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Anne-Catherine Robert-Hauglustaine : « Le premier texte international normatif sur les musées depuis 1960 »

Directrice générale de l’Icom

La directrice générale de l’Icom Anne-Catherine Robert-Hauglustaine veut élargir les listes rouges des biens en péril.

Anne-Catherine Robert-Hauglustaine est directrice générale du Conseil international des musées (Icom) depuis mai 2014. Docteur en histoire des sciences et techniques, elle a notamment été directrice des expositions et des éditions au Musée des arts et métiers, à Paris. Les principales missions de l’Icom sont la définition de normes et standards pour les musées. L’Icom est notamment connu pour la publication de ses listes rouges, qui identifient les objets en provenance des pays en guerre qui alimentent le trafic illicite de bien culturels.

Le 17 novembre, l’Unesco a adopté une recommandation rédigée par l’Icom « pour la protection et la promotion des musées et des collections, de leur diversité et de leur rôle dans la société ». En quoi ce texte va-t-il au-delà de la simple déclaration d’intention ?
Cette recommandation, sur laquelle l’Icom travaille depuis 2012, est très importante. Elle a pour objectif, à terme, de permettre aux personnels de musées de contraindre leurs tutelles – par une saisie à l’Unesco – à assumer leurs responsabilités dans le domaine muséal, qui va de la protection du patrimoine aux restitutions de biens spoliés, en passant par la question des inventaires ou celle de la professionnalisation. Une organisation issue de la société civile peut aussi saisir son gouvernement et lui demander de créer un musée, pour préserver une collection existante qui n’en a pas. C’est sans doute, à ce titre, le premier texte international normatif sur les musées depuis 1960.

Jean-Luc Martinez, missionné par François Hollande, a présenté cinquante propositions pour sauver le patrimoine culturel en péril. N’est-ce pas le rôle de l’Unesco ?
Jean-Luc Martinez porte cette mission car le Louvre est au cœur des questions de conservation et de préservation. Un tel musée possède la légitimité et l’expertise pour impliquer pleinement tous ses confrères. Et bien sûr, Jean-Luc Martinez a auditionné l’Unesco, l’Icom et tous les acteurs de premier plan sur ces questions.

Vous êtes néanmoins critique sur l’idée de musée refuge ?
Nous soutenons l’idée, mais préconisons simplement une grande prudence quant à la création de ces « safe haven » [en français havre de paix]. La question des restitutions est très complexe : concrètement, une fois que la situation locale s’est améliorée, à quel État restitue-t-on les artefacts mis en sécurité à Genève ? Sous quelles conditions politiques, économiques, techniques ? À cet égard, la position du Louvre est plus délicate que celle d’une organisation indépendante comme l’Icom.

Vous avez publié le 15 décembre dernier la Liste rouge d’urgence des biens culturels Libyens en péril. Comment constitue-t-on une telle liste ?
Le plus souvent, c’est le ministère des Affaires étrangères américain qui est alerté, dans le cadre d’accords bilatéraux, par le pays concerné. Il mandate alors l’Icom et finance la synthèse des données sur les biens en péril. Le travail dure environ un an. Nous en repensons actuellement les modalités : au lieu d’une commission d’experts, nous envisageons des conférences de préparation. En intégrant plus d’acteurs venus des zones concernées, la vision du patrimoine serait moins « européanocentrée ». Par ailleurs, impliquer davantage d’acteurs a priori est plus lourd, mais assurerait une meilleure diffusion a posteriori.

Quel bilan tirez-vous des listes sur l’Afghanistan (2003), la Syrie (2013) et l’Irak (2011, puis 2015) ?
Cela dépend des cas. En Afghanistan, nous avons reçu des centaines d’appels et près de 4 000 mails, plusieurs années après la publication de la liste. Souvent, cela dépend de la coopération des institutions locales, qui sont les premiers relais des listes et préparent le travail d’Interpol et des polices des douanes. Généralement, plus la liste a été publiée en amont de l’aggravation de la situation politique, meilleure a été son impact.

Une fois la liste publiée, comment votre travail se poursuit-il ?

Il faut que la liste soit imprimée, lue et utilisée. La sensibilisation est un travail immense, qui doit permettre d’aller au bout de la chaîne, jusqu’aux douaniers de zones reculées, dans des pays en voie de développement. Comment expliquer les enjeux, reconnaître les objets et enfin imposer une conduite en cas de découverte d’objets archéologiques précieux ? La tâche est ardue. Enfin, il y a le travail dans le reste du monde, sur le marché de l’art. J’aimerais pouvoir le stopper net sur les pièces syriennes et irakiennes. Nous parlons avec Christie’s et Sotheby’s, l’idée fait son chemin… Ensuite, il y a la responsabilité du citoyen.

Quelles sont les listes à venir ?
La prochaine sera dédiée au Yémen (lire aussi p. 7). Nous créons aussi des listes régionales, comme celle d’Afrique de l’Ouest, lancée au printemps avec un focus sur le Mali. Lorsque les États-Unis n’ont pas d’accord bilatéral, nous travaillons directement avec les pays concernés, qui financent nos travaux aux côtés de la fondation Icom. Ce sera le cas pour les Balkans.

Le grand public peine à identifier votre statut par rapport à l’Unesco.
L’Unesco est un partenaire qui s’appuie sur nous, comme sur toutes les associations portant une expertise. Mais nous sommes pleinement indépendants, puisque 80 % de notre budget est issu des cotisations des membres.

L’objectif de votre mandat est de moderniser l’Icom. Dans quel domaine ?

Nous avons dépassé les 35 000 membres et travaillons avec 137 pays ! Cela impose un travail complexe de transparence et de rééquilibrage dans la redistribution des budgets, amorcé par la précédente direction de l’Icom. C’est aussi un travail de notre image, qui passe par une meilleure réactivité sur nos sujets. Lors de notre conférence générale triennale, qui aura lieu en juillet à Milan, nous présenterons une nouvelle stratégie pour l’organisation.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°448 du 8 janvier 2016, avec le titre suivant : Anne-Catherine Robert-Hauglustaine : « Le premier texte international normatif sur les musées depuis 1960 »

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