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Clément Chéroux explique l’importance de la photographie au Centre Pompidou

Clément Chéroux, chef du cabinet de la photographie du Musée national d’art moderne-Centre Pompidou, détaille ses projets

Par Christine Coste · Le Journal des Arts

Le 12 février 2014 - 1304 mots

Depuis juin 2013, Clément Chéroux dirige le cabinet de la photographie du Musée national d’art moderne (Mnam)-Centre Pompidou, à Paris. Cabinet qui ne lui est pas étranger puisqu’il y a travaillé pendant sept ans en tant que conservateur auprès de Quentin Bajac, avec lequel il formait un binôme soudé.

Clément Chéroux. Photo D.R.
Clément Chéroux.
© D.R.

L’ancien responsable du cabinet est parti fin décembre 2012 au MoMA de New York pour diriger le département de la photographie. Désormais Clément Chéroux officie à la direction du cabinet et signe en ce début d’année les expositions « Henri Cartier-Bresson » (jusqu’au 9 juin) au Centre Pompidou et « Paparazzi ! Photographes, stars et artistes » (26 février-9 juin) au Centre Pompidou-Metz.

Depuis six mois, vous dirigez le cabinet de la photographie du Centre Pompidou. Comment entendez-vous le développer ?
On ne change pas une formule qui fonctionne. Il s’agit de continuer le travail qui a été entrepris depuis sept ans avec un développement des collections historiques comme des collections contemporaines. La collection est aujourd’hui très forte sur l’entre-deux-guerres et sur le surréalisme. Nous avons renforcé cette partie surréaliste en faisant l’acquisition de la collection Christian Bouqueret grâce au mécénat d’Yves Rocher. La collection est aussi très riche en photographie contemporaine, notamment grâce à l’acquisition de la collection de la Caisse des dépôts et consignations, qui est venue combler quelques manques… En revanche, la période de la fin des années 1940 au début des années 1960 se présente comme la partie la plus faible, qu’il nous faudra développer dans deux directions. Il s’agit d’abord de renforcer la photographie humaniste, trop peu développée malgré la présence de très beaux ensembles autour de Robert Doisneau et d’Henri Cartier-Bresson. Depuis deux ans, j’ai entrepris une politique de rencontres avec un certain nombre d’acteurs de cette période comme Jean Marquis, Jean Mounicq ou Louis Stettner ; photographes avec lesquels nous avons développé des projets à la fois d’acquisitions et de donations. Le deuxième axe à consolider concerne la photographie subjective, abstraite, expérimentale, qui s’est développée dans toute l’Europe surtout dans les années 1950-1960. La collection possède quelques beaux ensembles qu’il faut continuer à enrichir.

Quentin Bajac confiait avant de quitter le Centre Pompidou que son principal regret était de ne pas avoir pu mener à bien à la création d’un lieu permanent pour la photographie, à l’instar du Cabinet d’art graphique pour les dessins. Qu’en est-il ?
C’est également un de mes vœux que soit ouvert prochainement un espace spécifiquement dédié à la photographie ; nous y travaillons de manière intensive. Dans les prochaines années, je souhaite qu’il y ait également davantage d’expositions. Il y a quinze ans, le rythme était d’une exposition tous les cinq ans. Depuis quelques années, leur nombre s’est considérablement accru. Dans « Modernités plurielles de 1905 à 1970 » [l’accrochage actuel de la collection permanente du Mnam], quatre salles sont entièrement dédiées à la photographie.
Actuellement, dans les institutions pluridisciplinaires, il existe deux politiques différentes d’exposition de la photographie. Une politique de séparation comme la mène le MoMA ou le Victoria and Albert Museum à Londres ; la photographie n’y est montrée que dans les espaces spécifiques qui ont été créés pour elle. Politique qui a pour avantage de rendre extrêmement visible la politique photographique de l’institution mais qui présente l’inconvénient de la couper d’un dialogue avec les autres arts. D’autres institutions, comme le Centre Pompidou, se sont positionnées différemment en visant à inscrire la photographie dans les espaces du musée car le médium s’est construit avec les autres arts. Aujourd’hui, il faut mener ces deux politiques de concert. Autrement dit, continuer à avoir de la photographie dans les espaces du musée et créer un espace spécifique pointu qui montrerait plus clairement quels sont les grands enjeux défendus par l’institution.

