Europe - Royaume-Uni - Brexit

ENTRETIEN

Anne Duncan : « Le Brexit a mis de réels obstacles aux projets culturels européens »

Directrice du British Council France

Par Olympe Lemut · Le Journal des Arts

Le 25 avril 2024 - 1020 mots

Anne Duncan présente les nouvelles lignes directrices de la programmation culturelle du British Council en France, dans un contexte post-Brexit et à la sortie de la crise sanitaire.

Anne Duncan. © British Council
Anne Duncan.
© British Council

Directrice du British Council de Paris depuis 2021, la Franco-Américaine Anne Duncan a occupé des postes de direction au sein d’organisations internationales, notamment l’International Women’s Forum. Elle explique la nécessité, dans un contexte post-Brexit, de retisser des liens culturels entre le Royaume-Uni et la France.

Alors que l’Entente cordiale fête ses 120 ans et le British Council ses 90 ans, comment le programme « Spotlight UK » va-t-il renouveler les relations culturelles avec la France ?

Nous avons voulu créer une autre manière de travailler ensemble, et une dynamique sur le terrain. Quand j’ai pris mes fonctions en juin 2021, le British Council était centré sur les activités commerciales : l’enseignement de l’anglais et les examens de langue, qui sont importants et constituent une source de revenus propres. C’était le modèle du British Council à travers le monde depuis plusieurs décennies. J’ai été recrutée pour monter de nouveaux programmes culturels plus en adéquation avec la France, qui est un allié historique et l’un des pays où la politique culturelle est la plus importante. Nous avions déjà plusieurs programmes en France, comme « Fluxus Art Projects » pour l’art contemporain, copiloté par l’Institut français du Royaume-Uni. Pour « Spotlight », nous avons regardé quelles sont les stratégies des acteurs culturels français, du ministère de la Culture. Et enfin nous voulions intégrer les partenaires en régions, c’était une évidence que de ne pas rester à Paris et en Île-de-France, d’autant que depuis quelques années le British Council a réduit son réseau en France. D’ailleurs au Royaume-Uni aussi nous voulons couvrir l’ensemble du territoire, avec le pays de Galles, l’Irlande du Nord et l’Écosse. Donc dans « Spotlight UK » nous avons vingt-cinq villes françaises, trois cents partenaires culturels, et plus de cinquante projets autour de la musique, des arts plastiques, de la danse, de la formation professionnelle. Il ne s’agit pas seulement de montrer des créations du Royaume-Uni mais aussi de tisser des liens durables. Après un tour de France en 2021, nous avons senti une envie des partenaires culturels et des municipalités de travailler ensemble, mais il manquait une organisation à créer. Le premier événement du programme a rencontré un grand succès au Musée d’art contemporain de Lyon : au vernissage début mars de l’exposition « Friends in Love and War », qui présente des œuvres de la collection du British Council, il y avait plus de 3 500 personnes !

En quoi la Culture est-elle administrée différemment de la France au Royaume-Uni ?

L’aspect étatique ou centralisé de la culture en France est envié par tous les autres pays, et j’y vois comme un héritage de la monarchie où le roi faisait des commandes aux artistes et leur donnait un cap, à l’exemple de Louis XIV. Et j’estime que c’est positif ! Au Royaume-Uni, le système est différent, le financement de la Culture est mixte, avec la contribution de l’Arts Council, de la National Lottery notamment, mais surtout la Culture est une compétence locale, ou régionale, des quatre nations du Royaume-Uni. Au niveau de l’international, c’est plus centralisé évidemment, mais nous travaillons aussi avec chaque pays européen en binôme : il faut donc maîtriser cette matrice pour faire avancer nos projets. Comme nous ne sommes pas directement sous la tutelle du Foreign, Commonwealth and Development Office, contrairement à l’Institut français qui dépend du ministère des Affaires étrangères, et que nous sommes une « public charity » (organisation caritative publique), nous disposons juste de grandes lignes qui guident nos actions, selon les intérêts du gouvernement en matière de soft power, de priorités géographiques…

Vous êtes en poste depuis 2021 ; comment avez-vous affronté le Brexit puis la crise du Covid-19 ?

Comme vous le savez, le Brexit a eu des conséquences sur l’activité économique, et donc sur le secteur culturel, mais nous ne les connaissons pas précisément. Au British Council de Paris, la situation en 2021 était assez grave à cause de la crise du Covid qui s’était ajoutée ; il nous fallait rebâtir nos activités, et heureusement nous avons été soutenus par un prêt du Foreign Office qui a complété notre financement. S’agissant du Brexit, nous devons faire avec et avancer. Il y a évidemment des obstacles réels aux projets européens, comme l’accroissement des coûts pour les expositions, ou la difficulté à faire de grandes tournées dans les festivals européens : nous devons nous limiter à trois ou quatre pays. Au-delà de ces obstacles administratifs qui nécessitent des arbitrages, j’ai constaté des obstacles d’ordre psychologique, et des hésitations en France à prendre contact avec les acteurs culturels britanniques. C’est pour cela que nous avons mis en place « Spotlight UK ». Plus largement, il me semble qu’il y a un retour de l’Europe sur les questions culturelles, y compris au Royaume-Uni, après des périodes où l’économie et la politique étaient prioritaires. Il y a une prise de conscience du foisonnement des industries culturelles et créatives en Europe et de la nécessité de collaborer avec les pays voisins.

Mais le Brexit a privé le secteur culturel britannique de financements européens…

Oui effectivement, le Royaume-Uni est redevenu un pays tiers pour l’Union européenne (UE), et nous sommes sortis du programme « Europe créative » par exemple, qui est le principal financeur de la Culture dans l’UE. Mais cette année le gouvernement a décidé de réintégrer « Horizon Europe » [ce programme finance la recherche et l’innovation jusqu’en 2027, avec un volet consacré au numérique et aux industries culturelles et créatives, ndlr], une décision que nous soutenons. Et nous sommes en discussion pour intégrer certains dispositifs européens de financement de la culture. Dans le cas de la production cinématographique, les films britanniques restent inclus dans les œuvres « européennes » par exemple, donc les projets continuent, parfois en coproduction avec la France. De nombreux acteurs culturels voient bien qu’il y a une complémentarité entre nos deux pays et avec l’Europe. Et il nous reste encore de nombreux projets avec nos autres alliés, les États-Unis et le Canada particulièrement. Enfin nous avons des projets communs avec le Gœthe-Institut et l’Institut français, que nous connaissons depuis longtemps.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°631 du 12 avril 2024, avec le titre suivant : Anne Duncan, directrice du British Council France : « Le Brexit a mis de réels obstacles aux projets culturels européens »

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