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Emilie Gordenker : « Nous avons beaucoup réfléchi à notre positionnement »

Directrice de la Mauritshuis, La Haye

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 11 mars 2014 - 1069 mots

La date du 27 juin approche à grands pas pour la Mauritshuis, à La Haye. Petit bijou parmi les musées néerlandais, le cabinet royal de peintures va rouvrir ses portes après deux ans de travaux. Doté d’une nouvelle extension dans un bâtiment Art déco voisin, le musée est prêt à affronter le XXIe siècle. Sa directrice, Emilie Gordenker, détaille son projet.

D’origine américaine et néerlandaise, l’historienne de l’art Emilie Gordenker dirige le Mauritshuis, à La Haye, depuis 2008. Grand par ses collections (La Jeune Fille à la perle et La Vue de Delft de Vermeer ; La Leçon d’anatomie de Rembrandt) et petit par la taille, le musée n’était plus en mesure d’accueillir ses 260 000 visiteurs annuels dans des conditions confortables. En juin 2014, la Mauritshuis nouvelle formule rouvrira ses portes au terme de deux ans d’un chantier complexe de rénovation et d’extension. À l’image du Rijksmuseum à Amasterdam ou du Musée du Louvre, l’entrée du musée se fait désormais par un vaste hall d’accueil creusé en sous-sol. Ce nouvel espace assure la connexion avec un bâtiment Art déco qui avoisine la résidence historique du comte Johan Maurits de Nassau-Siegen datant du XVIIe siècle. Abritant salles d’expositions temporaires, ateliers pédagogiques, auditorium et bureaux, cette extension permet au musée de doubler sa surface.

Quelle est la place du Mauritshuis dans le paysage des musées néerlandais ? Les grands musées d’Amsterdam vous font-ils de l’ombre ?
Nous avons beaucoup réfléchi à notre positionnement. La réouverture [en avril 2013] du Rijksmuseum a été si réussie que l’attention s’est à nouveau braquée sur la Hollande. Le fait que le Rijksmuseum est redevenu un grand musée généraliste, après des années passées à présenter une sélection de chefs-d’œuvre dans la Phillips Wing, nous est bénéfique. La Mauritshuis se distingue de lui en tant que petit musée spécialisé dans la peinture. Cette expertise fait la différence.
Le Rijksmuseum nous a beaucoup appris, dans sa manière d’aborder une rénovation, un raccrochage et même la communication. Reste le défi d’attirer les touristes pour lesquels la Hollande se résume à Amsterdam. Tout est une question de perception. La Haye n’est située qu’à une demi-heure de l’aéroport de Schiphol. Nous allons concentrer nos efforts pour attirer jusqu’à La Haye les nombreux touristes qui arrivent à Amsterdam sans programme de visite. L’esprit de collégialité fait que la compétition entre les musées est saine. Avec le Gemeentemuseum (Musée municipal de La Haye), il est plus question de complémentarité que de concurrence.

Vous avez envoyé les collections à travers le monde pendant la fermeture du musée (6 étapes en deux ans aux États-Unis, au Japon et en Italie). Attendez-vous une évolution du profil de vos visiteurs ?
La tournée mondiale de la collection devrait accroître le pourcentage de touristes étrangers. Ces dernières années, les visiteurs venus de l’étranger représentaient 60 % du public, tous âges confondus. Les 40 % restants, dominés par les seniors et les scolaires, tendent à se déplacer pour les expositions temporaires. Nous attendons une hausse de la fréquentation annuelle de 25 %, soit 300 000 visiteurs que le musée rénové pourra enfin accueillir de manière appropriée. Nous réfléchissons aussi à une programmation destinée aux familles, pour rajeunir notre public.

Le réaménagement du Rijksmuseum à Amsterdam a été longtemps retardé par un imbroglio politique, populaire et financier. Comment le projet du Mauritshuis a-t-il été accueilli ?
Étonnamment bien. L’extension concerne deux édifices historiques, l’ancienne résidence de Johan Maurits et un immeuble Art déco, aussi la règlementation à observer était-elle stricte. L’obtention d’un permis de construire peut se révéler délicate, mais nous n’avons rencontré aucun obstacle. Sans doute avons-nous été très consciencieux dans notre manière de présenter le projet, de répondre à toutes les questions. Nous avions le soutien de la municipalité et, d’une certaine façon, celui des visiteurs, conscients qu’il était temps de passer à l’action.

La Mauritshuis mène une politique d’acquisition très active. Qu’en est-il de votre budget d’acquisition ?
Nous sommes une fondation privée financée pour moitié par l’État, chargée de la conservation d’une collection nationale et de l’entretien du bâtiment. En tant que structure semi-indépendante, notre budget d’acquisition n’est pas subventionné. La BankGiro Loterij [loterie culturelle indépendante] nous dote chaque année, avec le Rijksmuseum, le Musée Van Gogh et le Musée Kröller-Müller, d’un montant variable mais important pour nos acquisitions [ces quatre musées nationaux se sont partagé 8,64 millions d’euros en 2013]. Ce système facilite les procédures d’acquisition car, sur cette base solide, il est plus facile de convaincre d’autres mécènes. Cette dotation a l’avantage d’être cumulable – ce qui nous permet de faire des achats importants et réfléchis, contrairement à d’autres qui sont forcés de dépenser leur subvention dans l’année. La Fondation des Amis de la Mauritshuis nous apporte aussi un grand soutien pour les expositions et les acquisitions – comme celle du tableau de Clara Peeters, Nature morte avec fromages, amandes et bretzels (v. 1615), acheté à un collectionneur américain.

Comment le projet de rénovation et d’extension a-t-il été financé ?
La rénovation de l’édifice historique est financée par l’État, et le reste est à notre charge. Notre budget initial était de 22,7 millions d’euros, dont nous disposions dès le départ. Mais compte tenu de la situation économique, nous ne voulions pas prendre de risques. Le projet s’est étoffé au fil du temps, avec un atelier de conservation, un nouvel éclairage à LED… pour lesquels nous avons levé des fonds privés [Shell, 3 millions d’euros ; Fonds européen de développement régional, 2 millions d’euros…]. En tout, le projet s’élève à 30 millions d’euros, dont les trois quarts sont autofinancés.

Combien vous a rapporté la location de votre collection, dont la tournée mondiale a attiré des millions de visiteurs ?
Le contrat est très important et confidentiel.

Pouvez-vous nous donner les détails de votre projet avec la Frick Collection de New York ?
Dans son testament, Henry Clay Frick (1849-1919) a exigé que les œuvres de sa collection ne quittent jamais sa résidence de la 5e Avenue. Le musée nous prêtera donc des œuvres acquises après sa mort en 1919 [pour l’exposition « A Country House in New York », 5 février 2015-10 mai 2015]. Le pouvoir d’acquisition de la Frick Collection a été tel que nous allons recevoir des œuvres splendides, comme le portrait de La Comtesse d’Haussonville de Jean-August Dominique Ingres, le Cheval blanc de John Constable, mais aussi des tableaux de Cimabue, Van Eyck, Memling… C’est la première fois que la Frick Collection laisse partir un ensemble aussi important.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°409 du 14 mars 2014, avec le titre suivant : Emilie Gordenker : « Nous avons beaucoup réfléchi à notre positionnement »

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