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ENTRETIEN

Hubert Percie du Sert : « Le renseignement est la base de notre métier »

Colonel de l’Office central de lutte contre le trafic de biens culturels (OCBC)

Par Jean-Christophe Castelain · Le Journal des Arts

Le 30 mai 2025 - 2297 mots

Alors qu’il termine son mandat, le colonel de l’Office central de lutte contre le trafic de biens culturels (OCBC) dresse un bilan des 50 années de l’office, de ses réalisations et présente les nouveaux outils à disposition des enquêteurs.

Le Colonel Hubert Percie du Sert. © OCBC
Le Colonel Hubert Percie du Sert.
© OCBC

Diplômé de Saint-Cyr en 1995 et ancien élève de l’École des officiers de la gendarmerie, le colonel Hubert Percie du Sert a commandé un escadron du Groupement blindé de gendarmerie mobile (GBGM) à Satory et la Compagnie de gendarmerie départementale d’Argenteuil. En 2009, il est en charge à la Direction générale de la gendarmerie nationale de la doctrine judiciaire, puis du suivi d’affaires judiciaires sensibles. Il a ensuite commandé successivement le GIR d’Auvergne, la section de recherches de Clermont-Ferrand puis la section de recherches de Versailles. Il dirige l’OCBC depuis 2022 et s’apprête à rejoindre l’Unité nationale de police judiciaire (UNPJ) de la gendarmerie.

L’OCBC célèbre cette année son 50e anniversaire, quelles sont les circonstances de sa création ?

L’Office central de lutte contre le trafic des biens culturels a effectivement été créé en 1975 – à la suite de la convention Unesco de 1970 qui prévoyait que les États parties devaient se doter d’un service spécialisé dans la protection du patrimoine. La traduction en France a été de créer un office central de police judiciaire à vocation nationale dédié à la lutte contre les vols d’objets d’art qui s’est ensuite diversifié dans le faux, le pillage et le blanchiment. L’OCBC a un rôle de chef de file dans la lutte contre les trafics de biens culturels.

Pourquoi le commandement de l’OCBC est-il confié à un gendarme depuis 2003 ?

Cela se justifie par le fait que l’OCBC intervient aussi bien en zone « police » qu’en zone « gendarmerie ». Par exemple le « gang des châteaux » commettait dans les années 1990 et 2000 des cambriolages dans des châteaux le plus souvent situés en zone rurale. L’OCBC compte un tiers de gendarmes, un tiers de policiers et un tiers d’administratifs et de contractuels. La particularité des personnels « civils » est qu’ils viennent en appui de nos missions, que ce soit d’alimentation des bases de données, de travail d’analyse de renseignement, d’analyse juridique, d’expertise et de lien à l’international. Nous employons par exemple une archéologue. On a ainsi un office qui représente la diversité interservice du ministère de l’Intérieur et qui est en capacité d’agir sur tout le territoire national.

Comment est structuré l’OCBC ?

Il y a deux pôles. Un pôle des opérations avec trois groupes d’enquête et un pôle stratégique qui comprend les relations extérieures, la formation et les partenariats, la coopération internationale et le groupe Sirasco qui s’occupe, entre autres, du renseignement criminel. Nous sommes actuellement trente-quatre au sein de l’Office.

C’est peu, l’équivalent de l’OCBC en Italie compte 300 personnes ?

Effectivement mais à part l’Italie, très peu de pays ont mis en place un service spécialisé dans ce domaine. Si nous ne sommes que trente-quatre, nous avons un rôle de centralisation des informations auprès de tous les services de police/gendarmerie, de douane, de justice sur lesquels nous nous appuyons et qui démultiplient notre action.

Quels sont les types de crimes et délits sur lesquels vous opérez ?

L’OCBC intervient sur quatre types d’infractions. Le vol d’objets chez les particuliers, lieux de culte ou musées, etc. (cela peut être du vol d’opportunité ou le fait de réseaux structurés). Le faux et la contrefaçon, c’est-à-dire la fabrication ou la modification d’objets pour les faire passer pour vrais. Le pillage, qu’il soit international (souvent dans les zones de conflit) ou national (comme la pratique du détectorisme sans autorisation). Et enfin, le blanchiment qui consiste à réintroduire sur le marché légal des objets de provenance illicite (volés, contrefaits, pillés) ou à blanchir des fonds provenant d’activités criminelles. L’un de nos objectifs est d’empêcher la criminalité organisée de prendre pied sur le marché de l’art.

Concernant les escroqueries, avez-vous un exemple particulier ?

Il y a le cas des escroqueries de fausses collections en provenance de certains pays d’Afrique. Un faux vendeur se présente devant une galerie d’art africain et propose la vente d’une collection d’art africain prétendument issue d’une tribu « complètement fermée ». Il montre quelques faux ou de l’artisanat local pour inciter l’acheteur potentiel. L’acheteur investit des sommes croissantes pour faire « sortir » la collection de la tribu, puis la faire voyager jusqu’à l’export. Les collections n’existent pas, et l’escroquerie peut porter sur des sommes colossales, parfois des dizaines voire des centaines de milliers d’euros.

