Archéologie

Une Eurorégion de l’âge du bronze

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 13 mars 2012 - 856 mots

Mené à l’échelle européenne, un programme de recherche et de valorisation du patrimoine archéologique réunit des experts autour d’un bateau vieux de 3 500 ans.

DOUVRES - Ils sont universitaires, chercheurs et archéologues ; français, anglais et belges. Ils sont aujourd’hui réunis autour d’un programme de recherche et de valorisation d’un patrimoine archéologique témoignant de l’existence, à l’âge du bronze, d’une « communauté européenne » de part et d’autre de la Manche.

Tout a commencé en septembre 1992, dans le port de Douvres, ville du comté du Kent, dans le sud de l’Angleterre à une trentaine de kilomètres des côtes françaises. Lors de travaux d’aménagement, les archéologues du Canterbury Archaelogical Trust (CAT) dépêchés sur place découvrent les vestiges d’un bateau conservé sur neuf mètres de long. Enfouies sous six mètres de sédiments, les planches de bois qui le composent, assemblées par un ingénieux système de tenons et mortaises, ont été remarquablement bien conservées. Après des analyses radiocarbones, le bateau se révèle dater de l’âge du bronze ; il est vieux de 3 500 ans. Il s’agit ainsi du plus ancien bateau maritime d’Europe – des embarcations fluviales remontant au Néolithique avaient déjà été trouvées. La partie du bateau mise au jour est extraite, puis restaurée, avant de rejoindre le nouvel espace du Musée d’archéologie de Douvres, conçu pour l’occasion et inauguré en 1999 par la reine d’Angleterre. Parallèlement, Peter Clark, l’archéologue responsable du CAT, lance un programme de recherche pour tenter de comprendre le rôle joué par ce type d’embarcation. La longueur du bateau est estimée entre 14 et 18 m, pour une largeur de 3 m. À son bord, environ une quinzaine de personnes le maœuvraient à l’aide de pagaies. Construit selon des techniques complexes, impliquant des charpentiers spécialisés, il faisait des allers et retours entre les deux terres. Les théories des différents spécialistes divergent quant à sa fonction précise tandis que les publications scientifiques se multiplient.

Reconstitution du bateau
En 2011, le projet prend une nouvelle ampleur, avec la mise en place d’un programme de recherche et de valorisation du patrimoine archéologique baptisé « BOAT 1500 BC ». Soutenu par l’Union européenne, doté d’un budget de 2 millions d’euros, il réunit le CAT, l’université des sciences humaines et sociales de Lille-III et la Maison européenne des sciences de l’homme et de la société, ainsi que l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap), l’université de Gand, auxquels sont également associés l’université de Canterbury, le département du Pas-de-Calais et le Musée de Boulogne-sur-Mer. Son objectif : exhumer les traces d’un passé remontant à l’âge du bronze pour mettre en exergue les rapports qu’entretenaient les habitants de cette zone située de part et d’autre de la Manche et de la mer du Nord, englobant l’actuel nord de la France, le sud-est de l’Angleterre et les Flandres. Le programme est entré dans une phase concrète avec la reconstitution (en cours) du bateau à l’échelle 1/2 selon les méthodes de l’archéologie expérimentale : la réplique est réalisée dans les mêmes matériaux et selon les mêmes techniques qu’à l’âge du bronze. Il devrait être mis à l’eau en mai prochain et constituera la pièce maîtresse de l’exposition itinérante concoctée pour l’occasion.

Organisée en trois étapes, cette manifestation intitulée « Par-delà l’horizon. Sociétés en Manche et mer du Nord il y a 3 500 ans » débutera au Château-musée de Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais) à partir du 29 juin, puis rejoindra en 2013 le Musée archéologique Ename à Velzeke, en Belgique, avant de jeter l’ancre au Musée archéologique de Douvres. Au travers de ce parcours, il s’agit « d’utiliser le passé pour montrer les liens qui nous unissent », souligne Anne Lehoërff, maître de conférences à l’université de Lille-III, qui supervise le projet. « L’intensification des fouilles préventives menées ces vingt dernières années a permis de dessiner une entité culturelle commune qui remonte à 1 500 ans avant notre ère. Le nord-ouest de la France, le Sud de l’Angleterre, la Belgique et les Pays-Bas présentent des similitudes dans les formes d’habitat, les céramiques et les rituels funéraires », ajoute l’un des coordinateurs du projet, Marc Talon, archéologue de l’Inrap. De nombreux vestiges issus de fouilles préventives récentes seront présentés dans l’exposition. Le visiteur pourra ainsi apprécier le trésor de Guînes, dépôt enfoui vers 1200-1100 avant notre ère et découvert en bordure d’une zone de marais dans le Pas-de-Calais, prêté par le Musée d’archéologie nationale (Saint-Germain-en-Laye).

La scénographie se veut didactique, avec des ambiances sonores, boîtes à odeur, objets à manipuler, jeux, échantillons à toucher, vidéos, reportages, entretiens filmés, pour attirer différents publics. L’exposition s’accompagnera d’un kit pédagogique pour les enseignants et de conférences grand public. Sans oublier trois colloques destinés aux spécialistes, à Boulogne-sur-Mer (du 3 au 5 octobre) sur les échanges en Europe du IVe au milieu du Ier millénaire ; en 2013 à Gand sur l’enseignement de l’archéologie et à Douvres sur la première charpenterie maritime. Peter Clark, Anne Lehoërff et Marc Talon rêvent de pouvoir poursuivre l’aventure avec la réalisation, à échelle réelle cette fois, d’une réplique du bateau où il serait possible d’embarquer pour traverser la Manche comme les habitants de cette « eurorégion » il y a plusieurs millénaires.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°365 du 16 mars 2012, avec le titre suivant : Une Eurorégion de l’âge du bronze

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