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MUSÉES ROMAINS

Rome, l’idée d’un musée unique sur l’histoire de la ville fait polémique

Par Olivier Tosseri, correspondant en Italie · Le Journal des Arts

Le 27 septembre 2021 - 791 mots

ROME / ITALIE

L’un des candidats aux prochaines élections municipales italiennes propose de rassembler toutes les collections retraçant l’histoire de la Ville éternelle au sein des Musées du Capitole, qui deviendraient ainsi le « Louvre de la Rome antique ».

Le palais sénatorial sur la place du Capitole à Rome, entre le palais des Conservateurs et le palais Neuf. © Cezar Suceveanu, 2014, CC BY-SA 4.0
Le palais sénatorial sur la place du Capitole à Rome, entre le palais des Conservateurs et le palais Neuf.
Photo Cezar Suceveanu, 2014

Rome est un musée à ciel ouvert. Pour s’en assurer, il suffit de déambuler sur le Forum, de longer le Colisée ou d’admirer les imposants vestiges des thermes de Caracalla. Mais la Ville éternelle n’a aucun musée consacré à son glorieux passé. Ou plutôt elle en a trop. C’est en tout cas ce que déplore l’un des principaux candidats aux élections municipales qui auront lieu les 3 et 4 octobre. Carlo Calenda, ancien ministre du Développement économique des gouvernements de Matteo Renzi et de Paolo Gentiloni, a ainsi publié une vidéo sur les réseaux sociaux qui a suscité une virulente polémique. Sur la place du Capitole, il fustige « la pauvreté et la ringardise de l’offre muséale de la capitale » concernant l’Antiquité. Dans son dos le palais du Sénat, qui fait office d’Hôtel de ville, et les Musées capitolins. Un ensemble dont il souhaite faire « le Louvre de la Rome antique avec vue sur le Forum ».

L’espace est tout trouvé : les Musées capitolins, « trop peu visités et incompréhensibles pour les touristes », selon Carlo Calenda, ainsi que le palais du Sénat qu’il promet de vider des différents services et bureaux de la municipalité. Le musée unique qui verrait ainsi le jour regrouperait toutes les collections liées à l’Antiquité romaine, dispersées pour l’instant au sein de cinq institutions différentes. Au Musée de la civilisation romaine, dans le quartier de l’EUR, où l’on peut notamment observer la grande maquette de Rome à l’époque de Constantin ou encore les moulages des reliefs de la colonne Trajane, il faut ajouter le Musée national romain (Museo nazionale romano), dirigé depuis tout juste un an par l’archéologue français Stéphane Verger. Ses collections sont réparties au sein de quatre bâtiments distincts : les thermes de Dioclétien avec une importante section épigraphique ; le palais Massimo qui accueille le fruit des campagnes de fouilles menées depuis l’Unité italienne en 1871 ; le palais Altemps qui recèle les collections ayant appartenu aux grandes familles aristocratiques romaines de la Renaissance et de l’époque baroque ; et enfin la Crypta Balbi qui fait pénétrer le visiteur sur un site de fouilles archéologiques sous un immeuble en plein cœur de la ville.

La proposition de Carlo Calenda, qui ne cesse de mettre en avant son profil d’« homme politique préparé et sérieux », a été jugée par nombre de personnalités du monde culturel italien comme « absurde, inutile et irréaliste derrière une apparence de logique et de pragmatisme ». La communauté des historiens de l’art est presque unanime à juger « ridicule » d’invoquer le Louvre ou le British Museum, qui ne sont en rien des musées voués à l’histoire de Paris ou de Londres, mais sont au contraire des musées à vocation universaliste. C’est notamment l’avis de l’historien de l’art Salvatore Settis qui résume la position de l’écrasante majorité de ses confrères dans un long article publié dans les pages du quotidien La Stampa. Il y dénonce, à propos de l’offre muséale romaine, l’ignorance, par Calenda, de son caractère diffus sur le territoire. À commencer par les Musées capitolins, les plus anciens musées du monde, fondés en 1471 par le pape Sixte IV. Ils sont injustement méprisés par Carlo Calenda, qui semblerait méconnaître la stratification historique de la ville qu’il entend diriger.

Proposition ou provocation ?

Mais la question du musée unique sur l’histoire de Rome n’est pas uniquement théorique. Les inévitables obstacles administratifs et juridiques rendent complexe, voire impossible, la fusion de collections d’institutions municipales ou nationales souvent rivales. Sans oublier les collections des Musées du Vatican, qui appartiennent à un État étranger, et la Collection Farnèse, l’une des plus riches concernant l’Antiquité romaine, qui se trouve au Musée archéologique de Naples. En période de post-pandémie, qui a montré les limites et les excès du tourisme de masse, ne vaudrait-il pas mieux, s’interroge Salvatore Settis, investir sur le parcours de visite des exposition dans les différentes institutions culturelles romaines et améliorer leur partenariat, avec par exemple un billet unique ?

Peu d’historiens de l’art ont volé au secours de Carlo Calenda. Parmi eux, Vittorio Sgarbi, qui fustige « les “talibans de la Culture” toujours prêts à dire non pour des raisons purement conservatrices », mais aussi Francesco Bonami. Dans les colonnes du quotidien milanais Il Foglio, le critique d’art estime que « l’idée d’un musée unique n’est pas une provocation mais une proposition valide et logique. En Italie, les provocations stériles sont considérées comme des propositions, et à l’inverse les propositions rationnelles sont critiquées comme des provocations. Chez nous la rationalité avance main dans la main avec l’utopie. Nous souhaitons donc bonne chance à Carlo Calenda ».

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°573 du 17 septembre 2021, avec le titre suivant : À Rome, l’idée d’un musée unique sur l’Histoire de la ville fait polémique

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