Institut

La difficile gestation de l’INHA

Quelles perspectives pour l’Institut national d’histoire de l’art ?

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 7 mars 2003 - 1409 mots

Imaginé dès 1973 par Jacques Thuillier, mis en forme dix ans plus tard par André Chastel, l’Institut national d’histoire de l’art (INHA) a été officiellement créé le 12 juillet 2001. Lieu de recherche, d’enseignement et de documentation, le projet est aujourd’hui revu à la baisse, avec des restrictions de budget et d’espace. L’INHA doit notamment composer avec la Bibliothèque nationale de France (BNF), dont il partage les locaux, dans le premier arrondissement de Paris. Ces soucis ne sont que plus révélateurs du traitement de l’histoire de l’art en France.

PARIS - En 1973, dans une note confidentielle au président de la république Georges Pompidou, Jacques Thuillier insistait sur la nécessité de la “reconstitution à Paris d’un institut d’art digne de ce nom”. Alors que Londres hébergeait le Courtauld Institute of Art depuis 1931 et le Warburg Institut depuis 1934, la France ne disposait toujours pas d’un établissement réunissant enseignement, documentation et recherche en histoire de l’art. Il a fallu attendre trente ans pour que ce projet voit enfin le jour. Suivant les recommandations de son prédécesseur, André Chastel remet en 1983 un premier rapport sur la création d’un Institut comparable au Zentralinstitut für Kunstgeschichte de Munich, juste ouvert. Pour l’historien de l’art, un tel établissement devait réunir chercheurs et étudiants, être susceptible de développer la discipline et d’en diffuser les résultats en France et à l’étranger. Aucun lieu d’installation n’est alors préconisé, mais l’École nationale supérieure des beaux-arts (Énsb-a) ou certains espaces du Grand Palais, tous deux situés à Paris, sont évoqués. En 1992, suite aux rapports Benhamou et Encrevé, il est finalement décidé que le futur institut d’histoire de l’art s’installera dans les locaux du site Richelieu (1er arrondissement de Paris), laissés vacants par le transfert à Tolbiac des collections d’imprimés de la Bibliothèque nationale de France (BNF). Un dernier texte, le rapport de Michel Laclotte, rendu en 1996, finalisera le projet, en insistant sur la nécessité de développer les instruments de recherche et la mise en place de programmes collectifs. L’Institut national d’histoire de l’art (INHA) est officiellement créé par le décret n° 2001-621 du 12 juillet 2001, sous le statut d’un établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel, placé sous la tutelle des ministres chargés de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de la Culture. L’archéologue et universitaire Alain Schnapp en est nommé pour cinq ans directeur général (décret du 29 août 2001). Pour mener à bien ses missions, l’INHA est organisé en deux espaces. Situé à l’angle des rues Vivienne et Petits-Champs, le Carré Vivienne, qui devrait ouvrir ses portes à la rentrée universitaire 2003, accueillira les locaux d’enseignement et de recherche, tandis que le quadrilatère Richelieu, où étaient installés jadis les imprimés de la BNF, doit abriter la future bibliothèque de l’INHA, dont l’ouverture est prévue en 2006.
Considérée comme le chantier majeur, la bibliothèque regroupe quatre institutions : la bibliothèque d’art et d’archéologie Jacques-Doucet (riche de plus de 750 000 documents), la bibliothèque centrale des musées nationaux (plus de 250 000 documents) et les fonds imprimés de l’Énsb-a (plus de 350 000 documents), auxquels sera associée, dans un espace indépendant, la bibliothèque de l’École des Chartes (149 000 documents) – l’administration et l’enseignement de l’École des Chartes devant s’installer dans un immeuble voisin. Par ailleurs, l’INHA doit partager l’espace Richelieu avec la BNF, dont les départements spécialisés (Cartes, Plans, Estampes, Photographies, Manuscrits occidentaux et orientaux, Monnaies, Antiques, Médailles) sont restés sur place après les grands déménagements sur le site François-Mitterrand. Une situation qui n’est pas sans poser problème aujourd’hui. En effet, en octobre dernier, lors de la présentation du rapport sur “La stratégie immobilière du ministère de la Culture et de la Communication” (lire le JdA n° 158, 8 novembre 2002), Jean-Jacques Aillagon dévoilait les nouvelles mesures pour l’INHA, fort restrictives par rapport au projet initial qui, selon lui, “ne ménageait pas une prise en compte suffisante des besoins de la BNF”. Afin de “résorber le déficit de surface et le dépassement financier” – l’INHA se voit amputé de 3 000 mètres carrés par rapport aux 14 000 programmés –, le nombre de volumes en libre accès a été réduit de 400 000 à 265 000. Dans le bulletin n° 2 des Nouvelles de l’INHA (1), publié en 2000, Alain Schnapp espérait pourtant “constituer un ensemble d’environ huit cent mille volumes, dont quatre-vingt-dix pour cent en libre accès”.

