L'actualité vue par

Julien Anfruns, directeur général de l’ICOM

« La demande de consommation culturelle est en très forte hausse »

Par Sophie Flouquet · Le Journal des Arts

Le 14 octobre 2008 - 1594 mots

Énarque, Julien Anfruns était depuis 2005 directeur financier et juridique du Musée du Louvre, où il a travaillé notamment à la cession de la marque « Louvre » à l’émirat d’Abou Dhabi (Émirats arabes unis). Auparavant, il a exercé la fonction de responsable des affaires économiques et financières au ministère de la Culture et de la Communication (2002-2005), après avoir été en poste en ambassade à l’Organisation des Nations unies (ONU) à New York, en Finlande et en Estonie. Depuis le 1er octobre, il est le premier directeur général du Conseil international des musées (ICOM), une organisation internationale associée à l’Unesco. Julien Anfruns commente l’actualité.

Vous êtes le premier directeur général de l’ICOM. Pourquoi l’ICOM n’a-t-il jamais eu de directeur général auparavant et pourquoi créer ce poste aujourd’hui ?
L’ICOM est une institution assez ancienne. Elle est née en 1946, au moment de la création de l’Unesco, le volet culturel de l’ONU. Jusque-là, l’exécutif était géré par un secrétariat général. Or celui-ci ne correspond plus aujourd’hui à la maturité de l’institution ni à ses nouveaux besoins. L’ICOM est une organisation très riche de diversité qui est présente dans 151 pays et compte 27 000 membres. Nous avons désormais de nombreux nouveaux chantiers à exploiter. Il nous fallait donc un nouveau type de leadership pour gérer cette diversité.

Quelles sont précisément vos missions ?
Elles sont de quatre ordres : jouer un rôle de stratège dans le cadre de notre programme ; assumer une fonction de porte-parole pour la communauté muséale ; mettre en œuvre notre programme stratégique ; et enfin gérer l’organisation. Cela dans une période où il nous faut trouver les ressources nécessaires à l’accomplissement de nos ambitions.

Comment l’organisation est-elle financée ?
Son financement repose à 84 % sur les cotisations de nos membres. Nous lançons également des appels à projets, qui peuvent bénéficier de contributions de la part de l’Unesco et de certains États, mais aussi du mécénat. Il s’agit là d’un chantier à développer.

Cela signifie-t-il que ces financements ne sont plus suffisants pour développer vos programmes et bénéficier d’une bonne visibilité ?
Nos programmes touchent les musées de toutes les régions du monde. Pour pouvoir agir sur la totalité de cette zone géographique, il nous faut en effet pouvoir dégager de nouveaux moyens.

Quel est le statut de l’organisation ?
L’ICOM est considéré comme une ONG (organisation non gouvernementale). Il relève en même temps d’un statut associatif sur le territoire français et de statuts ad hoc dans chaque pays où il est présent, ce qui signifie qu’il est totalement malléable au droit national de chaque pays.

Existe-t-il un consensus autour de la représentativité de l’ICOM ?
C’est un sujet sur lequel nous sommes en train de travailler. Il est difficile d’offrir les mêmes prestations à un grand musée européen et à un musée situé dans une zone de conflit armé, comme c’est le cas en Irak. Il nous faut donc construire un nouveau type de langage en fonction des institutions et offrir des services différenciés.

La voix de l’ICOM a été peu entendue sur les sujets qui ont agité le monde des musées récemment, comme l’internationalisation ou la cession de marques de musées. Comptez-vous dorénavant donner une ligne claire sur ces problématiques ?
Nous souhaitons en effet intervenir sur tous les sujets d’actualité sur lesquels nous pouvons offrir une contribution fructueuse. La vocation de l’ICOM est de fournir un cadre à tous nos membres, dans un dispositif respectueux des États et de leurs modalités de gestion, ce qui n’est pas incompatible. C’est un principe de subsidiarité. Les exemples que vous citez sont des points d’évolution des musées en termes de moyens, pas en termes de fins. La mission première des musées sera toujours double : conserver des œuvres pour les générations futures et les présenter aux générations actuelles. Les idées de développement peuvent ensuite être nombreuses à condition de garder un souci d’exigence. Il n’existe pas de recette idéale et immuable en termes de moyens.

Cela signifie-t-il que l’idée de valoriser ce que l’on appelle les « actifs immatériels » des musées, comme l’a fait le Louvre en cédant sa marque à l’émirat d’Abou Dhabi, pourrait devenir une tendance forte à l’avenir dans les musées ?
Et dans la culture en général. Le rapport Jouyet-Lévy, consacré à la problématique de l’immatériel, a montré qu’une bonne partie des réservoirs de matière grise n’était pas toujours exploitée au mieux en termes d’image. Or la culture est devenue une valeur importante, y compris dans les nouveaux espaces de développement géopolitique. Je pense qu’il s’agit plutôt d’une chance à saisir.