Peut-on dire que « Paparrazzi » au Centre Pompidou-Metz, parallèlement à « Henri Cartier-Bresson » au Centre Pompidou, dont vous faites une relecture complète de l’œuvre, participent de cette tendance qui consiste à « déhiérarchiser » la photographie, que ce soit dans les acquisitions ou la monstration ?
Il est vrai qu’aujourd’hui il me semble important d’ouvrir plus largement le champ photographique en prenant en compte les différentes pratiques photographiques au-delà de l’art. Je pense à la photographie de presse, documentaire, amateur, scientifique… La plupart des artistes du XXe siècle n’ont cessé de regarder la photographie vernaculaire, la photographie appliquée. Helmut Newton disait que les photographies les plus extraordinaires qu’il ait vues étaient des photographies de paparazzi, pour Diane Arbus c’étaient les photographies amateur dans les albums de famille. Il est important de prendre en considération le socle sur lequel s’est en grande partie construite la photographie artistique. Toute l’histoire du médium s’est constituée autour de cette tension dialectique entre photographie artistique et photographie vernaculaire. Il ne s’agit surtout pas de jouer l’une contre l’autre, mais plutôt l’une avec l’autre. La double exposition que nous ouvrons, « Henri Cartier-Bresson » à Paris et « Paparazzi » à Metz en est une belle illustration.

L’autre regret de Quentin Bajac était ne pas avoir pu consacrer une rétrospective à la photographie française des années 1950 à nos jours. Est-il envisageable qu’une telle exposition soit programmée au Centre Pompidou ?
Oui, elle fait partie des différents projets qui sont en réflexion actuellement. Il faudra en particulier célébrer un jour cette école française qui s’est développée dans les années 1980-1990 ; photographie des « temps faibles » selon l’expression de Raymond Depardon, photographie non spectaculaire qui s’est construite en opposition à la photographie humaniste et à « l’instant décisif » tel que le pratiquait Henri Cartier-Bresson.

Pourquoi la scène photographique française est-elle si peu visible à l’étranger ?
J’ai le sentiment que l’on fait trop souvent reposer la responsabilité de ce manque de visibilité de la scène photographique française à l’étranger sur les institutions françaises. Peut-être effectivement ne la défendent-elles pas suffisamment, mais je ne suis pas sûr ce que soit entièrement de leur faute. Il faudrait aussi à ce propos interroger les galeries et le marché. Je rencontre quantité de photographes de grand talent qui ont une œuvre importante derrière eux et des expositions qui circulent dans les festivals, mais qui n’ont pas de galerie et sont, par conséquent, absents des foires et du circuit marchand, lequel est souvent la première marche vers la reconnaissance internationale.

À cet égard, le développement de Paris Photo n’est-il pas devenu trop élitiste dans sa sélection de galeries, négligeant tout un pan de ce qui fait la photographie ?
Pas du tout. Depuis son arrivée au Grand Palais, le développement de Paris Photo est excellent et le travail effectué, de grande qualité. On ne peut pas dire que son développement va vers l’élitisme ; l’apparition d’une galerie comme celle de Susanne Zander, qui défend uniquement la photographie vernaculaire, montre qu’au contraire il y a une véritable ouverture de Paris Photo à d’autres types de photographie, que ce soit dans cette volonté de déhiérarchiser ou dans son ouverture géographique à des galeries d’Afrique du Sud, d’Asie ou d’Amérique latine.

En novembre dernier, François Hébel annonçait qu’il renonçait à la direction des Rencontres de la photographie d’Arles. Après la vente du terrain à la Fondation Luma sur lequel se déroulait jusqu’à présent le festival, il se dit inquiet pour leur avenir. À vos yeux, les Rencontres sont-elles effectivement menacées ?
J’ai le sentiment que dans les différentes tensions qui se sont développées ces derniers temps, on retrouve le sempiternel combat entre la photographie et l’art. Je regrette profondément que cette tension se rejoue aujourd’hui à Arles ; je croyais qu’on était sorti depuis la fin des années 1990 de ce duel stérile. La photographie doit être un lieu de conciliation entre les beaux-arts et la culture populaire. Il y a de la place pour tout le monde. Arles est un lieu où ces deux registres se sont jusqu’à présent très bien mariés.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°407 du 14 février 2014, avec le titre suivant : Clément Chéroux explique l’importance de la photographie au Centre Pompidou

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