L’œil d’Arielle Dombasle

Sous la tutelle invisible d’un ange

L'ŒIL

Le 1 juin 1999 - 1501 mots

Ce mois-ci, Arielle Dombasle fait la une de l’actualité avec la sortie du film Les infortunes de la beauté de John Lvoff. Son troisième film avec Raoul Ruiz, Le temps retrouvé, d’après Marcel Proust, a été présenté au Festival de Cannes. L’actrice y incarne Mme de Farcy, riche Américaine qui s’amuse de tout. À la mi-mai sortait en salles C’est pas ma faute, une comédie dans laquelle Arielle Dombasle joue le rôle de Daphné, pour qui seule une femme posant nue devant un peintre possèderait l’essence de la beauté. En ce moment, dans le rôle de la princesse de Condé, elle tourne Vatel de Roland Joffé, face à Gérard Depardieu et Emma Thompson. Née aux États-Unis dans une famille de diplomates français, Arielle Dombasle passe son enfance au Mexique. À 18 ans, elle arrive à Paris où elle suit des cours de théâtre et de musique. Découverte par Éric Rohmer, elle tourne cinq films avec lui, dont Pauline à la plage, L’arbre, le maire et la médiathèque. Sur scène, dirigée par Simone Benmussa, elle joue Retour à Florence d’après Henry James.
Elle a écrit et réalisé deux films : Chassé-croisé en 1982 et Les pyramides bleues en 1988.

Pour votre salon parisien, vous avez choisi des tableaux, des objets et des meubles anciens. D’où viennent vos préférences artistiques ?
J’ai été élevée dans l’esprit de la collection. Mon grand-père paternel a beaucoup voyagé ; en 1900 il est allé en Chine à cheval avec son valet, et en a rapporté de nombreuses œuvres d’art. Mes grands-parents maternels, qui étaient diplomates, ont vécu dans plusieurs pays – en Inde , en Birmanie, au Mexique – et m’ont transmis leur goût des objets. J’ai grandi parmi eux. Enfant, dans l’armoire de ma chambre, se cachait le dieu Tlaloc, sous la forme d’une stèle. L’objet précolombien est infiniment mystérieux, témoin de civilisations disparues. Il a un aspect sacré, qu’il soit funéraire ou usuel, vase, statuette d’albâtre, de terre cuite... Les divinités, parfois grimaçantes, appartiennent à une esthétique grandiose et mystique. En France, autant l’art africain a été mis au goût du jour par le mouvement Dada et André Breton, autant l’art précolombien reste secret. Du château de mes grands-parents en Saône-et-Loire me vient cette paire de petits dragons du Tibet, et quelques meubles auxquels je suis très attachée. Devant la cheminée, j’ai placé un exemple de baroque mexicain, un tabernacle du XVIIIe siècle dont l’intérieur est en argent. Le Mexique est le pays des églises. La ville de Celaya, avec ses 600 000 habitants, en compte 120 ! 

Comment avez-vous été initiée à la peinture ?
La découverte a eu lieu vers 12-13 ans, quand ma grand-mère m’a emmenée dans les musées en Italie. Auparavant, j’aimais les miniatures persanes que je voyais chez elle, et aussi les toiles de Rufino Tamayo, Alice Rahon, Zao Wou-Ki, Paalen, Valentine Hugo, Tamara de Lempicka qu’elle avait le bonheur de  posséder. Elle a organisé la première exposition de Tamayo à Paris, et j’adorais Rufino, qui était la poésie même. Ma grand-mère connaissait le fils de Claude Monet : il souhaitait vendre des toiles de son père, qui, à l’époque, ne coûtaient que très peu d’argent. Elle a donc fait acheter par ses amis des toiles de Monet, elle-même faisant l’acquisition d’un tableau représentant des nymphéas. Elle avait aussi deux petits dessins d’Hubert Robert, des ruines de Rome, qui me faisaient rêver. En Italie, j’ai eu la révélation de Paolo Uccello, Piero della Francesca, Crivelli, Mantegna, Botticelli. Puis de Titien, Guido Reni. À Florence, dans son petit couvent, Fra Angelico a couvert les murs d’une apothéose d’anges. Dans la Descente de croix de Mantegna, le Christ, si révolutionnaire, m’a bouleversée : cette subjectivité est si nouvelle, cette appréhension du réel tellement audacieuse.

Après l’Italie, de nouveaux voyages vous ont-ils conduite vers d’autres artistes ?
J’ai découvert Memling à Bruxelles et à Bruges, ainsi que dans la Frick Collection à New York. Il incarne la pureté, l’austérité, avec ces visages portés à l’introspection. Petrus Christus, auteur d’un merveilleux visage de jeune fille, atteint la perfection. Tout cela a constitué pour moi un vrai parcours initiatique. Je ne peux pas séparer mon amour de la peinture de celui que j’éprouve pour la musique, celle de la Renaissance et du baroque, Haendel, Purcell, Bach. Plus tard, quand j’ai découvert Debussy, je l’ai relié aux orientalistes et aux symbolistes. À travers Debussy, je rencontre Delacroix et La Mort de Sardanapale. C’est un tableau écrasant, je peux le contempler pendant des heures en y découvrant sans cesse quelque chose de nouveau : la grandeur du sujet, la composition, le foisonnement des drames, ce personnage poignardé au premier plan dans une extase orgiaque... Il y a quelque chose qui me trouble au plus profond dans l’orientalisme, dans ses couleurs, dans ce mélange de luxe, de chair et de sang.