Mais n’y a-t-il pas une forme d’hypocrisie à parler d’actifs immatériels lorsque la cession de la marque consiste, pour un musée, à prêter ses collections, qui sont matérielles, moyennant finances. Ne s’agit-il pas plutôt d’un moyen détourné pour faciliter une circulation à but lucratif des œuvres ?
Je ne pense pas qu’il s’agisse de moyens détournés. De plus, ces dispositifs ne seront pas exclusifs dans le financement de la culture. Il peut y avoir une ouverture du point de vue de l’immatériel, mais les États sont là pour aider leurs collections nationales. La culture est un secteur en développement, mais les contraintes de financement pour les États sont plus fortes. Pour résoudre l’équation, il faut trouver des idées complémentaires tout en maintenant le cap sur un haut degré d’exigence. Il faut être vigilant par raport à cela. L’ICOM a mis en œuvre un « code de déontologie pour les musées » (2006). Ces cadres structurants fixés par l’ICOM sont importants car ils permettent ensuite de faire bouger les lignes concernant la gestion des institutions.

Il est pourtant stipulé dans l’article 2.16 de ce code que les collections de musées ne doivent pas être considérées comme des actifs financiers…
Il est clair que les collections ne seront jamais des actifs financiers. Les collections nationales ont d’abord une valeur d’héritage.

La lutte contre le trafic des biens culturels est un axe important de l’action de l’ICOM. À ce sujet, se pose le problème de la non-ratification par la France de la convention Unidroit sur les biens culturels volés ou illicitement exportés. L’ICOM compte-t-il peser pour que ce texte soit réexaminé par les parlementaires ?
Notre action est conçue comme un emboîtement de poupées gigognes. Nous devons d’abord jouer un rôle d’expert et d’inspirateur pour faire évoluer le droit, et, ensuite, mettre en place un cadre de références normatives en termes de déontologie, qui permet de collecter les renseignements essentiels sur les œuvres. Tout cela peut être fait en dehors d’Unidroit, par le biais, notamment, d’actions de terrain. Néanmoins, nous souhaitons que cette convention soit ratifiée par un maximum d’États.

L’ICOM a une vocation internationale ; quelles sont les actions menées en faveur des musées situés dans les pays moins favorisés ?
Nous n’avons pas vocation à nous substituer aux institutions ou aux États, ni à leur financement. En revanche, nous sommes sollicités dans de nombreuses régions du monde pour répondre à des problématiques locales, qui portent très souvent sur la déontologie. Ces actions bénéficieront de moyens supérieurs dès l’année prochaine. L’ICOM doit différencier ses services de contribution car un musée africain n’a pas les mêmes besoins qu’un musée européen.

L’expertise de l’ICOM a-t-elle été sollicitée pour les nouveaux projets de musées du golfe Persique ?
Non, mais il est sûr qu’à l’avenir, l’ICOM devra jouer un rôle dans tous les nouveaux lieux d’émergence.

Vos prestations sont-elles payantes ?
Non, il s’agit d’un service public international car, dans le cas contraire, de nombreux pays ne pourraient y avoir recours.

Certains pays auraient pourtant les moyens de s’offrir cette expertise. N’avez-vous pas l’intention de développer un guichet payant ?
Je ne m’interdis rien. Certaines prestations peuvent être financées en amont pour permettre de répondre, ensuite, à une mission de service public. Préparer les institutions culturelles à des situations d’urgence est l’un de nos objectifs.

Peut-on imaginer la publication d’une liste de « musées en péril » dans le monde, sur le modèle de la Liste du patrimoine mondial en péril de l’Unesco ?
Ce sont des points sur lesquels nous travaillons avec l’Unesco.

Quel regard portez-vous sur l’évolution récente du monde des musées ?
D’un point de vue international, lorsqu’un pays réfléchit aux fondements de son développement, il intègre désormais la problématique des musées, ce qui n’était pas forcément le cas il y a vingt ans. Partout dans le monde, la demande de consommation culturelle est en très forte hausse. L’avenir est donc rayonnant pour les musées. Toutefois, pour qu’ils puissent garder le cap de ce développement, il faut que les États continuent à investir dans le soutien au patrimoine. L’attractivité de la culture est conditionnée par la capacité à produire de la culture. Il faut donc que les États se battent pour leur culture et que les institutions puissent élargir leurs capacités de financement afin de pouvoir suivre cette demande culturelle. Au regard des budgets nationaux, la culture représente encore très peu.

Que pensez-vous de la création d’« antennes de musée » à partir d’une maison mère (lire p. 5) ?
Cette tendance doit être mesurée. Il ne faut pas oublier que les musées s’appuient sur une ressource rare qui n’est pas reproductible. On ne peut donc pas créer que du contenant. Cette piste existe mais il ne s’agit pas d’une révolution copernicienne.

Une exposition vous a-t-elle marqué récemment ?
L’exposition « Mantegna » (1), au Louvre, est magnifique. J’ai également beaucoup apprécié l’exposition de la Gemäldegalerie, à Berlin, consacrée à Sebastiano Del Piombo, qui met en lumière ce peintre resté dans l’ombre de compatriotes plus célèbres, comme Raphaël

(1) jusqu’au 5 janvier 2009, lire le JdA no 288, 3 octobre 2008, p. 18.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°289 du 17 octobre 2008, avec le titre suivant : Julien Anfruns, directeur général de l’ICOM

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