Collectionneurs

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Eli Broad, collectionneur

« Un lieu pour le meilleur de l’art actuel »

Par Jason Edward Kaufman · Le Journal des Arts

Le 17 février 2006 - 1198 mots

LOS ANGELES / ÉTATS-UNIS

En 2004, le collectionneur américain Eli Broad, âgé de 72 ans, a promis un don de 50 millions de dollars (41,4 millions d’euros) pour la construction d’un centre d’exposition de trois étages dédié à l’art contemporain à proximité du Los Angeles County Museum of Art (Lacma).

L’édifice, conçu par l’architecte Renzo Piano, prendra le nom de « Broad Contemporary Art Museum » (BCAM). Sa construction a commencé. Eli Broad s’est engagé à prêter périodiquement à l’établissement des sélections d’œuvres issues de sa collection personnelle. Il destinerait aussi 10 millions de dollars aux acquisitions d’art contemporain que le musée effectuera en concertation avec lui et le conservateur de sa collection privée. Mais sa réticence à confirmer sa promesse de don au Lacma concernant tout ou partie de sa substantielle collection suscite des inquiétudes sur l’avenir à long terme de ce projet.

Comment envisagez-vous le BCAM ?
Le nouveau Lacma comprendra un pavillon d’entrée, un parking souterrain, une façade sur le Wilshire Boulevard, un jardin de sculptures et une allée pédestre menant d’une extrémité à l’autre du site, ainsi que le BCAM, tous conçus par Renzo Piano. Le BCAM offrira près de 5 600 m2 de surface d’exposition, plus que le Whitney Museum of American Art ou le Guggenheim Museum [à New York]. Avec le BCAM, le Museum of Contemporary Art (MoCA) et le Hammer, nous pourrions réellement faire de Los Angeles la capitale mondiale de l’art contemporain. Parmi tous les nouveaux artistes de la Biennale du Whitney, une très forte proportion est originaire du sud de la Californie, où l’on recense quatre grandes écoles d’art, l’UCLA, l’USC, CalArts et l’Art Center College. Aussi, des gens issus de nombreux secteurs d’activité, dont l’industrie du divertissement, sont en train de devenir des collectionneurs de plus en plus importants d’art contemporain.

Le budget de construction est-il toujours de 50 millions de dollars, et l’assumez-vous en totalité ?
Il est toujours de ce montant. Un modeste dépassement n’est pas exclu, mais nous avons accepté de donner 50 millions. Le musée assurera le fonctionnement de l’édifice et son entretien. Ses ressources proviendront des services, des adhésions, des entrées et des ventes en boutique.

Le bâtiment appartiendra-t-il au Lacma ?
Il appartiendra au Lacma, plus particulièrement au Museum Associates [organisation privée à but non lucratif exploitant le musée], et non au comté de Los Angeles comme le reste.

Quels changements apportera selon vous le BCAM à la situation actuelle à Los Angeles, et quelles devraient être ses relations avec le MoCA et le Hammer ?
Ces deux musées organisent l’un et l’autre de grandes expositions, mais le Hammer ne possède pas de collection d’art contemporain et le MoCA n’expose pas une grande partie de la sienne. Je soutiens le MoCA, auquel j’ai donné 250 000 dollars pour l’exposition Basquiat, et une somme importante pour celle de Warhol. Ce musée fait évidemment partie de ce que j’appellerais l’atelier contemporain de la ville. Mais je souhaiterais lui voir consacrer plus de temps à exposer la collection Panza et d’autres ensembles de qualité qu’il détient. Nous avons donc besoin d’un endroit pour montrer le meilleur de l’art actuel, à la fois par périodes et par thèmes.

Le BCAM offrira donc à Los Angeles une présentation chronologique de l’art contemporain, comme le MoMA à New York ?
Tout juste. Et avec l’insertion du  BCAM dans un musée encyclopédique de premier plan – ce qui permet d’exposer de l’art contemporain et de le comparer avec des arts d’autres périodes et d’autres types –, la situation devient extrêmement intéressante. Nous réservons aussi un espace aux expositions temporaires.

