Philippe de Montebello - Le musée en son époque

Le directeur du Metropolitan Museum fait le point

Le Journal des Arts

Le 25 août 2000 - 844 mots

À la tête du Metropolitan Museum of Art de New York depuis 1978, Philippe de Montebello donne son avis de sage sur les questions qui agitent le monde des musées, des dangers du mécénat aux restitutions, en passant par les tentations du marché.

Vous avez récemment déclaré que tout musée devait disposer de fonds propres afin de conserver son intégrité. Que voulez-vous dire ?
Je pense à la nécessité de rester guidé par sa mission et non par le marché. La mission du musée est avant tout l’éducation, et nous avons la responsabilité d’offrir au public ce qu’il aime, mais aussi d’aiguiser son appétit en présentant des formes d’art qu’il ne connaît pas, comme nous l’avons fait avec l’exposition Riemenschneider. Intégrité signifie la possibilité de programmer Riemenschneider au lieu de se creuser la tête pour savoir comment présenter Van Gogh une énième fois pour remplir les caisses.

Pensez-vous que le mécénat d’exposition ou l’organisation d’événements dans les musées présentent des risques pour les institutions ?
Lorsque nous avons un mécène pour une exposition, elle est déjà bien avancée et il nous arrive fréquemment d’ouvrir des expositions sans sponsor. Dans un certain sens, le mécène exploite l’exposition déjà montée. Je ne connais pas d’exemple où un mécène a dit : “Bon, nous allons choisir d’autres œuvres, maintenant que nous assurons le parrainage de l’exposition. Nous n’aimons pas Renoir, nous voulons Caillebotte.” Des cas peuvent évidemment prendre l’apparence de conflits d’intérêts, comme les expositions Cartier ou Tiffany. Ma seule réponse est que ces sociétés ont des relations éponymes avec les objets présentés, mais la plupart des pièces montrées n’étaient pas du même type que celles en vente dans leurs boutiques. Il semble plus vraisemblable que Tiffany sponsorise une exposition Tiffany que Cartier. Il ne faut pas se voiler la face.

Pensez-vous que les universités et les musées pourraient collaborer davantage ?
Les universités et les musées collaborent déjà beaucoup. Nous avons un programme avec l’Institut des beaux-arts de l’université de New York, où nous donnons un cours de formation au métier de conservateur aux étudiants de second cycle. De plus la synergie est omniprésente avec les universités Columbia et de Princeton. Nos conservateurs enseignent de façon régulière, ce qui les maintient à la pointe de leur profession.

Réalisez-vous des enquêtes de publics au sein du Metropolitan et quelles conclusions en avez-vous tiré ?
Personnellement, je ne crois guère aux enquêtes mais nous en faisons beaucoup, surtout pour des questions économiques : nous sommes en partie un musée municipal doté de fonds versés par la Ville. Mais la meilleure enquête est celle réalisée par les conservateurs en flânant dans les salles. J’écoute les gens, je les observe. Je regarde comment ils se comportent, s’ils se dirigent droit vers le tableau du milieu ou vers celui du coin. Le musée n’est pas comme un magasin de bonbons qui répond à une demande précise. Un de nos secrets consiste à ne pas faire payer les entrées des expositions temporaires. Avoir la possibilité de revenir plusieurs fois évite aux visiteurs de rester au stade de l’inventaire devant trois cents pièces. Enfin ces manifestations sont intégrées dans le circuit du musée et pour y accéder, vous devez passer par les galeries permanentes. Le regard est captif, mais les jambes aussi. Vous apprenez à venir.

Quelle est la relation entre vos collections modernes et contemporaines et celles du Musée d’art moderne, du Guggenheim et du Whitney ?
New York est une ville qui offre un ensemble de points de vues sur le XXe siècle merveilleusement variés et instructifs. Le seul fait que tant d’institutions traitent de l’art du XXe siècle donne aux gens l’accès à différentes interprétations à la fois en termes de sélection et de présentation. J’ai toujours affirmé que montrer de l’art contemporain au Metropolitan Museum est une force qui permet de voir la continuité de l’histoire de l’art.

Quelle a été votre politique face aux doutes qui subsistaient sur les œuvres acquises pendant la guerre ?
Nous avons adopté le modèle anglais, qui consiste à publier une liste plutôt longue, à l’inverse du MoMA, qui a présenté des listes très courtes. L’idée, c’est d’offrir une ouverture totale, une disponibilité, et d’inviter tous les gens susceptibles de faire une réclamation à se présenter. Nous avons donc pensé qu’il fallait mettre sur la liste toutes les peintures européennes présentant une lacune dans leur provenance. En fait, la liste diminue quotidiennement, au fur et à mesure qu’on obtient des informations sur ces œuvres et qu’il devient possible de les écarter. Il se peut même qu’aucune œuvre ne doive être rendue. N’oubliez pas que 80 % des collections ont été restituées après la guerre.

Quels sont vos principaux soucis concernant l’avenir de l’institution muséale ?
Eh bien, je reste très vieux jeu quand il s’agit d’œuvres d’art. Je les aime en tant que telles, principalement pour leur valeur esthétique. Et ma plus grande inquiétude est forcément la tendance croissante des musées à obéir aux lois du marché, dans une sorte de Disneyfication. Les musées doivent rester des lieux d’activités où l’individu et l’œuvre d’art elle-même, sont les valeurs essentielles.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°109 du 25 août 2000, avec le titre suivant : Philippe de Montebello - Le musée en son époque

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