Justice

La justice valide un flagrant délit fondé sur des photos de pièces anciennes

Par Pierre Noual, avocat à la cour · Le Journal des Arts

Le 27 mai 2025 - 971 mots

Une décision de la Cour de cassation relance le débat sur la preuve du caractère culturel d’un bien saisi par les douanes.

Pièces de monnaie anciennes. © Pxhere, CC0 domaine public
Pièces de monnaie anciennes.

Paris. Après le trafic illicite des stupéfiants et des armes, celui des biens culturels archéologiques est le troisième au niveau mondial ! Afin de préserver le patrimoine culturel sur le sol national, l’article L. 111-2 du code du patrimoine prévoit que « l’exportation temporaire ou définitive hors du territoire douanier des biens culturels, autres que les trésors nationaux, qui présentent un intérêt historique, artistique ou archéologique et entrent dans l’une des catégories définies par décret en Conseil d’État, est subordonnée à l’obtention d’un certificat délivré par l’autorité administrative ». Les biens culturels sont donc ceux qui entrent dans l’une des 15 catégories qui figurent à l’annexe 1 de l’article R. 111-1 dudit code, à l’image des « objets archéologiques, ayant plus de cent ans d’âge, y compris les monnaies provenant directement de fouilles, de découvertes terrestres et sous-marines ou de sites archéologiques […] quelle que soit la valeur ». À cette législation patrimoniale, le code des douanes permet de constater un flagrant délit douanier en cas de détention d’un bien culturel sans justificatif d’origine, comme le rappelle un arrêt de la Cour de cassation daté du 2 avril 2025.

En mars 2015, un numismate professionnel a été contrôlé par les douanes à bord de son véhicule alors qu’il transportait des pièces de monnaie anciennes dont il était dans l’incapacité de justifier l’origine. Des photographies ont alors été envoyées à un ingénieur d’études à la direction régionale des Affaires culturelles (Drac) d’Île-de-France qui a estimé que « tous les objets contrôlés [étaient] des biens culturels au sens du code des douanes » et constituaient des « objets archéologiques » pour lesquels il était quasiment certain qu’ils provenaient « de trouvailles au détecteur de métaux ». Pris en flagrance, le numismate a été placé en retenue douanière et poursuivi pour détention de biens culturels sans justificatif d’origine.

Le 10 janvier 2024, la cour d’appel de Dijon a annulé la mesure de rétention douanière car il ne pouvait y avoir flagrance sur le seul fondement de l’avis de l’ingénieur d’études (annulation de la retenue douanière), et il ne pouvait y avoir de délit car le seul fait de détenir des pièces de monnaie anciennes – sans précision quant à leur valeur et leur ancienneté – était insuffisant pour caractériser l’infraction de détention de biens culturels sans justificatif d’origine (relaxe). L’administration des douanes et le procureur général se sont pourvus en cassation.

Par un arrêt du 2 avril 2025, la Cour de cassation a censuré l’arrêt d’appel au motif qu’« un avis émis par un ingénieur de la Drac, à la vue de photographies de pièces de monnaie venant d’être saisies, qualifiant celles-ci de biens culturels au sens du code des douanes, associé au fait que la personne transportant ces pièces ne peut justifier de leur origine, caractérise […] le délit de détention de biens culturels sans justificatif d’origine en flagrance ».

Quid de l’existence d’un intérêt archéologique ?

Aussi louable soit-elle pour endiguer les exportations illégales, cette solution n’en demeure pas moins sujette à interrogation quant au procédé de qualification d’un bien culturel. En effet, il est possible de s’interroger sur l’absence de démonstration de l’existence d’un intérêt archéologique des pièces litigieuses. Il est vrai que l’article 38 du code des douanes mentionne les « biens culturels et trésors nationaux relevant des articles L. 111-1 et L. 111-2 du code du patrimoine », ce dernier renvoyant aux biens culturels ayant « un intérêt historique, artistique ou archéologique et entr[a]nt dans l’une des catégories [de l’annexe 1] ». Une interprétation stricte des textes – le « et » est révélateur – aurait dû conduire l’ingénieur à rechercher l’existence d’un tel intérêt dont l’appréciation est pourtant considérable en matière pénale car la ligne de défense des prévenus consiste souvent à rejeter la nature archéologique d’un bien afin de se soustraire au délit de fouilles illicites. En l’espèce, il est certain que les pièces sont des biens culturels au sens de l’annexe 1, mais le sont-elles au sens de l’article L. 111-2 du code du patrimoine ? Le doute serait permis même si l’absence d’un tel intérêt n’écartait pas la sanction pour absence de certificat d’exportation (article L. 114-1 du code du patrimoine).

À dire vrai, la justification résiderait pour la Cour de cassation dans l’application de l’article 419 du code des douanes selon lequel les pièces archéologiques « sont réputées avoir été importées en contrebande à défaut soit de justification d’origine, soit de présentation de l’un des documents prévus par ces mêmes articles ou si les documents présentés sont faux, inexacts, incomplets ou non applicables ». Or la référence à ce texte interroge puisqu’il ne vise que l’importation de biens culturels et non l’exportation comme c’était ici le cas. Il est donc possible de se méfier car, en faisant peser toute la régularité de la détention douanière sur l’avis d’un ingénieur d’études, ce document ne serait-il pas surévalué dans ses conséquences, voire hasardeux dans son hypothèse sur l’origine des pièces ?

Nul doute que l’administration culturelle se félicitera d’un arrêt qui montre qu’aucune forme d’indulgence n’est envisageable en matière de trafic de biens culturels archéologiques. Il est normal d’indiquer que l’État a le droit – et le devoir – d’agir pour empêcher toute importation ou exportation illégales lorsqu’il s’agit incontestablement d’un bien culturel soumis à autorisation, comme cela a été le cas pour une toile de Georges Seurat (28 février 2017), un brouillon de Philippe Pétain (20 avril 2017) ou un livre d’heures des frères Limbourg (15 mars 2022). Quoi qu’il en soit, la formulation de l’arrêt rapporté démontre qu’il serait vain de discuter de la légalité de la rétention douanière en matière de biens culturels face à des motifs de contestation réduits comme peau de chagrin. Reste à savoir si les juges bisontins chargés de rejuger l’affaire marqueront leur opposition à cette conception.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°655 du 9 mai 2025, avec le titre suivant : La Cour valide un flagrant délit fondé sur des photos de pièces anciennes

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