Quels sont les méfaits du détectorisme ?

Cette pratique détruit le patrimoine archéologique national et donne lieu à un commerce illicite. Nous avons décidé de le soulever auprès de nos partenaires européens, notamment au sein d’Europol et avons constaté que de nombreux pays étaient soumis au même problème. Une action opérationnelle, menée par la France, a été montée au sein d’Europol avec onze pays pour trois objectifs : se coordonner pour évaluer la réalité de ce phénomène, harmoniser les réglementations entre les pays participants, identifier les méthodes et moyens opérationnels les plus appropriés pour contrer ce phénomène.

Pourquoi y a-t-il encore des vols de tableaux connus alors qu’ils sont invendables ?

Parce que comme tous les biens culturels, ils ont une valeur intrinsèque, et ils resteront uniques dans dix, vingt ou trente ans. Même s’ils sont invendables aujourd’hui, il y aura toujours une opportunité de les revendre dans dix ou vingt ans. Et puis ces tableaux continuent toujours à circuler dans les marchés parallèles, d’organisation à organisation.

Œuvres d'art volées et retrouvées par l'OCBC. © Police nationale
Œuvres d'art volées et retrouvées par l'OCBC.
© Police nationale
Quelle est votre évaluation du trafic de biens culturels dont on dit qu’il serait le troisième après le trafic de drogue et le trafic d’armes ? On parle de 3 à 6 milliards de dollars par an.

Il est extrêmement difficile de donner des chiffres pour des raisons qui sont faciles à comprendre. Parfois les victimes ne déclarent pas les vols d’objets d’art ou n’ont pas idée de la valeur de l’objet volé. L’une de mes actions consiste justement à structurer les relations avec nos partenaires afin d’avoir plus de données. Des données pour les statistiques mais surtout des informations pour les enquêteurs.

C’est-à-dire ?

Je travaille depuis deux ans sur un Plan national qui vise à améliorer le partage du renseignement et le partenariat entre les services de l’État. Ce plan d’action regroupe sept ministères. Car il faut bien comprendre que le renseignement est la base de notre métier. Mais une information sur une œuvre d’art volée n’a pas le même intérêt pour un gendarme sur le terrain, que pour un douanier ou que pour un agent de l’OCBC. Ce plan qui a été validé en fin d’année dernière ambitionne de coordonner l’action de sept ministères, à cartographier qui fait quoi et à mettre en relation les différents intervenants. Par exemple, si un militaire dans une zone de conflit apprend la présence sur zone d’un trafiquant ou d’un marchand d’art, c’est secondaire dans sa mission mais cela peut être très utile pour l’OCBC qui peut relier cette information à une affaire en cours.

Par exemple, comment avez-vous opéré lors du vol récent au Musée du Hiéron à Paray-le-Monial ?

Dès que nous avons été informés du vol par le ministère de la Culture, nous avons pris contact avec la section de recherche de la gendarmerie de Dijon pour leur apporter notre appui technique et judiciaire et enregistrer les photos des objets volés dans notre base pour les diffuser rapidement dans les bases internationales. Car les objets volés partent très vite à l’étranger où on se posera moins de questions sur sa provenance. 80 % de nos enquêtes ont des répercussions internationales.

Comment procédez-vous à l’international ?

L’enjeu est de diffuser le plus rapidement possible l’information sur le ou les objets volés. L’exemple type est celui du Calice du Précieux Sang, un reliquaire sacré qui renferme deux fioles métalliques contenant, selon la tradition chrétienne, des gouttes du sang du Christ recueillies lors de la Crucifixion. Il a été volé en juin 2022 dans l’abbatiale de la Sainte-Trinité à Fécamp où il est conservé depuis plus de 1 000 ans. Immédiatement après le vol, l’OCBC a diffusé l’information par voie de presse, mais surtout via Europol et Interpol. Il a été précisé que cet objet n’avait aucune valeur au titre des métaux et qu’il n’avait qu’une valeur cultuelle, le rendant invendable et sans intérêt à être fondu. Quelques semaines plus tard, un chercheur de trésors local, en relation avec la police néerlandaise, l’a trouvé posé dans une boîte, anonymement devant sa porte. Nous l’avons ainsi récupéré et restitué à l’abbatiale de Fécamp lors d’une cérémonie particulièrement émouvante.

Combien de notices y a-t-il dans votre base de données Treima des objets volés ?

Il y a environ 95 000 objets recensés avec des photos affiliées et les conditions de leur vol. C’est beaucoup mais il pourrait y en avoir encore plus. Les propriétaires d’objets d’art volés n’ont pas toujours une photo – de bonne qualité – de ces objets. C’est cette base qui alimente la base Psyché d’Interpol qui curieusement n’a que 52 000 notices alors qu’il est alimenté par tous les pays. La raison en est que les photos ne sont pas toujours de bonne qualité et que l’intégration des bases est encore manuelle. Ceci dit, beaucoup de pays n’ont pas de base.

95 000 objets volés et recherchés, ce sont autant de « cold cases » ?

