Patrimoine

Rencontre

Alexandre Gady, le militant du patrimoine se reconvertit

Par Francine Guillou · Le Journal des Arts

Le 5 septembre 2019 - 1148 mots

SAINT-CLOUD

Longtemps président remuant de l’association Sites et Monuments, l’universitaire prend les rênes du projet de « Musée du Grand Siècle » à Saint-Cloud.

Paris. « J’ai toujours eu un sentiment de la finitude des choses, de l’urgence de protéger ce qui est beau pour éviter que tout disparaisse sous l’empire de l’argent ou du mauvais goût. J’ai été élevé en banlieue, dans un endroit assez protégé, dans une partie des Yvelines que j’ai vue être complètement massacrée au fil des ans. Des champs devenaient des boîtes géantes pour grands magasins le long des routes, des villages étaient ravagés par une mer de pavillons identiques. Cela m’a donné une hypersensibilité au temps qui passe. » En cette matinée de juillet, Alexandre Gady, futur directeur de la mission de préfiguration du « musée du Grand Siècle » à Saint-Cloud, se confie à un moment charnière où il s’apprête à laisser derrière lui la présidence de Sites et Monuments, l’ancienne Société pour la protection des paysages et de l’esthétique de la France (SPPEF), et son poste d’universitaire pour entrer de plain-pied dans le monde muséal.

Connu pour ses combats patrimoniaux menés par l’association qu’il préside depuis 2011, Alexandre Gady a l’image d’un trouble-fête, d’un rabat-joie dans certains cercles qu’il ne ménage pas : l’actuelle municipalité parisienne, le secteur de l’éolien, les entreprises du BTP. « Je suis sans doute profondément conservateur : je suis inquiet que tout se termine » : Alexandre Gady, 51 ans, se révèle un curieux mélange de naïveté, de nostalgie, d’indignation et d’humour.

Élevé entre Rambouillet et Versailles, sur un territoire à mi-chemin entre la banlieue et la province, le jeune garçon grandit dans le voisinage de deux célèbres châteaux. Du château de Versailles, l’historien confie : « Il est sûr que cela a joué un rôle dans ma passion et dans la manière dont l’histoire m’a aidé à aller vers l’architecture, et l’architecture à revenir à l’histoire. Pour moi, l’architecture restera toujours fondamentalement de l’histoire et de la politique en trois dimensions. » À la fin des années 1980, il découvre Paris et s’y installe pour poursuivre des études d’histoire à la Sorbonne. Un électrochoc pour le jeune homme, vite fasciné par l’histoire urbaine de Paris et ses transformations, et déjà désireux de s’engager dans la préservation des traces du passé. L’étudiant boursier s’investit alors dans l’association Paris Historique.

Commission du Vieux-Paris

Une rencontre infléchit sa trajectoire, celle avec Michel Fleury (1923-2002). Alexandre Gady suit ses cours à l’École pratique des hautes études. En 1993, l’archéologue invite son élève à le rejoindre au sein de la Commission du Vieux Paris. Durant six ans, le nouveau chargé de mission décortique les permis de construire et de démolir, documente les dossiers sur lesquels la Commission doit rendre un avis. « Des années assez extraordinaires où je n’étais pas dans la réflexion mais bien dans l’action quotidienne. Je peux dire sans fausse modestie qu’on a sauvé beaucoup de choses. »

Cette voie a priori tracée dans le patrimoine parisien est contrariée par des désaccords avec son mentor. Il mène finalement une carrière universitaire, après la soutenance en 2001 d’une thèse dirigée par l’historien Claude Mignot sur l’architecte Jacques Lemercier (1585-1654). Les postes de titulaire sont difficiles à obtenir à l’Université : avant de devenir maître de conférences en 2005, il enseigne à l’École du Louvre et à Sciences Po.

