CAMPUS

Le design à l’assaut des moustiques

Par Geneviève Gallot · Le Journal des Arts

Le 20 septembre 2017 - 828 mots

À l’Ensci, trois étudiants ont, en collaboration avec des chercheurs, mis au point un kit destiné à lutter contre la prolifération des maladies transmises par les moustiques et à localiser les zones infestées.

Paris, Cambrigde. Quel est l’animal le plus meurtrier pour l’homme ? Ni le requin ni le serpent. Mais le moustique. Ce petit insecte présent sur les cinq continents, dont la durée de vie est courte (30 jours en moyenne) et le rayon d’action limité (100 à 200 m), est un fléau pour l’homme, non pas par ses piqûres directes mais pour les virus dont il peut être porteur, les arbovirus, à l’origine de maladies telles que la dengue, le zika et le chikungunya. Les moustiques causent 750 000 morts par an dans le monde (1). Sous l’effet du réchauffement climatique, ils prolifèrent ; avec le développement des transports, les épidémies se mondialisent. Or, il n’existe pas de vaccins contre la plupart des arbovirus. L’absence de localisation précise des zones où se trouvent les moustiques infectés conduit, en outre, à un épandage massif d’insecticides auxquels les insectes deviennent résistants, ce qui réduit leur efficacité, et est désastreux pour l’environnement.

En 2016, à l’occasion du prestigieux concours Igem (International Genetically Engineered Machine) lancé en 2004 par le MIT (Massachusetts Institute of Technology) et dont l’objectif est de promouvoir la biologie de synthèse en « open source », une équipe pluridisciplinaire de 19 étudiants s’organise autour de l’Institut Pasteur pour travailler sur les moustiques et prévenir les infections. Trois étudiants de l’Ensci (École nationale supérieure de création industrielle, à Paris), où le bio-design se développe, participent pour la première fois à la compétition (2). Dix mois plus tard, le projet Mos(KIT)o remporte quatre prix, dont une médaille d’or !

« Dès le départ, nous avons travaillé tous ensemble pour faire converger nos compétences : biologie, physique, chimie, design, droit. Ce n’était pas toujours facile. Parfois, il a fallu reculer d’un pas pour avancer à nouveau ! », dit en souriant Lisa Dehove, 24 ans, agrégée d’arts appliqués et étudiante à l’Ensci. « L’aventure va m’aider dans toute ma vie de designer. Découvrir la biologie, arriver à produire collectivement un projet à l’impact important, apprendre autant les uns des autres, c’était une expérience unique ! »

La priorité fut de mettre en place un langage commun. Bientôt, le groupe décide de se consacrer aux maladies transmises par les arthropodes et veut concevoir un outil de prévention permettant de réduire le recours aux insecticides. Un kit prend forme, facilement utilisable, constitué de trois éléments : un piège à moustiques ; une station d’analyse contenant un patch qui permet de détecter les virus ; une base de données enregistrant les dates, les localisations et les résultats des analyses faites sur les moustiques. Une cartographie des zones infestées complète le dispositif.

La force de la pluridisciplinarité Grâce à la biologie de synthèse, l’équipe met au point un patch composite de cellulose fabriqué à partir de bactéries génétiquement modifiées, entièrement biodégradable, sur lequel est appliqué un lysat de moustique et qui change de couleur avec la présence d’un virus.

Le Mos(KIT)o se développe ainsi à toutes les échelles, du microscopique au macroscopique, de la bactérie aux objets utilisables dans la vraie vie. « Avec la pluridisciplinarité, on peut aborder des problématiques beaucoup plus complexes que si l’on reste entre designers ! », souligne Xavier Montoy, 26 ans, en année de diplôme à l’Ensci. La révolution de la biologie de synthèse est désormais en marche avec la création de nouveaux matériaux et des applications dans les domaines de la nutrition, de la santé, de l’énergie ou encore de l’environnement. « Aujourd’hui, on peut à peu près tout fabriquer à partir des bactéries, le potentiel de développement est énorme », précise Mathieu Hubert, 24 ans, doctorant à l’Institut Pasteur dans le département Virologie. « Les recherches dans les laboratoires se font dans des conditions très sécurisées. Pour notre patch Mos(KIT)o, nous étions soucieux des aspects éthiques. Nous ne voulions pas que l’organisme génétiquement modifié soit relâché dans la nature mais seulement le produit généré – le patch de détection –, lequel est purifié et totalement exsangue d’OGM. »

La présence des designers dans le projet ? « Les interactions sont de remarquables accélérateurs de recherche. Pour moi, biologistes et designers sont deux pièces d’un puzzle qui s’assemblent parfaitement ! », poursuit le jeune biologiste. C’est cette même conviction qui avait incité Guillian Graves, diplômé de l’Ensci, bio-designer, enseignant et co-encadrant du projet Mos(KIT)o, à créer en 2015 à l’Ensci le programme « Design & Biologie » pour lancer de nouvelles recherches croisant design, sciences naturelles et ingénierie du vivant. Deux ans après sa création et le beau succès de Mos(KIT)o, le programme voit loin. Le thème annoncé en cette rentrée scolaire pour son prochain atelier expérimental est « La colonisation de la planète Mars »…

Notes

(1) Voir Erik Orsenna, Géopolitique du moustique, éd. Fayard, 2017.

(2) Les étudiants participant au projet Mos(KIT)o étaient issus de 7 établissements : Institut Pasteur, ESPCI ParisTech, Ensci-Les Ateliers, ETSL, UPMC, Sorbonne Universités, Universités Paris-Diderot et Paris-Sud.

Légende photo

Le kit « Mos(KIT)o » comprend un piège à moustiques, un patch qui permet de détecter les virus, ainsi qu’une base de données © Véronique Huyghe

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°485 du 22 septembre 2017, avec le titre suivant : Le design à l’assaut des moustiques

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