avec le titre suivant : Le prix Marcel Duchamp

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