Architecture

Architecture, la leçon d’Alger

Les modernes de l’autre côté de la mer

Par Olivier Michelon · Le Journal des Arts

Le 24 janvier 2003 - 998 mots

La Méditerranée, foyer naturel de l’architecture moderne ? Qu’ils en soient natifs comme Roland Simounet, ou habitués tels Fernand Pouillon, nombreux sont les architectes qui ont forgé dans l’après-guerre leur vocabulaire en Algérie.

Dès 1930, avec la proposition de Le Corbusier d’un plan pour le front de mer, Alger était devenue un lieu de débat dans le domaine. Par la suite, ce sont des personnalités comme Niemeyer qui ont construit dans la métropole. À l’occasion de l’Année de l’Algérie, l’Institut français d’architecture (Ifa) et d’autres institutions en régions reviennent sur l’histoire d’une métropole qui a su accueillir et nourrir l’architecture moderne et contemporaine.

L’ensemble n’est certes pas le plus spectaculaire geste architectural de l’après-guerre, mais les immeubles de six niveaux élevés entre 1949 et 1953 par Fernand Pouillon dans le cadre de la reconstruction du Vieux-Port de Marseille semblent encadrer depuis toujours la façade de l’hôtel de ville. Comme en miroir, l’année de leur achèvement, c’est sur l’autre rive de la Méditerranée que Fernand Pouillon entame trois autres chantiers : les cités algéroises de Diar-el-mahçoul, Climat-de-France et Diar-es-Saada. Suivant sa réputation de bâtisseur, il livre cette dernière – une véritable ville conçue pour héberger un peu plus de 5 000 âmes – un an après la pose de sa première pierre. Le projet, piloté par le maire de l’époque, Jacques Chevallier, s’inscrit dans le développement d’Alger à la sortie de la Seconde Guerre mondiale. La ville s’industrialise, connaît la croissance des trente glorieuses et répercute les tensions qui vont aboutir dix années plus tard à la guerre d’Algérie. À la veille de l’indépendance, elle comptera 900 000 habitants. Les cités devaient d’ailleurs, en fournissant une offre abondante de logements aux populations autochtones, jouer la carte de l’apaisement social. “Pendant quatre ans, les actualités filmées les ont présenté[e]s sur tous les écrans de France pour soutenir l’Algérie française. Jamais chantiers de prestige ne furent autant photographiés et proposés en exemple. [...] Alger fut pendant quatre ans la Mecque des architectes, des ministres et de la construction des spécialistes d’HLM”, a noté avec fierté dans ses Mémoires Fernand Pouillon. L’indépendance acquise, ses constructions n’en ont pas moins intégré le paysage. Diar-es-Saada figurait par exemple sur les premiers billets de la nouvelle nation.

Concrétisant dans l’architecture l’axe Marseille-Alger, le parcours méditerranéen de Fernand Pouillon s’insère bien sûr dans cette période particulière de la construction des grands ensembles. Un temps boudée avant d’être réévaluée dans les années 1970, l’architecture de Pouillon se confronte aux préceptes modernistes de Le Corbusier. Elle préfère la rue à la vue et n’hésite pas à faire siens certains motifs locaux. Mais, dans son souci du site, son attachement vernaculaire, Pouillon prolonge dans une certaine mesure ce qui fut appelée dans les années 1930 l’”école d’Alger”. La manière moderne d’alors ne s’inscrit pas nécessairement dans le plan d’aménagement du bord de mer d’Alger suggérée à l’époque par Le Corbusier. Qu’il s’agisse du palais du gouvernement général par Jacques Guiauchain (1933), de l’immeuble d’habitations de la rue Duc-des-Cars par Xavier Salvador (1936) ou de l’école des beaux-arts par Léon Claro (1950), c’est davantage la leçon d’Auguste Perret qui prédomine. “Les architectes d’Algérie ont combattu la routine et le pastiche, découvert une esthétique qui s’adapte aux exigences de la construction et de la vie moderne en même temps qu’aux nécessités naturelles commandées par le climat et par le site”, écrivait en mai 1936, dans Algeria, Marcel Lathuillière, dont l’agence avait ouvert ses portes en 1930 à Alger. L’idée est alors celle d’une Méditerranée berceau naturel de la manière moderne. Toits en terrasse, galeries, portiques et volumes simples trouvent évidemment sous le soleil un accueil bienveillant.

Poésie sous-tendue
Organisée par l’Institut français d’architecture dans le cadre de l’année de l’Algérie, l’exposition “Alger : paysage urbain et architecture” ne manquera sûrement pas de replacer ce mouvement dans son contexte. “Alger est une grande scène de modernité architecturale, explique son concepteur Jean-Louis Cohen, directeur de l’Ifa. L’exposition retracera les grands cycles de transformation et de modernisation de la ville, des dernières décennies de l’époque ottomane à aujourd’hui.” L’occasion, donc, d’articuler deux siècles de développement architecturaux et aussi de revenir sur les contributions de personnalités comme Oscar Niemeyer, qui a séjourné dans le pays pendant les années 1970. Mais si les grands noms de l’architecture du XXe siècle ont importé leur savoir et participé au façonnage de la métropole, Alger a aussi apporté en échange une connaissance. Roland Simounet (1951-1996), l’auteur du Musée d’art moderne de Villeneuve-d’Ascq et de la réhabilitation de l’Hôtel Salé, qui abrite le Musée Picasso à Paris, est ainsi resté attentif à la culture locale de sa terre natale. Là, il exerce entre 1952 et 1962 et en tire des postulats pour l’ensemble de son œuvre : “Ma connaissance du milieu rural, ma participation au service civil international, m’ouvrirent rapidement les portes de la cité Mahieddine, vaste bidonville au cœur de la ville. À mon grand étonnement, je découvrais un habitat spontané, ingénieux, économe de moyens. Des espaces maîtrisés, un respect de l’ancrage et de la végétation. [...] La leçon d’espoir était là, et la poésie sous-tendue interdisait de détruire le milieu sans discernement, sans une longue réflexion. Ainsi, cette formule à laquelle je crois toujours vint s’inscrire sur les panneaux présentés au congrès d’Aix : ‘Ne rien détruire avant d’être sûr de proposer mieux.’” Simounet appelait cela : “La Leçon d’Alger”.

À voir :
ALGER : PAYSAGE URBAIN ET ARCHITECTURE, juin-septembre, Institut français d’architecture (Ifa), 6 rue de Tournon, 75006 Paris, tél. 01 46 33 90 36, www.archi.fr/ifa 

L’ALGÉRIE DE FERNAND POUILLON, 1er octobre-1er décembre, Centre des archives d’Outre-Mer, 29 chemin du Moulin-Detesta, 13090 Aix-en-Provence, tél. 04 42 93 38 50. 

ROLAND SIMOUNET ET LA MODERNITÉ, octobre-décembre, Espace de l’ordre des architectes, 12 bd Théodore Thurner, 13006 Marseille, tél. 04 96 12 24 12.

À lire :
Roland Simounet à l’œuvre, éd. du Musée d’art moderne Lille-Métropole, Villeneuve d’Ascq/Ifa, Paris, 168 p., 23 euros.

Fernand Pouillon, sous la direction de Jean-Lucien Bonillo, éd. Imbernon, Marseille, 256 p., 59,45 euros.

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°163 du 24 janvier 2003, avec le titre suivant : Architecture, la leçon d’Alger

Tous les articles dans Actualités

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque