Art contemporain

Buren joue aux cubes

Par Henri-François Debailleux · Le Journal des Arts

Le 1 juillet 2014 - 701 mots

STRASBOURG

L’artiste a animé les baies vitrées du Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg et reproduit à grande échelle un jeu d’enfant.

Daniel Buren a toujours été un grand enfant. Il nous le rappelle ici où, en réponse à la carte blanche donnée par Estelle Pietrzyk, conservatrice au Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg, et Joëlle Pijaudier-Cabot, la directrice des musées de la Ville, il a réalisé deux propositions distinctes qu’il a justement regroupées sous l’intitulé « Comme un jeu d’enfant, travaux in situ ».

La première se voit de loin, avant même d’entrer dans le musée. L’artiste a en effet recouvert la verrière et les grandes baies vitrées de la grande nef avec ses fameux carrés de couleurs constitués de films plastiques découpés. Cinq couleurs, vert, rouge, jaune, bleu, rose, plus un autre carré récurrent composé lui du fameux « outil visuel » de l’artiste, ces bandes alternées de 8,7 cm qui sont à la fois sa signature et un élément de fiction glissé dans un contexte, une réalité, pour en modifier la perception.
Soit au total 1 500 mètres carrés de surface avec une voûte culminant à 25 m de hauteur qui donnent dès l’abord un aspect vitrail. Le facétieux Daniel Buren a certainement voulu faire un clin d’œil à la cathédrale de la ville. À l’intérieur, le damier se projette, tel un kaléidoscope, à la fois au sol (idéal pour le jeu de marelle), sur la grande coursive du premier étage et sur les murs, créant une grande fresque instable. Celle-ci se modifie tout au long de la journée, multipliant les reflets en fonction du temps qu’il fait, de la lumière du jour, du déplacement du soleil. Cela rappelle  la façon dont il avait traité la coupole du Grand Palais à l’occasion de la manifestation Monumenta en 2012.

Aire de jeux
Si la proposition n’est pas d’une originalité éblouissante, elle n’en témoigne pas moins de l’éternel intérêt que porte Buren à l’architecture, de sa façon subtile de jouer avec sans la modifier. L’œuvre redit également sa formidable capacité à comprendre un lieu, à le repenser pour le faire regarder autrement, conduire le visiteur à y circuler différemment, et en conséquence à en modifier la perception. À l’opposé de cette première intervention, la seconde, elle, est totalement inédite dans le champ burénien. Face aux diverses possibilités que lui offrait le musée – par exemple intervenir sur les collections, mais il l’a déjà fait dans sa carrière –, Buren a décidé de s’emparer de la salle dévolue aux expositions temporaires. Il s’est habité de cet important volume (600 m2 de superficie), en a étudié toutes les possibilités et est ensuite allé… acheter un jeu de construction pour enfant. Ce jeu tout simple, constitué de cubes, cônes, cylindres et triangles chapeaux pointus. L’artiste les a fait reproduire à grande échelle et a installé une centaine de ces éléments dans la salle, constituant ainsi une sorte de ville, de forêt ou d’aire de jeux où le visiteur joue à cache-cache et circule comme bon lui semble. Il a coupé visuellement l’espace en deux parties égales, avec d’un côté tous les éléments peints en blanc et de l’autre ceux couverts des seize couleurs du jeu initial. Un effet de miroir, qui permet de passer allègrement d’un monde à l’autre et surtout de vivre l’expérience de deux univers radicalement différents bien que parfaitement symétriques. On glisse ainsi d’une partie blanche où tout paraît suspendu, dans le temps comme dans l’espace, à une partie où la polychromie ludique change complètement les sensations. L’environnement devient d’autant plus ouaté, plus doux que toutes les arêtes des modules sont légèrement arrondies, comme dans le vrai jeu. Et si le blanc semble dessiner les formes, la couleur leur confère un volume.

L’ensemble est joyeux, labyrinthique, donne envie de s’y perdre. Où que l’on soit, les points de vue, cadrages, perspectives se propagent pour multiplier des configurations de construction que le vrai jeu d’enfant ne saurait jamais permettre.

Daniel Buren, « Comme un jeu d’enfant, Travaux in situ »

Jusqu’au 4 janvier 2015, Musée d’art moderne et contemporain de la ville de Strasbourg, 1, place Hans-Jean-Arp, 67000 Strasbourg, tél. 03 88 23 31 31, www.musées.strasbourg.eu, tlj sauf lundi 10h-18h.

Légende photo

Daniel Buren, Photo-souvenir : Comme un jeu d'enfant, travaux in situ, MAMCS, juin 2014. © Photo : Mathieu Bertola/Musées de Strasbourg.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°417 du 4 juillet 2014, avec le titre suivant : Buren joue aux cubes

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