À quoi ressemblera l’aménagement du BCAM ?
Pour l’exposition inaugurale, l’ensemble de l’édifice sera dévolu à la collection permanente, qui comprend ce que d’autres et moi-même sommes disposés à prêter ou à donner. Celle-ci proviendra de la collection du Lacma, d’autres collectionneurs, et nous sommes tombés d’accord sur un prêt de deux cents œuvres. Je pense qu’elle sera ordonnée par périodes et par thèmes, depuis le dernier étage jusqu’au rez-de-chaussée.

Quel genre d’exposition temporaire souhaiteriez-vous y voir ?
Nous souhaitons clairement voir naître des manifestations d’art contemporain à Los Angeles et apporter à cette ville des expositions importantes. Mais nous n’avons pas encore de programme arrêté.

Certains s’inquiètent du degré d’indépendance dont disposera le BCAM. Y exercerez-vous, en tant que fondateur du musée, une influence majeure ?
Le BCAM sera administré par le Lacma. J’ai fait partie de la commission pour le recrutement du directeur général [NDLR : Michael Govan, directeur de la Dia Art Foundation à New York depuis 1993, a été engagé le 3 février en tant que directeur général du BCAM]. Nancy Riordan, la nouvelle présidente du conseil d’administration, préside aussi une commission chargée du recrutement d’environ huit ou neuf administrateurs. Mais nous souhaitons également engager un directeur adjoint, responsable de l’art contemporain, de la photographie, du film et des nouveaux médias, et qui soit le directeur exécutif du BCAM. Le directeur général participera à la sélection du directeur adjoint, directeur du BCAM.

Comment sera géré le BCAM ? Bénéficiera-t-il de quelque indépendance ?
Il y a deux modèles. Le premier est de le considérer seulement comme un département de plus, comme au Metropolitan Museum of Art [à New York], ce qui ne marche pas vraiment bien. L’autre extrême est la Tate Modern [à Londres], dont le directeur en réfère au directeur général de la Tate, Nick Serota. Et là, cela fonctionne. Le BCAM pourrait être plus proche de ce second modèle que du premier.

Aura-t-il un conseil d’administration distinct ?
Non, mais un conseil consultatif pourrait être créé. Il réunirait les administrateurs du Lacma spécialement portés sur l’art contemporain tels que, entre autres, Bill Bell, Peter Norton, Jane Nathanson et moi-même.

Existe-t-il un conseil consultatif distinct ou un conseil de surveillance pour gérer le fonds d’acquisition de 10 millions que vous avez créé pour le BCAM ?
Oui, il y en a un. Jusqu’à ma mort, je prends en charge le salaire de trois de ses membres, et le Lacma celui des deux autres. Ensuite, ce sera l’inverse.

Qui sélectionnera les deux cents œuvres que vous prêtez ?
La décision sera prise en commun. Nous ne sommes pas commissaires de l’exposition, mais nous y sommes associés. La sélection subira probablement des modifications – songez qu’en réunissant ma collection personnelle et celle de la Broad Art Foundation, on aboutit à environ mille deux cent œuvres…

Allez-vous faire don de votre collection au BCAM, et si c’est le cas, en quels termes ?
Nous allons continuer à collectionner, sans prendre de décisions sur les lieux où la collection est appelée à demeurer. C’est évident, je ne me serais pas disposé à donner 50 millions de dollars au Lacma si je n’en avais pas bonne opinion. Je suis aussi administrateur de la Smithsonian Institution [à Wahington]. En tout état de cause, il n’existe pas d’endroit qui puisse à lui seul accueillir mille deux cent œuvres d’art. Nous ne souhaitons pas les voir stockées dans des réserves. Nous désirons les partager avec le public le plus large. Et vous pouvez constater que Los Angeles est en passe d’être considérée comme l’une des quatre principales capitales culturelles du monde, avec New York, Paris et Londres.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°231 du 17 février 2006, avec le titre suivant : Eli Broad, collectionneur

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