Aimez-vous les préraphaélites ?
Je les ai découverts en même temps que les Italiens : Ophélie de Millais, Rossetti, Burne-Jones... Je suis allée exprès à la fondation Gulbenkian de Lisbonne pour revoir les jeunes femmes debout autour d’un étang peintes par Burne-Jones. Éric Rohmer me dit toujours : « Vous avez un visage préraphaélite ! »

Et les peintres « pompiers » ?
Je les aime au second degré, je les trouve libres et fantaisistes. Dans La Naissance de Vénus de Cabanel, dans les envolées d’anges de Bouguereau, ces toiles si léchées, la préciosité correspond au siècle, elle a quelque chose de proustien.

Sur les murs de votre salon, la place d’honneur est occupée par un grand tableau religieux. Quel en est le sujet, et pourquoi vous a-t-il attirée ?
Il s’agit de l’Ange qui montre aux Saintes Femmes le tombeau du Christ, vide après sa résurrection. La Vierge Marie est à gauche, l’Ange de la résurrection au centre, Marie-Madeleine en rouge de dos. En haut, Jérusalem. Je m’identifie à l’Ange, et surtout à sa main, qui caresse tout en flottant sur l’air. J’aime la délicatesse de ce geste. Il y a une phrase que je répète depuis mon enfance : « Je me sens prise sous la tutelle invisible d’un ange... » Cet Ange est de Marcel-Beronneau, un disciple de Gustave Moreau, qui travaillait dans son atelier. Ils ont fait ensemble le cadre, où l’on reconnaît les instruments de la Passion : la couronne d’épines sur les côtés, les clous de la croix en dessous. Alain Robbe-Grillet a écrit une nouvelle, La Chambre secrète, qui se passe au Musée Gustave Moreau... Quand il a vu ce tableau, il m’a dit : « La voici, la chambre secrète », en montrant le tombeau vide derrière l’Ange. Le fils de Balthus, Stach Klossowski, a dit que son père aurait pu peindre ce tableau, et il voulait l’emporter pour le lui donner.

À qui appartient ce fin profil, que vous avez posé sur un chevalet ?
Cette gravure par Helleu, c’est ma grand-mère paternelle, Madame Sonnery de Fromental, une grande beauté 1900 : les gens se mettaient à leur fenêtre pour la voir passer dans l’avenue du Bois. Quant à ce portrait, c’est mon arrière-grand-mère, par Paul Somier. De passage à Lyon, ma grand-mère a voulu rencontrer le peintre. Après avoir traversé des salons en enfilade, elle s’est retrouvée face à un lit de parade, où reposait l’artiste. Il venait de mourir...

L’art d’aujourd’hui vous attire-t-il ?
La curiosité m’a poussée vers la peinture conceptuelle. Je l’aime intellectuellement, mais elle ne m’a jamais bouleversée. Comme le disait André Breton, la peinture doit me faire l’effet d’« une aigrette passée sur la tempe ». Quand j’avais 13 ans, mes parents m’ont emmenée dans un cocktail à Bellas Artes à Mexico.
Je savais qu’il y aurait Andy Warhol.
Je l’ai tout de suite reconnu à ses cheveux platine. Très intimidée, je l’ai tout de même frôlé en caressant au passage sa veste de velours grenat ! Je l’ai aimé pour sa vie, son œuvre, et l’œuvre qu’il a faite de sa vie. J’aurais aimé posséder un Basquiat, et le film de Schnabel sur lui me l’a fait aimer encore plus.

Vous intéressez-vous à la sculpture ?
Mes préférences vont à Canova et Proudhon, mais pour moi, le chef-d’œuvre absolu, c’est la Transverbération de sainte Thérèse du Bernin. Arriver à représenter dans le marbre une extase aussi vivante me  paraît surhumain : les yeux ont l’air humide, par la bouche entrouverte on perçoit presque le souffle, on pressent la transparence de la peau... Par un curieux hasard j’ai eu la chance de me retrouver dans les réserves du Louvre. Quand on aime la sculpture gréco-romaine, on reste médusé devant ce cimetière de statues qui ont la beauté des grandes œuvres oubliées.

Quels sont vos rapports avec la photographie ?
J’ai eu la chance d’être photographiée par Cecil Beaton, Maywald, Jeanloup Sieff, Horst, Guy Bourdin, Avedon, Mondino, Guillermo Vilela... Mais j’ai hélas perdu beaucoup de photographies...
Les rapports de l’actrice et de la photographie sont évidemment passionnels. Contrairement au cinéma qui est mouvement, la photographie vous nimbe d’idéal, vous fige dans un halo d’éternité.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°507 du 1 juin 1999, avec le titre suivant : L’œil d’Arielle Dombasle

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