11 septembre 2001 – 11 septembre 2011 : l’apocalypse en direct

Par Julie Portier · Le Journal des Arts

Le 6 septembre 2011 - 834 mots

Architecture hautement symbolique, les tours jumelles du World Trade Center ont fait l’objet d’œuvres qui se sont chargées d’une dimension tragique. Ou comment représenter l’« irreprésentable ».

New York le 11 septembre 2001, jour de l’apocalypse. À l’instant même où il assiste à l’impact de l’avion sur la deuxième tour du World Trade Center, quand l’orchestration du crime ne fait aucun doute, le monde sait que rien ne sera plus comme avant. À ce moment précis s’ouvre une nouvelle ère géopolitique, mais aussi médiatique. Jamais dans l’histoire des images, l’événement n’a eu une telle promiscuité avec sa représentation ; sur tous les canaux, la planète assistait à son histoire en direct. Ce jour-là, le réel s’est définitivement confondu avec sa retransmission. Dès lors, l’image est l’événement. Le projet terroriste avait d’ailleurs intégré ce paradigme en dédoublant le cataclysme. Instantanément gravée dans la mémoire collective, l’image, qui actait le coup porté à un empire en confirmant une nouvelle fois le sien, a suscité de nouvelles réflexions sur son statut et ses mécanismes.

Dans Diplopie, l’image photographique à l’ère des médias globalisés : essai sur le 11 septembre (éd. Le Point du jour, 2009), Clément Chéroux, conservateur au Musée national d’art moderne, à Paris, constate que l’événement le plus photographié au monde n’a laissé qu’un très mince corpus d’images diffusées en boucle. Celles-ci ne montrent pour ainsi dire aucune victime, alors que « la souffrance du bâtiment », note l’auteur, y est décrite seconde par seconde. Pour le sociologue et philosophe Jean Baudrillard, dans son texte « Requiem pour les Twin Towers » (in Power Inferno, éd. Galilée, 2002), il n’est pas étonnant que l’architecture soit le personnage principal de l’histoire. La force dramatique de sa destruction est à la mesure de la puissance symbolique de ce double édifice, siège de l’hégémonie américaine. Les tours étaient-elles « programmées » pour cette fin tragique ? Elles renfermaient le pressentiment de leur chute spectaculaire, maintes fois mise en scène par le cinéma hollywoodien, d’où l’effet de « déjà-vu » (et de déréalisation) des images du 11 Septembre selon Chéroux, démonstration imparable des liens qui unissent les industries du divertissement et de l’information. 

Recours à l’allégorie
Architecture hautement symbolique, les tours jumelles ont donc fait l’objet de plusieurs œuvres qui se sont soudain chargées d’une dimension tragique. Ainsi de la composition sonore de Stephen Vitiello, World Trade Center Recordings (2010), qui traduisait « la fragilité » des colosses dans les vibrations enregistrées à leur surface. Comme en attente de l’événement – qui s’est finalement produit en dépit de l’impensable –, Wolfgang Staehle projetait, du 6 septembre au 6 octobre 2001, trois images des tours filmées en temps réel dans la Postmasters Gallery, à New York. 
Au matin du 11 Septembre, plusieurs artistes tels que Tony Oursler ou Jonas Mekas ont recueilli, comme des milliers de New-Yorkais, leur propre témoignage des attentats. Ein Märchen aus alten Zeiten de Mekas est un plan fixe des tours en flammes qui se referme sur la photographie sépia d’une petite fille plongée dans ses pensées, image sensible dont le mutisme contraste avec le déferlement médiatique.

Comment représenter ce qui s’est passé ? L’inacceptable déclaration de Karlheinz Stockhausen, qui reconnaissait dans les attentats la plus sublime des œuvres d’art, sous-entend pourtant, selon Baudrillard, qu’« après un tel événement, il est trop tard pour l’art, il est trop tard pour la représentation ». L’hommage de Mounir Fatmi, Save Manhattan 01 (2004), répond à l’« irreprésentable » par un empilement de livres publiés après l’événement et dont l’ombre portée dessine la silhouette de New York, allégorie de la fabrication de l’événement par sa propre exégèse. Une autre version de l’œuvre est réalisée à l’aide de cassettes VHS, monument dérisoire composé de boîtes noires, une mémoire sans image.

Thomas Ruff, lui, propose une inquiétante version de la peinture d’histoire à l’ère de la communication instantanée avec Jpeg ny02 (2004), une image pixellisée comme celles postées sur le web au lendemain du 11 Septembre. En riposte à la toute puissance des images du drame, de nouvelles entreprises de déconstruction, qui trouvent leur paternité dans la manipulation des images chez les artistes tels Jack Goldstein ou Dara Birnbaum dans les années 1980, ou plus loin, dans la pratique du collage dada, ont refait surface. Le site du « Lower Manhattan Project », programme de recherche sur les mécanismes narratifs des images abrité par l’université du Québec à Montréal, recense plusieurs œuvres web de ce type. 1.1.0.9 cause & effect (2001) du Russe Andrey Velikanov est un enchaînement de schémas abscons feignant de décrire la logique historique qui aboutit aux attentats. Chaque étape consiste en une série d’images d’une seconde (diffusée en boucle) tirées de journaux télévisés ou de films américains. Comme dans les diagrammes illisibles édités par le collectif Bureau d’études, par exemple World government of press and media industries (2003), l’artiste se fait moins l’enquêteur du dessous de l’image qu’il ne met en garde contre sa mécanique, jamais innocente. 

Légendes photos

Thomas Ruff, jpeg ny03 - 2004 - C-print sous Diasec, 269 x 364 cm. Courtesy David Zwirner, New York.

Mounir Fatmi, Save Manhattan 01, 2004, table, livres publiés après le 11 Septembre 2001, lumière, 150 x 90 cm, collection Frances, Senlis. Courtesy galerie Hussenot, Paris.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°352 du 9 septembre 2011, avec le titre suivant : 11 septembre 2001 – 11 septembre 2011 : l’apocalypse en direct

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