Musée - Photographie

Photo Élysée, à Lausanne

Par Ingrid Dubach-Lemainque, correspondante en Suisse · L'ŒIL

Le 23 mai 2022 - 1454 mots

Un déménagement au cœur de la ville dans un bâtiment neuf accompagné d’un changement d’identité visuelle : c’est une véritable mue qu’opère l’ex-Musée de l’Élysée devenu Photo Élysée, qui ouvre ses portes le 18 juin 2022, sur le site de Plateforme 10.

Pour commencer, il faut visualiser le tableau du surréaliste belge René Magritte daté de 1959, Le Château des Pyrénées. Car en lui réside l’étonnante inspiration dans laquelle l’auteur du nouveau bâtiment muséal, l’architecte portugais Manuel Aires Mateus, a été puisée : « [C’est] une ambition qu’on a toujours dans l’architecture, qui est très bien représentée par ce château posé sur un rocher suspendu au-dessus de l’eau. Nous voulions une œuvre qui flotte, un moment antigravitationnel. » Au départ donc, le gagnant lisboète du concours d’architecture lancé par la ville de Lausanne et le Canton de Vaud en 2015 a tracé sur sa feuille de croquis ces trois points sur lesquels repose aujourd’hui toute la structure du nouveau musée : « Nous avons calculé ces points au minimum pour assurer la structure et l’infrastructure du bâtiment et placer dans cet espace tous les services que nous souhaitons discrets. » Ces espaces communs – librairie-boutique, café, restaurant, centre de recherches et bibliothèque – se retrouvent donc dans ce hall d’entrée qui enveloppe le visiteur telle une grotte dès son entrée.

Des conditions optimales de conservation

La « lévitation » intérieure des espaces recherchée est déjà soulignée dans l’aspect extérieur du bâtiment : une faille en verre qui laisse passer la lumière donne de la légèreté à ce massif cube de béton peint en blanc. Au-delà du geste esthétique, les architectes avaient à résoudre et à rendre visible une contrainte : celle de faire cohabiter deux musées dans le même bâtiment et, qui plus est, deux musées aux exigences contraires : « L’un avait besoin de beaucoup de lumière, nous avons conçu pour lui la partie supérieure, avec un toit translucide. L’autre avait besoin d’une lumière très contrôlée, nous l’avons placé en bas, avec des ouvertures sur des patios pour avoir de vraies possibilités de contrôle », explique Manuel Aires Mateus. L’étage supérieur est donc occupé par les collections de design du Mudac, le Musée cantonal de design et d’arts appliqués contemporains. Et au sous-sol, dans le prolongement de trois petits jardins clos comme des patios, sont distribués les espaces dévolus à la présentation des collections de photographies de l’Élysée. Un plateau de 1 500 m2 offre des possibilités d’exposition de la collection permanente et des présentations thématiques temporaires conçues sur des cimaises mobiles ; un « LabElysée », espace innovant d’expérimentation numérique et des ateliers de médiation y trouvent aussi leur place. Ce nouvel écrin aura donc pour mission de mettre en valeur les collections photographiques cantonales auparavant sises dans une maison de maître de la fin du XVIIIe siècle des hauts de Lausanne, joliment dénommée « la Campagne de l’Élysée ». C’est en 1985, à l’initiative du journaliste et écrivain Charles-Henri Favrod, missionné par le Canton de Vaud, qu’est né le Musée pour la photographie, vite dénommé le Musée de l’Élysée : ce qui fut l’un des premiers musées d’Europe consacrés à la photographie est devenu, une référence nationale et internationale en matière de photographie. Modernisation de son identité visuelle aidant, le Musée de l’Élysée, transformé en Photo Élysée, devrait pouvoir offrir des conditions idéales pour une conservation optimale de ses fragiles supports photographiques dans ses réserves : un dépôt à 6 °C pour les négatifs et les diapositives, deux dépôts à 11 °C pour les tirages en couleurs, deux salles à 17 °C pour les tirages en noir et blanc et les plaques de verre.

