Chronique

Le culte des Saints dans la Foi artistique

Par Pascal Ory · Le Journal des Arts

Le 4 janvier 2018 - 570 mots

Religion. Comme chacun sait « Dieu est mort » en 1882, sous la plume de Frédéric Nietzsche. Les avis sont partagés sur la réalité du décès. Ce qui, en revanche, ne fait pas de doute, c’est que les remplaçants n’ont pas manqué.

En Occident, où les anciennes religions ont le plus perdu de terrain, fleurit la religion artistique. On peut objecter qu’il s’agit d’une simple métaphore. Mais cette objection tombe dès lors que l’on mesure l’ampleur des similitudes et qu’on en analyse la signification. L’art a ses temples, qu’on appelle musées, théâtres, auditoriums, ses lieux saints, qu’on appelle monuments historiques, maisons des illustres, halls of fame, et ses pèlerinages, qu’on appelle expositions ou festivals. Sommant le tout, l’artiste cristallise en lui toutes les qualités l’élevant au-dessus de la condition humaine : il tutoie les sommets, parle aux morts, prophétise les vivants, c’est un « voyant », c’est un « nabi » (prophète de l’Ancien Testament). Les formules religieuses lui vont comme un gant : vocation, inspiration, illumination, conversion,

Cette religion-là est moderne ; elle est même un des signes et des attributs les plus éclatants de la modernité. Le siècle des Lumières a inventé le « grand homme », à qui on érige - fait sans précédent depuis l’instauration du christianisme - des statues, à qui on rend visite et pour qui, sous la Révolution, on transforme une église en Panthéon. Dans une culture de plus en plus individualiste l’essentiel du culte de la religion artistique est bien celui qui se concentre sur les saints. Et c’est là que la fréquentation de l’hagiographie chrétienne peut venir en aide. Celle-ci distingue les saints morts en « témoignage » (martyre, en grec) de leur foi, les confesseurs, les ermites, les Pères de l’Église, les vierges consacrées, les thaumaturges. Un jeu de société (c’est le mot) assez facile consisterait à mettre des noms d’artistes devant ces différentes catégories.

L’actualité des expositions parisiennes remet en lumière un des moments les plus connus de l’hagiographie artistique : la rencontre, haute en couleurs (l’expression s’impose), entre Van Gogh et Gauguin, l’espace des quelques semaines où, à Arles, ces deux martyrs se sont martyrisés mutuellement. Deux vies dévorées par l’absolu (on va dire les choses comme ça), Vincent mort misérablement de mort violente à 37 ans, Gauguin mort à 54 ans, mais exténué, au bout du monde, deux œuvres méconnu (Gauguin) ou ignoré (Van Gogh) de leur vivant, des comportements radicaux, une automutilation, une « Maison du Jouir ». La reconnaissance posthume vaut triomphe de la Vraie Foi.

Aux lecteurs qui penseraient que j’exagère, il suffirait de lire les biographies artistiques standards et, plus encore, certains des articles ou des films qu’une critique dévote consacre à ses saints pour se convaincre de ce que dans une société où la plupart des autorités sont fortement ébranlées le prestige de l’artiste demeure intact. À une réserve près, cependant. Une tache, à l’aune des valeurs de notre époque, risque de maculer ces impeccables. Pas l’usage des excitants modernes, comme disait Balzac, qui peut pulvériser la réputation d’un sportif parce qu’il fausse l’exercice de son art alors qu’un artiste alcoolique ou drogué attire plutôt la compassion, quand on ne magnifie pas une conduite hors des normes, mais là où la morale post-moderne ne pardonne plus rien : le racisme et le viol. C’est ici que nous retrouvons Gauguin, parfait antiraciste mais, pour cela même, accusé par certains de « pédophilie ». Bon, ceci est une autre histoire, sur laquelle il faudra bien revenir un jour…

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°492 du 4 janvier 2018, avec le titre suivant : Le culte des Saints dans la Foi artistique

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