Arielle Dombasle : " j’ai hérité d’objets du monde entier "

Par Martine Robert · L'ŒIL

Le 23 septembre 2009 - 1782 mots

Comédienne, chanteuse, vidéaste... Sa triple culture franco-américano-mexicaine, son immersion très tôt dans l’art, contribuent à sa créativité débridée.

Arielle Dombasle© Benoît Linero

Un grand-père ambassadeur, un père collectionneur… Vous baignez dans l’art depuis votre plus jeune âge, au Mexique ?
Mon grand-père était même un peintre du dimanche et mon père, en effet, un grand collectionneur d’art précolombien. La maison était remplie d’artistes  : l’écrivain Carlos Fuentes, le peintre Rufino Tamayo, dont ma grand-mère a organisé la première exposition en France, la Polonaise la plus célèbre de l’Art déco, Tamara de Lempicka, le surréaliste autrichien Wolfgang Paalen, le dramaturge et diplomate Paul Claudel, Benjamin Peret ou encore Ray Brad­bury, et toutes sortes de collectionneurs et de mécènes. Ces êtres m’ont fascinée. Grâce à eux, j’ai compris que le réel était spectral  : l’appréhension du réel est très différente selon l’artiste que l’on est… Farouche subjectivité.

Quels sont les courants artistiques qui vous touchent le plus  ?
C’est difficile à dire… Le quattrocento italien, la peinture flamande… Ah oui, j’aime beaucoup le surréalisme, le dadaïsme. Dada, ça va bien avec le Mexique où j’ai grandi. Le poète Octavio Paz dit que le Mexique est le pays surréaliste par excellence, avec sa superposition de cultures. J’apprécie, par exemple, Max Ernst, que ma grand-mère a connu et dont elle m’a fait découvrir l’œuvre.

Vous-même êtes une artiste vidéaste  : votre film-documentaire La Traversée du désir, réalisé sur sept ans, a été présenté à la Fondation Cartier cette année. Une nouvelle corde à votre arc après le cinéma, la chanson, le cabaret  ?
J’aime l’image en mouvement, le cinéma, le support vidéo. Parmi les artistes que j’admire figure d’ailleurs Bill Viola, un des pionniers de l’art vidéo. Dès l’âge de vingt-deux ans, je réalisais Chassé-croisé en noir et blanc, avec notamment le merveilleux Pierre Clémenti, Roman Polanski, en présence amicale. L’histoire de personnages confrontés aux jeux de l’amour, des désirs, du destin aussi. À chacun de mes concerts, ce sont mes propres vidéos qui sont projetées. La Traversée du désir est pour moi une œuvre en quelque sorte surréaliste : il s’est agi d’aller au cœur de l’expression d’un désir, formulé sans préparation ; caméra au poing, un geste assez violent réalisé de manière aléatoire, en fonction du hasard des rencontres avec les uns ou les autres, anonymes ou célèbres ! La caméra est un outil infinitésimal en quelque sorte, il permet de saisir le tremblement d’un visage, les hésitations, la maîtrise, le leurre… L’essence même de l’inconscient à fleur d’image…

La Traversée du désir, c’est une démarche à la Sophie Calle. Vous avez d’ailleurs accepté de participer à l’une de ses expériences…
Sophie Calle est quelqu’un de très intéressant. J’avais apprécié son film No Sex, Last Night au Centre Pompidou, ainsi que son expérience de chambre installée sur la tour Eiffel. Quand elle m’a demandé de participer à Prenez soin de vous présenté à la Biennale de Venise en « interprétant » une lettre, je n’ai pas hésité.

Vous ne faites pas de photo, en revanche vous êtes constamment photographiée, comme à l’occasion de cette interview. Comment s’est passée la rencontre avec Pierre et Gilles ?
Pierre et Gilles m’ont demandé de poser en sainte Blandine il y a quinze ans. Ils ont fait un portrait de moi en « extase » qui a fait la pochette de mon album Extase. Ce sont des créateurs d’icônes modernes. Cette photo me représente comme une vierge un peu mexicaine avec ces lys blancs et ce côté doloriste xixe, les yeux au ciel. Ces artistes sont délicieux, leur œuvre est d’une grande importance, exposée désormais dans les musées.

Possédez-vous des photos de Pierre et Gilles ?
Non, seulement cette pochette de disque. Un jour, dans la rue, un grand collectionneur de ce couple d’artistes m’a abordée en me disant : « Grâce à Pierre et Gilles, je vous ai tous les jours dans mon salon ! Et vous m’avez coûté très cher ! »

« Décalée, baroque, extraterrestre, extravagante, idéaliste »… Ces qualificatifs reviennent souvent dans les articles que la presse vous consacre. Les trouvez-vous appropriés ?
Non, à part idéaliste. Je dirais plutôt enthousiaste, entière. Je ne suis pas du tout misanthrope, ni heureuse dans une tour d’ivoire. On ne peut être vivant et créatif qu’avec les autres, pour les autres, par les autres.

