La pêche à la statue grecque

Un bronze antique a été retrouvé au large de la Sicile

Le Journal des Arts

Le 10 avril 1998 - 729 mots

Seul le fond des mers conserve encore des statues grecques en bronze. La preuve en a de nouveau été apportée par l’exceptionnelle découverte de pêcheurs au large de la Sicile. Quelques mois après avoir retrouvé une jambe, ils ont remonté à la surface la statue grandeur nature correspondant à ce fragment.

MAZARA DEL VALLO, SICILE (de nos correspondantes) - Pendant plus de deux mille ans, cette statue a reposé au fond de la Médi­terranée. Aujourd’hui, elle n’est plus immergée que sous cinquante centimètres d’eau dans une cuve de désalinisation improvisée, au Museo Civico de Mazara del Vallo, où l’on réfléchit à son avenir. Au début du mois de février, des pêcheurs de la région, dont le chalutier naviguait au large de la côte occidentale de la Sicile, ont remonté un magnifique bronze de la fin de la période hellénistique. Cette statue représente un jeune homme nu aux cheveux balayés par le vent, aux oreilles pointues et aux yeux en os in­crusté ; elle mesure environ un mètre cinquante de haut et a perdu ses deux bras et une jambe. C’est une découverte extraordinaire, non seulement parce qu’il n’existe que très peu de bronzes anciens de cette taille – la majorité d’entre eux ayant été fondus et recyclés au cours des siècles –, mais parce que ces mêmes pêcheurs avaient déjà retrouvé la jambe de la statue l’été dernier. Pour bon nombre de spécialistes, le bronze représente Éole, le dieu grec du vent, et faisait sans doute partie d’un groupe – un trou dans le dos du personnage pourrait indiquer qu’il était attaché à d’autres statues. Nicola Buonacasa, professeur d’archéologie et d’histoire de l’art antique à l’université de Palerme, estime pour sa part qu’”il s’agit très probablement d’un jeune satyre. Il est peut-être en train de danser : il a les cheveux au vent et il s’appuie sur le pied droit en repliant le gauche en dessous de lui, une posture très prisée à la fin de l’époque classique et pendant toute la période hellénistique”.

Appel à la Marine nationale
Walter Veltroni, ministre de la Culture italien, a d’ores et déjà annoncé que la Marine nationale allait mettre ses moyens techniques au service des recherches archéologiques en Méditerranée. L’Italie espère pouvoir arriver à un accord avec la Grèce et la Tunisie, en vue de mener ensemble l’exploration des fonds sous-marins.

Selon la presse italienne, après la découverte du fragment il y a sept mois, Francesco Adragna, le capitaine du Mastro Ciccio, avait été contacté par un “chasseur de trésors” indépendant. Celui-ci voulait partir à la recherche de la statue et se proposait de lui verser, ainsi qu’à son équipage, deux milliards de lires (6,8 millions de francs) en cas de succès de l’entreprise. “J’ai refusé, j’aurais eu honte”, a expliqué Francesco Adragna. La surintendance aux Biens culturels de Trapani a réagi rapidement à l’annonce de la découverte de la jambe en organisant un balayage sous-marin systématique de la zone afin de retrouver le bronze. Alors que des archéologues locaux y travaillaient, la Surintendance a dénoncé les activités des chasseurs de trésors indépendants, qu’elle a traités de “pirates archéologiques”. Elle a également critiqué les activités de l’Américain Robert Ballard, qui a retrouvé l’épave du Titanic et dispose d’un sous-marin équipé de la toute dernière technologie pour l’exploration des fonds.

Grâce à ses recherches à longue distance, la Surintendance a pu identifier plusieurs objets en bronze. Gaspare Bianchi, un ingénieur travaillant pour la Surintendance, raconte que son équipe “était certaine d’avoir localisé la statue. Mais Francesco Adragna nous a précédé sur le site et nous a fait économiser beaucoup d’argent”. Le capitaine du Mastro Ciccio est tout heureux de sa trouvaille : “Quand nous avons senti que quelque chose de très lourd s’était pris dans nos filets, j’ai tout de suite espéré qu’il s’agissait de la statue unijambiste. Après quarante minutes d’efforts pour remonter les filets, nous avons vu émerger le bronze.” Il a aussitôt alerté les garde-côtes et la surintendance locale. La surintendante Rosalia Camerata Scovazzo ne cache pas sa reconnaissance au capitaine et à son équipe : “Il est extrêmement précieux pour nous de bénéficier de la coopération des pêcheurs. Jusqu’à une date récente, ils rejetaient à la mer tout ce qui se prenait dans leurs filets.” La statue correspondait bien à la jambe, qui a été remise en place. Et Francesco Adragna et son équipe seront récompensés pour leur découverte.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°58 du 10 avril 1998, avec le titre suivant : La pêche à la statue grecque

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