A Fontainebleau, le centre mis à ZAC ?

Le Journal des Arts

Le 4 février 2000 - 1080 mots

Une ZAC comprenant trois cents logements et une trentaine de commerces verra-t-elle le jour à deux pas du château de Fontainebleau et au cœur du quartier historique ? Ce projet de la municipalité suscite l’opposition des défenseurs du patrimoine, qui dénoncent sa démesure et son inadaptation aux besoins de la ville.

FONTAINEBLEAU - À quoi sert la législation sur les monuments historiques ? Pourquoi un particulier habitant à moins de cinq cents mètres d’un monument classé subit-il, à juste titre, des contraintes rigoureuses, alors qu’un groupe de BTP reçoit un blanc-seing de la municipalité et du ministère de la Culture pour élever dans le même périmètre un ensemble de logements et de commerces ne tenant aucun compte du bâti existant ? C’est en substance la question que l’on pourrait se poser en découvrant le projet immobilier en préparation aux abords immédiats du château de Fontainebleau : voulu par le sénateur-maire RPR Paul Dubrule, il prévoit, dans le cadre d’une Zone d’aménagement concerté (ZAC), la construction de trois cents logements et d’une trentaine de commerces, dont quatre moyennes surfaces (Décathlon, Monoprix…), dans le quartier Boufflers. Le 28 février, le conseil municipal doit décider la création d’une ZAC et adopter un plan d’aménagement de zone (PAZ), pour ce quartier. Les terrains, d’une superficie de 2,6 hectares, sont situés entre l’École des Mines – qui en possède une partie – et le château, à proximité d’hôtels particuliers classés, et surtout du portail de Serlio, seul vestige de l’hôtel de Ferrare. Dans cet environnement exceptionnel, l’architecte désigné par la municipalité, Jean-Pierre Buffi, associé à Bouygues, a choisi un parti résolument contemporain, à la fois dans ses formes et ses matériaux, et prétend “faire œuvre d’art urbain autant que d’architecture”. Bien entendu, toute intervention contemporaine dans un périmètre aussi riche sur le plan patrimonial n’est pas à bannir, mais ce projet ostentatoire choque par sa démesure et son inadaptation aux besoins de la ville. Les terrains étant situés dans le champ de visibilité de monuments classés, l’accord du ministère de la Culture était nécessaire et il a été accordé. “La Commission supérieure des Monuments historiques, section abords, s’est prononcée en amont, mais les permis de construire devront ensuite faire l’objet d’un avis favorable de l’architecte des Bâtiments de France et de la ministre”, précise Anne-Marie Cousin, sous-directeur de la qualité des espaces et de l’architecture, au ministère.

Pourtant, même à l’état de projet, la ZAC Boufflers inquiète le Comité de défense, d’action et de sauvegarde de Fontainebleau (CDASF). On peut s’étonner en effet de la légèreté de la direction de l’Architecture et du Patrimoine, dont le credo, défendu par François Barré, d’intégrer la création contemporaine au bâti ancien semble s’appliquer ici bien mal à propos. Certes, “des modifications sont envisagées à la suite de l’enquête publique, se défend Laurent Lemaître, responsable de l’urbanisme à Fontainebleau. Les hauteurs seront abaissées, la question du stationnement sera reconsidérée afin d’offrir plus de places”.

Il n’en demeure pas moins que, même réduits de 18 à 17 mètres, les nouveaux immeubles domineraient toutes les autres constructions et qu’ils constitueraient une rupture brutale avec l’urbanisme existant, tout en accroissant considérablement la densité du quartier – sans parler des inévitables problèmes de circulation qui s’annoncent.

Le cas du “Grand Ferrare”
L’importance, au regard de l’art et de l’histoire, du château de Fontainebleau, l’une des principales résidences royales après Versailles, invite évidemment à la vigilance. Par la volonté de François Ier, et sous la houlette de Rosso puis de Primatice, il fut l’un des principaux foyers de la Renaissance en Europe. Jusqu’à Napoléon III, les souverains ont eu à cœur d’agrandir, de transformer ce lieu dans lequel s’incarne la continuité du pouvoir. Autour ont été édifiés plusieurs hôtels particuliers, dont le plus fameux fut sans doute le “Grand Ferrare” : construit par Sebastiano Serlio au XVIe siècle pour le cardinal Hippolyte d’Este, il constitue le premier exemple d’hôtel à la française, où un corps principal flanqué de deux ailes s’élève entre une cour d’honneur et un jardin régulier. Ce monument a été détruit au XIXe siècle, mais son portail subsiste – il est classé depuis 1987 et a été restauré en 1995 –, et des sondages réalisés par l’Association pour les fouilles archéologiques nationales ont confirmé l’existence en sous-sol des vestiges de l’hôtel. Leur étude apporterait une contribution majeure à la connaissance de l’œuvre de Serlio, notamment en comparant le plan dessiné à celui effectivement réalisé. Les bains souterrains, qui auraient été décorés par Primatice, suscitent également l’intérêt des historiens de l’art. Cela n’empêche pas les promoteurs du projet d’affirmer dans leur note d’intention qu’une incertitude “persiste sur l’existence, voire même sur l’intérêt des restes de l’hôtel de Ferrare”. Le site de l’hôtel sera épargné par les constructions et des fouilles devraient être réalisées à la charge du promoteur, mais aucun engagement précis n’a été pris, notamment sur un calendrier. Quant au portail, le projet prévoit de détruire, à l’exception d’une travée, la partie gauche du mur de soutien, sous prétexte qu’elle ne serait pas d’origine. “On pensait que le ministère de la Culture imposerait la restauration des murs de chaque côté”, s’indigne Inès Champetier de Ribes, du CDASF.

Une synergie douteuse
Au-delà de la querelle patrimoniale, c’est la logique urbanistique présidant à la ZAC Boufflers qui est mise en cause par les adversaires du projet. Alors que la restructuration des armées va entraîner le départ de trois mille personnes et que le nombre de logements vacants est estimé à un millier, comment justifier la création non seulement de trois cents appartements, mais aussi d’une trentaine de commerces, dont quatre moyennes surfaces ? Si cela permettait de dynamiser une ville, cela se saurait. De plus, aucun équipement culturel n’est prévu, et le centre de conférences annoncé est devenu une simple salle de réunion, dont la gestion sera concédée par la municipalité à un opérateur privé. Quant à la “synergie” attendue entre le centre-ville et le château, elle semble pour le moins compromise par la configuration retenue : la seule voie de circulation créée est perpendiculaire à l’axe reliant ces deux pôles.

Mais les reproches n’épargnent pas l’architecture elle-même : “C’est un projet qu’on peut voir dans toutes les villes, dans tous les quartiers”, constate Inès de Ribes, qui déplore “le manque de sensibilité à la culture, à la spécificité du lieu, au profit de la rentabilité immédiate”. Exigeant un moratoire et souhaitant englober dans la réflexion les terrains libérés par l’armée, le CDASF n’attend plus que la décision du conseil municipal pour engager un recours.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°98 du 4 février 2000, avec le titre suivant : A Fontainebleau, le centre mis à ZAC ?

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