Vous dites vous-même que vous êtes moins simple que votre apparence le suggère… Votre image a plutôt pris de la profondeur, du relief avec le temps. Faut-il prendre votre personnalité au second, voire au troisième degré ?
On vit dans une époque de l’apparence, de la surface. Tout est vite jugé, préjugé, pensé. Certaines personnes ne se donnent aucune peine, ont des sensibilités émoussées, conditionnées, ne déchiffrent rien… Tant pis… et vous formatent immédiatement.

Ce côté touche-à-tout et chrysalide, c’est pour surprendre les autres ou par soif personnelle de nouveaux défis, de nouvelles sensations ?
Un artiste doit avoir de l’audace et faire preuve de liberté. C’est facile à dire, mais il faut l’appliquer réellement. Je me permets vraiment de prendre des chemins de traverse, j’aime les choses obliques !

Comme l’architecture de Frank Gehry ?
Exactement !

À propos de votre dernier album, Glamour à mort, écrit et composé par Philippe Katerine, un artiste souvent considéré comme déjanté, vous dites apprécier les « enluminures sonores » qu’il vous a proposées…
Oui… Il y a bien sûr des correspondances spontanées entre sons et images. Cet album a une couleur mystico-pop. Philippe Katerine, sous ses dehors excentriques, est quelqu’un de savant, amateur de Satie, Bartók, Debussy, un grand mélodiste à l’écriture étonnante, qui cisèle le phrasé, les phonèmes, grand connaisseur du contrepoint, de l’harmonie. Ensemble, on est allé aussi voir du côté du cinéma et des arts plastiques. Philippe Katerine a d’ailleurs fait les beaux-arts. Moi, je ne dessine pas, mais j’aime réaliser des collages, j’adore la peinture…

Cet album, dans quel univers esthétique le situez-vous ? Celui de Pierre et Gilles ?
Non, l’univers est plutôt celui de Frida Kahlo, de Diego Rivera. Il y a aussi une iconographie post-warholienne.

On vous sent proche en effet de Lichtenstein ou de Warhol ?
J’ai une collection de photos de Warhol. Mes parents ont eu la chance de le rencontrer lors d’un de ses voyages au Mexique dans les années 1969, 1970.

Collectionnez-vous l’art ?
En fait, j’ai hérité de beaucoup d’objets du monde entier, par exemple de mon grand-père qui a été consul aux Indes : des œuvres tibétaines, des bouddhas, des objets funéraires, liturgiques. J’ai aussi une grande collection d’art précolombien, héritée de mon père. De mes autres grands-parents bourguignons, qui ont parcouru la Route de la soie, j’ai aussi beaucoup d’objets de Chine.

Mais vous personnellement, qu’est-ce qui vous attire ?
J’aime les laques japonaises et l’orfèvrerie munichoise du xviie, ainsi que les objets de culte, les ex-voto, les ciboires. J’ai failli acheter un tableau de Basquiat quand il n’était pas encore trop cher, ainsi qu’une photo de David Hockney, ça ne s’est pas fait. J’ai eu envie aussi d’œuvres de Man Ray, mais je me suis contentée d’encadrer des reproductions !

C’est la designer Andrée Putman qui a décoré votre maison de Tanger. Pourquoi l’avoir choisie ?
Elle ne l’a pas seulement décorée, elle l’a conçue architecturalement. J’aime beaucoup ce que fait Andrée Putman, une amie de mes parents. À Tanger, elle a su jouer avec cet univers minéral, ces falaises, la mer, les volumes, la simplicité, sans « orientalisme ».

Et la peinture orientaliste justement, vous aimez ?
Je me sens plus séduite par les peintres symbolistes et allégoriques, ainsi que par les préraphaélites. Mais le peintre que je hisse au sommet, c’est Ingres.

Dans vos pérégrinations à travers le monde, avez-vous un musée « fétiche » ?
À Paris, je vais souvent au Louvre, à Orsay. J’aime aussi le musée du quai Branly, l’architecture si réussie de Jean Nouvel, et ce côté inside/outside, ce mur végétal extérieur, ces photos de la nature à l’intérieur. À New York, j’ai une préférence pour le Whitney Museum où j’ai fait mon apprentissage en art vidéo. Je viens de découvrir en Égypte le musée du Caire. C’est pour moi le musée de Tintin par excellence ! Il a un côté irréel ce musée qui ne sait même pas exactement ce qu’il possède ! Un bric-à-brac de somptuosité absolue.

Vous étiez proche d’Yves Saint Laurent. Êtes-vous allée à la vente de sa collection ?
Je suis allée souvent chez lui, sa collection était unique, elle était la signature, le miroir d’un homme. Les œuvres se répondaient, le vrai musée de l’imaginaire. J’aurais adoré que Pierre Bergé en fasse un musée ouvert au public, mais la vente a été pour une bonne cause…

Vous-même, êtes-vous engagée socialement ?
J’essaie de ne pas faire partie de ce charity business, qui cache souvent beaucoup de vanité. Aux États-Unis, la richesse des gens se juge souvent sur leur charity business ! Je préfère les engagements concrets et discrets. J’essaie de faire ce que je peux, en matière d’environnement, de protection de la faune, de la flore. J’aide aussi au Mexique « Les Petits Frères et Sœurs ». Un père catholique a fondé cet orphelinat à l’opposé de ce que l’on trouve en Roumanie. Là les enfants ne sont pas dans un chenil, ils sont heureux, ils ont accès à l’éducation, au sport, à la culture, c’est admirable. J’en suis la marraine.

Vous revendiquez le mélange des genres et des cultures, votre adaptabilité à tous les milieux malgré un milieu social d’origine très favorisé…
Depuis l’enfance, je parle trois langues. C’est une très grande chance, cela aide à comprendre les gens, de divers milieux sociaux, à faire qu’ils ne vous soient pas étrangers.

Cela vous agace que l’on vous associe toujours à votre mari, Bernard-Henri Lévy ?
Au contraire, c’est merveilleux, il y a un miracle d’amour entre nous, on est absolument proches et complémentaires. Bernard-Henri Lévy est un homme de lettres et un observateur politique, moi une artiste, une chanteuse…

Vous affichez une constante joie de vivre, c’est une ligne de conduite, un état d’esprit ?
Je suis née gaie !

Quels sont vos projets pour demain ?
Je cherche toujours à être en accord avec moi-même. En ce moment, j’ai envie de faire de la scène. Avec Glamour à mort, nous allons beaucoup nous amuser et « enchanter » le public j’espère !

Biographie

1953
Naissance à Hartford, aux États-Unis. Passe son enfance au Mexique.

1976
Suit des cours de danse, de chant, d’art dramatique et de comédie au conservatoire de musique à Paris.

1978
Premiers films : Perceval le Gallois d’Éric Rohmer et Tess de Roman Polanski.

1982
Pauline à la plage d’Éric Rohmer. Passe de l’autre côté de la caméra en réalisant Chassé-croisé.

1993
Épouse Bernard-Henri Lévy.

2000
Premier album : Extase.

2009
Sortie de son nouvel album : Glamour à mort.

« Glamour à mort »
Sorti en avril dernier, le nouvel album d’Arielle Dombasle plonge l’auditeur dans un univers créatif entre le Pop et les Comics, le tout saupoudré d’une touche de religieux. Philippe Katerine, auteur et compositeur de l’album, s’est également joint à la belle dans son premier clip. Tout l’univers a été pensé dans un ensemble kitsch et coloré, rappelant sans équivoque les clichés des photographes David Lachapelle et Pierre & Gilles. www.glamouramort.com

« Teotihuacán, cité des dieux »
Le Mexique, pays d’adoption d’Arielle Dombasle, est à l’honneur au musée du quai Branly à partir du mois d’octobre avec l’exposition « Teotihuacán, cité des dieux ». Grande cité de l’ancien Mexique, elle fut pendant longtemps dominée par les Aztèques qui lui donnèrent son nom. Inscrite au patrimoine mondiale de l’Unesco en 1987, elle constitue un des sites archéologiques incontournables du pays. L’œil consacre ce mois-ci plusieurs pages à cette exposition : lire p. 70.

« Dombaslement » Ernst
La comédienne aime le surréalisme, et le travail de Max Ernst. Ce dernier est très présent dans la collection d’Anne Gruner Schlumberger conservée par la fondation des Treilles depuis son décès en 1993. Établi en 1960 à Seillans, Ernst a notamment installé 3 sculptures dans le domaine voisin de la collectionneuse à Tourtour, dans le Var. Une partie de la collection est présentée en octobre aux clients de la banque Neuflize OBC à Paris, une autre au château de Tours en novembre.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°617 du 1 octobre 2009, avec le titre suivant : Arielle Dombasle : " j’ai hérité d’objets du monde entier "

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