Une route Ligier Richier pour découvrir la Renaissance lorraine

Par Isabelle Manca · L'ŒIL

Le 27 juin 2013 - 1054 mots

Considéré comme le Michel-Ange lorrain, le sculpteur a légué à l’humanité quelques chefs-d’œuvre encore visibles dans les églises de Lorraine, de Bar-le-Duc à Saint-Mihiel.

Rare artiste lorrain de la Renaissance dont la réputation a outrepassé les frontières du duché, Ligier Richier a laissé un riche héritage à sa terre natale. Né vers 1500 à Saint-Mihiel, il entre au service du duc Antoine de Lorraine en 1530, en tant qu’« imagier », et réalise de prestigieuses commandes pour la cour, notamment le superbe gisant de Philippe de Gueldre, ainsi que pour les églises de la région. Pour valoriser ce précieux patrimoine, le département de la Meuse a mis en place un itinéraire, fédérant les communes conservant des pièces du sculpteur sammiellois. Point de départ de ce circuit, le village médiéval d’Hattonchâtel abrite, derrière ses fortifications, la plus ancienne œuvre connue du sculpteur : un retable en pierre polychrome. Daté de 1523, ce haut-relief représente trois scènes de la Passion – le Portement de croix, la Crucifixion et la Déploration sur le Christ mort – séparées par un cadre architectural à l’antique, témoignant de la pénétration du vocabulaire de la Renaissance italienne. Le caractère un peu raide et l’expressivité exacerbée des personnages révèlent, en revanche, les affinités esthétiques de Richier avec les foyers germaniques. Bien qu’encore un peu maladroite, l’œuvre démontre, cependant, la précoce habileté du sculpteur dans la suggestion de la profondeur et dans la transcription du mouvement.
La deuxième étape du parcours, dans l’église Saint-Martin d’Étain, illustre d’ailleurs la rapide évolution de son art. Cette Pietà de 1528 présente effectivement un traitement nettement plus fluide et illusionniste. Si son thème est extrêmement classique, sa composition est fort peu conventionnelle, puisque au lieu de porter la dépouille du Christ sur ses genoux, la Vierge est ici agenouillée, penchée sur son fils gisant à même le sol. Cette œuvre allie un grand réalisme, notamment dans l’évocation du corps inerte, à une recherche de vérité psychologique dans la transcription des sentiments ; tout en revendiquant un goût manifeste pour la mise en scène dramatique.

Bar-le-Duc, perle de la Renaissance
Notre itinéraire nous conduit ensuite dans le joyau de la Renaissance lorraine : Bar-le-Duc. L’ancienne capitale du duché de Bar possède, en effet, l’un des plus beaux ensembles d’architecture civile du XVIe siècle en France. Au cœur de ce secteur sauvegardé, l’église Saint-Étienne conserve deux œuvres majeures de Richier : un Calvaire et sa sculpture la plus célèbre, Le Transi : monument au cœur de René de Chalon.
La première, une sculpture en bois polychrome, frappe par son dynamisme et son étonnante plasticité. Les corps du Christ et des deux larrons y sont rendus avec une grande justesse anatomique, tandis que la violence de leur agonie est soulignée par les contorsions des suppliciés. Encore plus impressionnant, Le Transi trouble par son réalisme et son audace. Il s’agit d’un squelette, un écorché grandeur nature, qui a le regard fixé sur sa main serrant son cœur et le tendant vers le ciel. Cette œuvre est autant une démonstration de la maîtrise de l’artiste et de son savoir scientifique qu’une allégorie ; le bras tendu du squelette évoquant le « bras armé », emblème de la maison de Lorraine, alors que le cartouche vierge retenu par son bras droit symbolise l’anonymat de la mort.
Ce transi offre une vision terrifiante d’un corps décharné et béant, opérant un étrange syncrétisme entre l’iconographie des danses macabres médiévales et l’avancée des connaissances anatomiques de la Renaissance. D’une grande virtuosité, notamment dans le traitement presque textile de la peau, l’œuvre est extrêmement théâtrale et l’on comprend aisément qu’elle ait fortement marqué les esprits depuis sa création.

Émotion et réalisme
Enfin, le parcours se termine par la cité natale de l’artiste, Saint-Mihiel. Baptisée la Petite Florence lorraine, en raison de son important patrimoine de la Renaissance – dont les hôtels de Gondrecourt et de Faillonnet –, la ville peut, en outre, s’enorgueillir de posséder deux œuvres phares de la fin de la carrière de Ligier Richier. Conservée dans l’église Saint-Michel, La Pâmoison de la Vierge est une superbe sculpture en bois de noyer, autrefois polychrome, montrant un moment paroxystique de la Passion, lorsque saint Jean soutient la Vierge en train de s’évanouir, accablée de douleur [jusqu’au 4 août, la sculpture est exceptionnellement exposée au Musée lorrain, à Nancy].
La réussite de cette œuvre poignante réside dans le rendu extrêmement réaliste des corps et des attitudes, mais aussi dans la traduction émouvante des sentiments. Son traitement dynamique – grâce à la position des corps des deux saints formant une croix en X – conjugué à l’aspect vibrant des drapés confère à la pièce une sensation d’instantanéité, d’arrêt sur image. Initialement, elle faisait partie d’un groupe sculpté composé de neuf sculptures représentant une crucifixion entourée de saints et d’anges ; les autres pièces auraient été détruites à la Révolution. Datée des dix dernières années d’activité de Richier en Lorraine, cette œuvre témoigne de l’évolution de sa production vers des ensembles monumentaux. Comme en atteste la dernière œuvre du parcours, sans doute la plus impressionnante et la plus ambitieuse de sa carrière : la Mise au tombeau de l’église Saint-Étienne de Saint-Mihiel.
Un exceptionnel sépulcre en ronde-bosse réunissant treize personnages : le Christ mort, porté par Nicodème et Joseph d’Arimathie, avec à ses pieds Marie-Madeleine. À droite de ce groupe central, on trouve une femme tenant la couronne d’épines et, derrière elle, deux soldats jouant aux dés la tunique du Christ sous le regard de saint Longin. À l’autre extrémité de la composition, la Vierge est soutenue par saint Jean et une sainte femme, tandis qu’à leur gauche, un ange étreint la croix et Marie-Salomé prépare le tombeau. Ce sépulcre se distingue des nombreux exemples produits dans l’est de la France par sa composition qui délaisse la frise au profit d’une approche scénographique reposant sur la coexistence de différents plans.
Ce parti pris, cinématographique avant l’heure, donne à l’ensemble un grand dynamisme et une profonde tension dramatique, encore renforcée par la multiplication des points de vue, des jeux de regard et la variété des attitudes des personnages. La finesse des détails – tissu sortant des crevés de la robe de Marie-Madeleine, affliction des visages écrasés de tristesse – souligne la virtuosité de l’artiste alors au sommet de son art et de sa gloire, considéré de son vivant comme le Michel-Ange lorrain.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°659 du 1 juillet 2013, avec le titre suivant : Une route Ligier Richier pour découvrir la Renaissance lorraine

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