Toute l’histoire de l’image fixe

Jusqu’à présent, les collections de l’Élysée étaient à l’étroit, notamment en ce qui concernait l’exposition des joyaux de la collection permanente, riche de plus de 1 200 000 phototypes : encore un inconvénient auquel devraient remédier les nouveaux espaces. Illustrant les dimensions historique, esthétique, technique, sociale et culturelle du médium photographique, la collection couvre les débuts du procédé des années 1840 jusqu’aux images numériques actuelles. On y trouve donc un large éventail des pratiques – de la photographie de voyage ou de famille, professionnelle ou amateur, plastique ou documentaire, du photo-journalisme ou du travail en studio, de l’illustration photographique ou scientifique. Au fur et à mesure des années, des fonds d’archives photographiques complets sont venus enrichir la collection de l’Élysée, comme ceux de Sabine Weiss, Charlie Chaplin ou Gertrude Fehr. Durant les cinq années de fermeture du musée, l’Élysée a multiplié les initiatives pour continuer à tisser un lien avec son public, en initiant un blog consacré au déménagement des collections (« L’Élysée hors champ »), en faisant circuler avec le « Photomobile Élysée » une équipe à la rencontre des établissements scolaires dans le Canton de Vaud, et en proposant des ateliers pédagogiques gratuits autour de la photographie et des collections du musée. Ouverts à la jeune création, les fonds de Photo Élysée comptent aussi des œuvres de photographes actuels et, depuis 2014, le musée octroie tous les deux ans un prix éditorial dans le domaine de la photographie, le « Prix Élysée ». Une orientation que ne reniera certainement pas la toute nouvelle directrice de Photo Élysée, Nathalie Herschdorfer, dernièrement à la tête du Musée des beaux-arts du Locle, qui s’engageait ces dernières années à promouvoir la photographie contemporaine en Suisse.

Plateforme 10

Après cinq années de chantier, ce nouveau musée s’intègre en toute harmonie sur le site du nouveau quartier des arts de Lausanne, à quelques mètres seulement du MCBA, le Musée cantonal des beaux-arts de Lausanne, déjà ouvert depuis septembre 2019 et réalisé par le cabinet d’architecture barcelonais Barozzi et Veiga. Comme ce bâtiment voisin avec lequel il n’a que peu de points de comparaison, il jouxte les voies ferroviaires de la gare de Lausanne, domine les toits de la ville basse et ouvre sur une perspective sur les Alpes. Avec cette dernière pièce du puzzle, le site de 25 000 m2 de « Plateforme 10 », conçu comme un lieu d’expérimentations culturelles ouvert sur la ville, peut enfin commencer à vivre pleinement. La période inaugurale du site se fera du 18 juin au 25 septembre 2022 sous une bannière commune à toutes les institutions, « Train Zug Treno Tren », consacrée à la thématique du train. 370 œuvres sont convoquées à Photo Élysée sous le titre de « Destins croisés » pour une plongée dans l’univers ferroviaire via la photographie et les arts visuels, un parcours dense à parcourir en trois « trajets » ou en quinze « stations ».

 

Photo Élysée,

place de la Gare, 17, Lausanne (Suisse). elysee.ch

Ella Maillart 

La Suisse a beau être petite, elle compte nombre de grands voyageurs : parmi eux, Nicolas Bouvier ou Ella Maillart dont les fonds photographiques sont déposés au musée. Concernant cette dernière, la Genevoise a légué peu avant sa disparition en 1997 l’ensemble de ses archives, soit dix-sept mille négatifs, films, archives et photographies. Ces clichés libres et spontanés documentent le regard original de cette écrivaine sur la première moitié du XXe siècle en Russie, en Afghanistan ou sur les routes d’Asie, comme dans ce cliché.


Douglas Duncan

En janvier 2022, ce fut un peu comme un cadeau d’inauguration pour le musée : cent photographies vintage du photographe Douglas Duncan prises entre 1956 et 1973 ont rejoint par voie de donation les collections de Photo Élysée. Le protagoniste principal ? Le grand Pablo Picasso représenté dans son intimité, et principalement au travail dans son château d’Antibes, où il vivait avec sa dernière épouse, Jacqueline. Le grand photo-reporter américain (1916-2018), connu pour ses clichés réalisés pendant la Seconde Guerre mondiale et les conflits du Vietnam et de Corée, documentait ici le processus de création d’un des artistes modernes les plus populaires et photographiés.


René Burri 

En 2004, dix ans avant sa disparition à l’âge de 81 ans, le photographe zurichois René Burri organisait lui-même une rétrospective de son travail au Musée de l’Élysée : photographe de l’agence Magnum à partir de 1959, il s’est rendu célèbre par ses portraits de personnalités, de Che Guevara à Le Corbusier. Photographe engagé, mais aussi passionné par l’art, il a parcouru la planète et notamment le continent américain du Brésil aux États-Unis.


Jan Groover 

La nature morte était l’un des sujets de prédilection de la photographe américaine Jan Groover, décédée en 2012 à l’âge de 68 ans. Ces clichés épurés et d’une grande qualité graphique qu’elle commence à réaliser à la fin des années 1970 atteignent leur sommet dans les Still Life Kitchen qui connaissent un succès retentissant. Sa formation de peintre et l’intensité de son regard sur les choses du quotidien y transparaissent. Son mari, qui légua en 2017 l’ensemble de son fonds photographique à l’Élysée, loue avec ces mots son travail où se lit « l’excitation visuelle du regard qui vole et ne sait où se poser ».

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°755 du 1 juin 2022, avec le titre suivant : Photo Élysée, à Lausanne

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