“Il faut sauver l’INHA”
Autre restriction lourde de conséquences, le ministre souhaitait octroyer la salle Labrouste à la BNF, alors qu’elle était officiellement réservée à l’INHA depuis 1998. Ce dernier devait se contenter de la petite salle ovale, où loge actuellement la bibliothèque Doucet, qui ne compte que 250 places au lieu des 400 de l’espace Labrouste. Une enquête technique pour vérifier la validité de ces propositions doit être rendue d’ici la fin du mois. Selon nos informations, si le ministère renonce à priver l’INHA de la salle Labrouste, en revanche, il maintient le calibrage de volumes libres d’accès à 270 000. Une mesure contre laquelle nombre d’historiens de l’art, chercheurs et conservateurs s’étaient déjà élevés en octobre dernier, Éric de Chassey et Laurence Bertrand d’Orléac en tête. Ces derniers ont lancé une tribune sur Internet (2) pour faire part de leurs inquiétudes : “Si l’INHA ne se fait pas selon les modalités qu’un large consensus avait permis d’établir, tout laisse penser que les jeunes chercheurs seront de plus en plus nombreux à quitter la France. Il faut sauver l’INHA si l’on veut que les Français aient un accès intelligent à leur histoire et à leur patrimoine. Il faut sauver l’INHA si l’on veut que la France retrouve pleinement la place qu’elle mérite sur la scène artistique et intellectuelle internationale.” Un texte auquel de nombreuses personnalités ont apporté leur soutien, ainsi Pierre Rosenberg, Roland Recht, Olivier Bonfait, Daniel Buren, Anne Pingeot, Daniel Arasse ou encore Régis Durand. “Même si le recalibrage du nombre de volumes en libre accès pose problème par rapport au but fixé, nous trouverons des solutions honorables, commente Alain Schapp. Cela dit, il faut cesser d’opposer l’INHA et la BNF, dont les activités sont, en réalité, complémentaires. Nous travaillons dans le même sens. Il s’agit juste de trouver le bon équilibre. Actuellement, nous sommes donc dans une phase d’adaptation du projet à une nouvelle conjoncture.”

À quand l’agrégation d’histoire de l’art ?
Réparti sur 58 500 mètres carrés, dont 46 000 mètre carrés utiles, le quadrilatère Richelieu devra donc abriter l’ensemble des départements spécialisés de la BNF, ainsi que les bibliothèques de l’INHA et de l’École des Chartes. Pour l’heure, priorité est donnée à la “réhabilitation” du quadrilatère, l’état des locaux laissant à désirer. Au programme : remise aux normes de sécurité, rénovation de l’installation électrique, renouvellement des équipements techniques (chauffage, cablâge informatique), etc. Il s’agit aussi pour la BNF de remédier aux mauvaises conditions de conservation de ses collections. Menée par l’établissement de maîtrise d’ouvrages culturels (ÉMOC), la totalité des travaux (réfection du bâtiment et aménagement des bibliothèques), d’un montant de 59 millions d’euros, devrait s’achever d’ici 2007. Du côté de la rue Vivienne, les travaux, d’un coût de 21 millions d’euros, prendront fin en octobre prochain. Y seront rassemblés : l’Institut national du patrimoine, le troisième cycle (à partir du DEA) d’histoire de l’art et d’archéologie de Paris-I et Paris-IV, ainsi que d’autres universités dispensant un enseignement artistique, l’École pratique des hautes études (ÉPHE), et enfin, l’École des hautes études en sciences sociales (ÉHESS). Ainsi, l’Institut réunira chercheurs, enseignants et conservateurs. “Une part importante du projet repose, idéalement, sur la mise en commun des travaux scientifiques de l’ensemble de la communauté française”, comme sur une “volonté d’associer complètement musées et patrimoine”, précisait en 2000 Michel Laclotte, alors président du Comité d’orientation scientifique de l’INHA. L’Institut dispense également des bourses et des allocations de recherche à des étudiants de maîtrise, de DEA et à des doctorants (1). Actuellement, une soixantaine d’entre eux partagent leur temps entre leurs propres recherches et un travail pour l’INHA. La création d’un tel établissement pourrait aider au développement de l’histoire de l’art dans le secondaire, avec notamment la création d’un CAPES et d’une agrégation. Mais, pour l’heure, il n’en est rien. “Actuellement, nous travaillons plutôt à une option histoire de l’art rattachée aux grandes matières soutenues au CAPES, une option qui exigerait au préalable une licence dans la discipline”, explique Alain Schnapp. L’histoire de l’art, en France, a donc encore du chemin à faire avant d’être pleinement reconnue...

(1) Consulter le site www.inha.fr
(2) www.inha.chez.tiscali.fr

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°166 du 7 mars 2003, avec le titre suivant : La difficile gestation de l’INHA

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