En 2011, nouveau tournant : l’enseignant-chercheur accepte de prendre la présidence de la vénérable SPPEF. « J’étais professeur à Nantes et j’avais accepté ce titre prestigieux dans l’idée que l’association roulait toute seule. Et puis j’ai ouvert le livre de comptes : j’ai alors compris que c’était une vieille dame gravement malade. Il fallait la sauver », se souvient-il. Remettre d’équerre les finances, réorganiser le réseau des correspondants en régions, rajeunir et féminiser le conseil d’administration : autant de missions internes que se donne le président. Tout en menant des combats médiatiques où il ne se fait pas que des amis. Les Serres d’Auteuil, la Samaritaine et les projets de parcs éoliens font partie des dossiers les plus connus de l’association. Sur la Samaritaine, l’historien est amer : « La victoire de Bernard Arnault [le patron de LVMH, propriétaire de la Samaritaine] ne montre que trop le poids du “gros argent”. La République devrait être plus cohérente avec ses principes. » Gady poursuit : « Il y a une forme de système, hélas : je l’ai vu avec le Conseil d’État. À un moment donné, on est dans la petite cour, et on ne peut pas rentrer dans la grande. Depuis les années 1990, le législateur a réduit la portée des recours, ça n’a pas cessé jusqu’à la dernière réforme de la loi Elan [loi d’octobre 2018 sur le logement, NDLR] ». Les recours aux permis de construire de la Samaritaine et des Serres d’Auteuil ont été rejetés par la justice, et les projets finalement mis à exécution. « La lassitude guette forcément devant la multiplication des dossiers que nous n’avons pas le temps de traiter, devant tous ces scandales qui s’accumulent ». Des coups de sang aussi, comme lorsqu’il décide de porter plainte fin août 2018 contre Françoise Nyssen, alors ministre de la Culture, après que Le Canard enchaîné a révélé des aménagements suspects des locaux arlésiens et parisiens de sa maison d’édition, dans des bâtiments protégés. Parmi les adhérents de la SPPEF, habitués à plus de retenue et de diplomatie, la décision divise. « Un ministre de la Culture qui dénature le patrimoine sans en respecter les règles, ce n’est pas possible. On a considéré que c’était un cas d’école, mais la décision a été lourde à prendre », assume Alexandre Gady.

Passé le cap de la cinquantaine, Alexandre Gady remet en question sa carrière. En 2018, il a présenté sa candidature à la direction générale des Patrimoines. Pourquoi une telle ambition ? « C’était une folie, et beaucoup de gens se sont fichus de moi, à commencer par mon entourage direct – avec raison ! J’ai pensé : “Ce ministère est en capilotade, cette ministre est complètement nulle, d’accord : peut-être faut-il aider, monter dans le bateau et faire quelque chose au lieu de geindre !” » Retrouver l’action et le terrain donc, avec une naïveté et un optimisme détonants pour un si fin connaisseur des arcanes du patrimoine. « Je pense que l’incarnation joue un rôle décisif. Dans une société médiatique, c’est ce qu’il y a de plus fort. »

À l’automne, Alexandre Gady passera les rênes de l’association à Julien Lacaze, actuel vice-président. Et se mettra en retrait de l’Université en devenant fonctionnaire détaché dans les Hauts-de-Seine pour s’occuper à temps plein de son nouveau projet : le « musée du Grand Siècle » à Saint-Cloud. Alexandre Gady a cinq ans devant lui pour créer deux musées et un centre de recherches consacré au XVIIe siècle. « Je peux vous dire qu’on ne va pas s’ennuyer ! », relève avec panache celui à qui l’académicien, conservateur et historien de l’art Pierre Rosenberg, par affinités électives, a confié la valorisation de sa très riche collection.

1968
Naissance à Versailles, il grandit dans les Yvelines, avant d’entamer des études d’histoire à Paris.
1993
Rencontre Michel Fleury et devient chargé de mission à la Mairie de Paris au sein de la Commission du Vieux Paris.
2011
Président de la Société pour la protection des paysages et de l’esthétique de la France (SPPEF).
2012
Professeur d’histoire de l’architecture moderne à l’université Paris-Sorbonne après un premier poste à Nantes.
2019
Directeur du projet de préfiguration du « musée du Grand Siècle » à Saint-Cloud, musée né du don de la collection Rosenberg.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°528 du 6 septembre 2019, avec le titre suivant : Alexandre Gady, le militant du patrimoine se reconvertit

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