Château

Villers-Cotterêts, un joyau sauvé des eaux

Par Isabelle Manca-Kunert · L'ŒIL

Le 4 septembre 2023 - 1127 mots

Le château qui abrite la nouvelle Cité de la langue française revient de loin. En ruine il y a cinq ans, il a aujourd’hui retrouvé toute sa splendeur. Récit d’un sauvetage.

« Attention où vous mettez les pieds, vous pourriez passer à travers le plancher ! » Les avertissements dispensés à la poignée de journalistes qui avait eu l’heur de pénétrer dans le château de Villers-Cotterêts (Aisne), en 2018, donne une idée de l’état de délabrement dans lequel avait sombré feu ce joyau de la Renaissance. Il faut l’avouer, alors que le président de la République venait de confier le sauvetage du site au Centre des monuments nationaux, le scepticisme était de mise parmi les commentateurs. Face aux consternantes fenêtres murées pour chasser les squatteurs et au déprimant parapluie déployé pour mettre le bâtiment hors d’eau, il fallait une sacrée dose d’imagination et d’optimisme pour se figurer la métamorphose qui allait débuter. Cinq ans et plus de 200 millions d’euros plus tard (financés, entre autres, par le plan de relance et le ministère de la Culture), le miracle a opéré. Et le « scandale patrimonial » dénoncé alors par l’ancien président du CMN, Philippe Bélaval, appartient désormais au passé. Ce phœnix de Picardie, étroitement lié à l’histoire de France, revient de loin.

Demeure royale, puis résidence princière

Tout avait pourtant commencé sous d’excellents auspices pour cette résidence de plaisance prisée dès le Moyen Âge, transformée par François Ier en luxueux relais de chasse en 1532. Le souverain ordonne alors de grands travaux, sans doute commencés par les architectes de la famille Lebreton et achevés par l’immense Philibert Delorme sous le règne d’Henri II (1547-1559). Considéré comme l’un des plus aboutis de l’époque, grâce à sa superbe chapelle sculptée et ses escaliers à caissons dont le décor a miraculeusement survécu, ce château s’impose naturellement comme un insigne lieu de pouvoir. C’est pour cette raison que le vainqueur de Marignan signe entre ses murs, en 1539, la fameuse ordonnance de Villers-Cotterêts. Un texte de loi décisif qui rend obligatoire l’usage du français dans tous les actes administratifs et juridiques. Et pose en outre les bases de l’État-nation et de l’État civil. À compter du règne de Louis XIV, la demeure royale perd toutefois de sa superbe, reléguée au rang de résidence princière. Donnée à Monsieur, le frère du roi, en apanage du Valois, elle devient la propriété des ducs d’Orléans. Jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, elle est plus ou moins occupée en fonction des ducs. Le Régent lui accorde ainsi un intérêt plus que limité, expliquant à Saint-Simon qu’un jour il prendra sa retraite et ira « planter des choux à Villers-Cotterêts ». Plus sensible au charme de cette demeure, son petit-fils, Louis-Philippe d’Orléans, y mène une importante campagne de modernisation. Ces travaux sont toutefois à double tranchant car s’ils assurent la pérennité du monument ils en modifient grandement sa silhouette, éliminant presque systématiquement les éléments sculptés de la Renaissance alors totalement démodés !

Dépôt de mendicité et maison de retraite

Ces travaux marquent le début d’une lente descente aux enfers pour le château. Afin d’héberger les nombreux convives invités à festoyer, le site est profondément remanié. En vue d’aménager les combles, la voûte de la sublime chapelle est par exemple remplacée par un plancher, ce qui modifie considérablement son allure. Mais le pire reste à venir car, durant la Révolution française, Philippe Égalité vend la totalité du contenu du château, y compris les lames du parquet ! Le bâtiment est donc entièrement vide quand il devient bien national. Ce complexe de plus de 23 000 m2 à proximité de Paris attise évidemment la convoitise du pouvoir, alors à la recherche de vastes édifices pour créer des casernes ou des prisons. Il est ainsi transformé en dépôt de mendicité sous Napoléon Ier. Afin de chasser la misère et la délinquance des rues de la capitale, on rassemble les populations concernées dans ce château qui est « aménagé » dans une optique aussi hygiéniste que carcérale. Le premier étage du logis royal, notamment, est saccagé : les pièces sont découpées en deux niveaux par des dalles reposant sur des poutrelles en acier. Des poutres IPN sont même installées afin de rigidifier la structure ! En 1889 le site embrasse une nouvelle vocation et devient maison de retraite ; mission qui perdurera jusqu’en 2014. Cette activité engendre inévitablement de nouveaux aménagements délétères ; des transformations facilitées par l’absence de toute protection légale.

Classé puis rayé de la liste des Monuments historiques

Ce malheureux château peut en effet se targuer d’être un cas unique : il a été classé en 1862 avant d’être tout bonnement rayé de la liste des Monuments historiques, à peine un an plus tard, afin de permettre toutes les modifications possibles. Y compris les plus préjudiciables. Il faudra attendre 1997 pour que le site soit à nouveau classé, cette fois de manière irrévocable. La fermeture de l’Ehpad ne signe toutefois pas la fin des ennuis du monument. « Paradoxalement, le délabrement s’accélère après le départ des derniers résidents, explique Xavier Bailly, l’administrateur du château. Le site est alors laissé à l’abandon : il pleut dans le logis royal à cause du manque d’étanchéité, et de simples couvertures en tôle font office de toiture. Il faut imaginer que l’état du bâti était tel, que les Cotteréziens de moins de trente ans n’avaient jamais vu le pavillon du roi car il était dissimulé depuis des décennies sous des protections de fortune ! » Il aura fallu plus de 600 compagnons appartenant à 65 corps de métier pour mener à terme ce sauvetage complètement hors norme.

La Cité de la langue française : un laboratoire 

Jamais ouvert au public, le château se dévoile enfin. Outre un monument miraculé doté de quelques décors spectaculaires de la Renaissance, les visiteurs peuvent y découvrir un équipement inédit à mi-chemin entre le musée et le laboratoire. La Cité internationale de la langue française est en effet le tout premier lieu culturel dédié à notre idiome. Le parcours déployé dans les trois ailes du logis royal propose sur 1200 m2 une série de dispositifs inventifs qui immergent le curieux dans l’histoire de la langue française. Objectif : donner à voir et à entendre notre langue. On y retrace l’évolution du français, sa dispersion planétaire, la constitution du vocabulaire, ses usages mais aussi ses rapports avec le pouvoir politique. Des présentations interactives permettent par exemple d’appréhender la façon dont il est passé dans d’autres langues. Le parcours réunit aussi de précieux objets, à l’image de la célèbre ordonnance de Villers-Cotterêts ou de l’épée d’académicien d’Alain Decaux, qui fut, outre un grand historien, ministre de la Francophonie.

Isabelle MANCA-KUNERT

 

Cité internationale de la langue française - château de Villers-Cotterêts, 1, place Aristide-Briand, Villers-Cotterêts (02), du mardi au dimanche de 10h à 18h30, tarif 9 €, www.cite-langue-francaise.fr

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°767 du 1 septembre 2023, avec le titre suivant : Villers-Cotterêts, un joyau sauvé des eaux

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