Des « cold cases » qui peuvent avoir une fin heureuse. Par exemple, grâce à Treima et à un expert qui nous a contactés, on a retrouvé l’an dernier une aiguière et un bassin en porcelaine de Sèvres (voir ill.), offerts par Marie-Antoinette à sa gouvernante, qui avaient été dérobés en 1987 au château de Thoiry.

L'aiguière et le bassin en porcelaine de Sèvres dérobés en 1987 au château de Thoiry. © DR
L'aiguière et le bassin en porcelaine de Sèvres dérobés en 1987 au château de Thoiry.
© D.R.
Commencez-vous à utiliser l’Intelligence artificielle ?

Oui tout à fait, nous avons mis en place une solution dénommée « Artefact », qui ratisse les sites de ventes d’objets d’art et compare les objets mis en vente avec la base Treima. C’est opérationnel depuis un an. Ici la plus-value de l’IA est de pouvoir exploiter les images afin de mieux les comparer. On n’en est qu’au début mais j’ai de grands espoirs dans cet outil qui va nous permettre de repérer plus facilement les objets volés mis en vente.

Vous insistez beaucoup lors de vos interventions publiques sur l’intérêt de tous – marchands et acheteurs – de disposer d’un marché de l’art sain. Pourquoi ?

La sécurisation du marché de l’art est essentielle pour tous les acteurs, marchands et acheteurs. Elle repose sur une action collective où acheteurs et vendeurs doivent garantir la provenance des biens. Un marché sécurisé défend la réputation de la place française et la maintient forte. Par ailleurs, sécuriser le marché empêche son instrumentalisation par la criminalité organisée cherchant à blanchir de l’argent ou à générer des profits illicites. L’objectif est d’empêcher cette mainmise criminelle et de protéger les acheteurs, qui sont des victimes collatérales lorsqu’ils acquièrent, même légalement, un objet illicite. Aucun collectionneur n’est content quand l’OCBC vient le voir dix ans après avoir acheté un objet pour lui dire que l’objet a été volé ou qu’il est faux. L’OCBC est parfois perçu comme inamical par les marchands, mais en réalité nous œuvrons pour leur bien !

Précisément, s’agissant des faux, alors qu’on attend le verdict du procès des faux meubles de Versailles, quelles autres affaires de ce type avez-vous eu à traiter ?

Beaucoup de gens achètent des faux sans le savoir. Récemment, nous avons démantelé un réseau spécialisé qui ouvrait des galeries éphémères, installées dans des stations huppées comme à Saint-Tropez, et qui vendaient de faux bronzes ou lithographies avec de « vrais-faux » certificats. Ces certificats certifiaient que l’œuvre est en bronze mais n’indiquaient pas qui en était l’auteur ! Ces affaires créent un double préjudice : pour la victime qui achète cher un objet de peu de valeur, et pour l’artiste copié dont la cote s’effondre.

L’un de vos prédécesseurs évoquait des faux dans le mobilier Art déco et des années 1950. Du nouveau ?

Je ne commente pas les affaires en cours, mais oui l’OCBC continue à enquêter sur les faux meubles.

Votre mandat se termine cet été. Où allez-vous et de quoi êtes-vous le plus fier de votre passage à l’OCBC ?

Je rejoins l’unité nationale de police judiciaire de la gendarmerie en tant que numéro 3. C’est une unité qui regroupe tous les moyens opérationnels de la gendarmerie. Je suis très content d’avoir pu mener à bien les projets stratégiques engagés depuis mon arrivée dont le Plan national et d’avoir traité avec les enquêteurs des affaires d’envergure nationale et internationale. Nous avons mis en place une nouvelle application (NEO ART) à la disposition des policiers et gendarmes sur le terrain qui les aide à mener des investigations s’agissant du trafic de biens culturels et leur permet de dialoguer avec un agent de l’OCBC par exemple pour savoir si l’objet qu’ils ont entre leurs mains a été volé. Ces réalisations incarnent le travail en collégialité que j’ai essayé d’impulser durant mon mandat.

Quand l’OCBC inspire le 7e et le 9e art  


Médias. France 2 diffuse depuis 2017 la série « Art du crime » qui s’inspire en partie de l’OCBC. En partie seulement car les deux inspecteurs (Antoine Verlay et Florence Chassagne) enquêtent surtout sur des crimes, qui se déroulent dans un contexte muséal ou du marché de l’art. La série a eu du succès puisqu’elle en est à sa huitième saison. La BD de Luc Larriba et Laure Fissore, elle, plonge directement à l’intérieur de l’OCBC en suivant plusieurs enquêtes véritables. Une forme de documentaire sur papier qui permet de comprendre dans le détail comment fonctionne l’Office et comment se déroule une enquête, par exemple le démantèlement d’un gang de voleurs, de receleurs et de vendeurs d’objets d’art dans la région de Sarlat. L’ouvrage de 192 pages est d’ailleurs plus un roman illustré qu’une BD. Les illustrations viennent en appui de longues explications sur l’enquête, accompagnées d’encadrés pédagogiques permettant de préciser tel ou tel élément de contexte.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°656 du 23 mai 2025, avec le titre suivant : Hubert Percie du Sert : « Le renseignement est la base de notre métier »

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